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Al Capone le Malien, de Sami Tchak

Par Liss
Contrairement aux précédents romans de l'auteur, Al Capone le Malien est résolument planté en Afrique. Guinée, Mali, Cameroun, Togo, le fil de la narration traverse tous ces pays avec, planant au-dessus d'eux, l'ombre de la France. Le narrateur, René Cherin, est un Français envoyé en Guinée par le magazine qui l'emploie. Avec son collègue Félix Bernard, photographe, ils doivent faire un reportage sur le Sosso-bala, le balafon sacré, héritage ancestral vieux de plusieurs siècles. Accueillis par un représentant important de la famille gardienne du balafon sacré, Namane Kouyaté, le séjour ne se déroule pas tout à fait comme prévu. 
Al Capone le Malien, de Sami Tchak
En fait le balafon sacré, qui justifiait la présence des reporters sur le sol africain,  devient finalement, pour René, le point de départ de multiples aventures en pays africains, des aventures qu'il vit non comme un acteur mais comme un objet. Selon les dires du personnage même, il joue le "rôle de témoin muet" (p. 181). Il est surtout l'oreille qui recueille les confidences de tous ceux qui espèrent peut-être que lui, le journaliste, pourra retracer de la manière la plus digne qui soit la trajectoire de leur vie, depuis Namane jusqu'à Al Capone, en passant par Sidonie et Binétou Fall, jeunes femmes qui gravitent autour du puissant "Maître" Al Capone. Sidonie dira même du Français : "Chacun de nous fait de toi ce qu'il veut" (p. 230)
Cette passivité n'est pas sans rappeler celle du héros de Filles de Mexico. Ce dernier était un Africain, qui trouva là-bas des échos à sa propre condition de Noir, d'étranger. Ici le personnage narrateur est un Blanc qui découvre le continent sous un autre jour : c'est l'Afrique des maîtres de la parole, celle des femmes qui déconstruisent l'idée "d'une gent muselée qui aurait eu besoin, même pour tousser, de l'autorisation de ses maîtres" (p. 61), celle des traditions auxquelles les temps nouveaux, la société de consommation livrent un combat sans pitié. Le Sosso-bala, objet de curiosité qui attire de nombreux touristes est brusquement dédaigné lorsque survient une limousine brillante de luxe et livrant passage à des personnages tout aussi clinquants.
Mais cette réalité vaut également pour les pays occidentaux. Voici ce que déclare René : "ce que j'aurais raconté à Binétou Fall, c'est surtout la vie d'un homme cerné par les souffrances, d'un homme qui n'a pas réussi à trouver sa place dans la France des villes et qui voit mourir son village." (p. 266-267) Pire René, Français blanc, se sentira à Paris comme un "immigré parmi les immigrés". (p. 266) Sa solitude, sa soufrance font écho à celles des immigrés noirs. 
Le roman peut être divisé en deux parties, une première qui emmène le lecteur "au coeur du Manding" et dominée par le personnage de Namane Kouyaté, cet ancien diplomate défenseur des valeurs ancestrales et une deuxième, dominée par Al Capone, qui vous entraîne dans les coulisses du pouvoir où l'on retrouve immanquablement le cocktail sexe, argent, trafic d'influence... J'ai été moins séduite par cette seconde partie que par la première, plutôt poétique, qui propose "un instant de sincérité de notre culture, de notre civilisation, telles qu'elles ont fonctionné depuis des siècles." (p. 71) Et dans la culture africaine, la parole est une maîtresse qu'il faut posséder, comme le fait habilement Namane Kouyaté. Dans cette partie le style même de l'écriture mime celui du griot, avec des répétitions musicales, comme on peut voir dans la phrase suivante par exemple :
"Dès que nous sommes revenus dans la cour, il m'a serré la main, Namane Kouyaté m'a serré la main, avant de disparaître dans sa case, Namane Kouyaté." (p. 83)
L'autre aspect intéressant de ce roman, c'est que l'on peut, par endroits, entendre l'auteur s'exprimer sur la littérature, africaine en particulier. Voici par exemple ce qu'il dit des écrivains africains francophones :
"Avec leurs choix de styles, de thématiques toujours dans l'esprit d'attirer l'attention du public et des critiques blancs, ils ne parviendront jamais à la hauteur de leur propre vérité. Il manquera à leurs écrits une âme que seul peut conférer à un texte un véritable ancrage culturel." (p. 161)
Le nouveau roman de Sami Tchak est disponible chez votre libraire.
Sami Tchak, Al Capone le Malien, Mercure de France, 2011, 300 pages, 18.80 €.

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