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comme si maintenant c’était le creux

Publié le 23 février 2011 par Lironjeremy
comme si maintenant c’était le creux Le regard à cette capacité à isoler des éléments du monde et comme les amener à soi par l’attention particulière qu’on leur porte. On en prend la mesure lorsque l’on tente de fixer ce qui nous a retenu par une photographie : l’appareil ne parvient jamais totalement à capturer ce que l’œil avait fabriqué pour lui-même. Des choses que l’on avait occultées, d’autres qui s’étaient invitées par affinités électives, inconsciemment. Ce que l’on peut alors appeler image -mais qui l’excède- n’existe que dans cette confrontation du monde et de celui qui en fait l’expérience, chacun se déterminant réciproquement. Les œuvres d’art, peut-être parce qu’elles sont issues d’une dynamique semblable, reçoivent notre élection parmi les objets du monde, viennent au devant de la scène toutes chargées de mystères, c'est-à-dire toutes chargées des regards que l’on porte sur elles et dont elles renvoient les reliefs et les abîmes. Car enfin pour qu’il y ait œuvre, il faut que nous acceptions de rentrer dans ce jeu de dépendance vis-à-vis d’objets, il faut vouloir par eux penser notre rapport au monde. « On ne doit pas s’étonner que l’art apparaisse si souvent inutile. C’est sa nature même : il n’est utile qu’à ceux qui croient à son usage. » Il faut jouer le jeu. Bien sûr, il s’en suit que toute œuvre d’art n’est évidemment pas une solution -son but n’est pas d’expliquer- plutôt l’œuvre pose problème, manifeste un problème que celui qui regarde sera amené à déplier pour lui-même. Ce que l’on appelle l’art c’est peut-être cette façon qu’on des objets de porter au-delà d’eux-mêmes, de suggérer des pensées. « Ce qu’on recherche et respecte dans l’art, écrit Jeff Wall, ce n’est pas une expression originale, ni l’intérêt d’un public, mais le processus de figuration lui-même, quand il vise à produire une image tout simplement juste ; une justesse qui a, en soi, une valeur de formation dans l’expérience du monde. » Et peut importe la nature de l’objet qui porte ces questions. Moi je restais un jour interloqué par un masque que j’avais vu dans une vitrine je ne sais plus dans quel endroit ; masque mortuaire en cire comme il était l’usage d’en faire en quelques époques passées. Ce qui me retenait c’était une contradiction que je peinais à circonscrire : à la fois un mouvement d’extraction, le menton tendu, une volonté de venir au devant, comme un mourant doit d’une voix faible confier ses dernières paroles et échapper par elles à ce qui l’aspire. Et tout le vide derrière renvoyant à l’absence comme si maintenant c’était le creux qui venait au devant manifester la présence aveuglante de la disparition : Un mouvement d’avancée combiné à un retrait. J’avais déjà perçu une chose semblable dans quelques portraits antiques aux regards fixes semblant nous parvenir depuis une nuit lointaine. Je bricolais mes choses, pensais aussi aux tortues, à leur calme résigné, leur carapace dans les écailles desquelles on voulait lire des messages, sur le dos desquelles on voulait voir posé le monde tenu par des éléphants. A leur cou qui s’étire comme pour aller au devant du monde ou échapper au poids qui les plombe. Je repensais aux morts.
Illustration: masque mortuaire de Napoléon 1er

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