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Conte soufi : Nettoyer l’âme

Publié le 03 mars 2011 par Unpeudetao

   Il y avait un homme de foi qui habitait Gazna. Son nom était Serrezi, mais on l'appelait Mohammed. Il ne rompait son jeûne qu'à la nuit tombée, en mangeant quelques feuilles de vigne. Ce mode de vie durait pour lui depuis sept ans sans que quiconque fût au courant. Cet homme éveillé connaissait bien des choses étranges mais son but était de voir le visage de Dieu. Quand il se sentit satisfait de son âme et de son corps, il monta au sommet de la montagne et s'adressa à Dieu :
   “Ô mon Dieu, montre-moi la beauté de ton visage ou je me jetterai dans le vide.”
   Dieu répondit :
   “Le moment n'est pas encore venu. Et si tu tombes de la montagne, ta force ne te suffira pas pour mourir.”
   Alors, plein de mélancolie, l'homme se jeta dans le vide. Mais il tomba dans un lac très profond et ainsi en réchappa. Toujours sous l'emprise du désir de mourir, il se mit à se lamenter. La vie lui paraissait être comme la mort. Toute la création lui apparaissait comme sens dessus dessous et le verset du Coran qui dit : “La vie existe même dans la mort” revenait constamment sur ses lèvres et dans son coeur.
   Au-delà de l'apparent et du caché, il entendit une voix qui lui disait :
   “Quitte la prairie et retourne en ville !
   - Ô mon Dieu ! fit l'homme. Toi qui connais tous les secrets ! Quelle utilité pour moi d'aller en ville ?
   - Va là-bas mendier afin de te mortifier. Récolte de l'argent auprès des riches et distribue-le aux pauvres.
   - Je t'ai entendu ! dit Serrezi, et je t'obéirai !”

   Muni ainsi de cet ordre divin, il s'en revint en ville et Gazna fut remplie de sa lumière. Le peuple accourut à sa rencontre mais lui, pour éviter la foule, prit un chemin écarté. Les riches de la ville, qui étaient contents de son retour, avaient préparé un petit palais qu'ils comptaient mettre à sa disposition. Mais lui leur dit :
   “Ne croyez pas que je sois revenu pour m'exhiber.
   - Non ! Je suis revenu pour mendier. Mon propos n'est pas de me répandre en vaines paroles. Je visiterai les maisons, un panier à la main, car Dieu l'a voulu ainsi et je suis son serviteur. Je mendierai donc et je ferai partie des mendiants les plus défavorisés, afin que je sois avili et que tous m'insultent. Comment pourrais-je désirer les honneurs alors que Dieu veut mon avilissement ?”
   Et, son panier à la main, il dit encore :
   “Par la grâce de Dieu, donnez-moi quelque chose !”
   Son secret consistait à invoquer la grâce de Dieu bien que sa place fût très haut dans le ciel. Ainsi ont fait tous les prophètes. Serrezi visita donc toutes les demeures de la cité pour demander l'aumône alors que les portes du ciel lui étaient ouvertes. Il se rendit à quatre reprises chez un émir pour mendier. La quatrième fois, l'émir lui dit :
   “Ô être immonde ! Ne me prends pas pour un avare mais écoute-moi bien : quelle impudence que la tienne ! Pas moins de quatre visites à mon domicile ! Existe-t-il un pire mendiant que toi ? Tu déshonores même les pauvres. Et aucun infidèle n'a jamais fait preuve de tant d'égoïsme.”
   Serrezi répliqua :
   “Tais-toi, ô émir ! Je ne fais qu'accomplir ma tâche. Tu ignores tout du feu qui me ronge. Ne dépasse pas les limites. Si j'éprouvais vraiment le désir du pain, je serais le premier à m'ouvrir le ventre. Car, pendant sept ans, je n'ai mangé que des feuilles de vigne. Mon corps avait fini par en devenir tout vert !”
   À ces mots, il se mit à pleurer et les larmes inondèrent son visage. Sa foi toucha le coeur de l'émir. Car la fidélité des amoureux toucherait même une pierre. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'elle puisse émouvoir un coeur sensible. Les deux hommes se mirent à pleurer de concert et l'émir dit :
   “Ô cheikh ! Viens ! Prends mon trésor ! Je sais que tu mérites cent fois mieux. Ma maison est à toi. Prends ce que tu veux.”
   Mais Serrezi répondit :
   “Ce n'est pas ce qui m'a été demandé. Je ne peux rien prendre de mes propres mains ni pénétrer dans les demeures de mon propre chef !”
   Et il s'en fut. L'offre de l'émir était sincère mais peu lui importait car Dieu lui avait dit :
   “Tu mendieras comme un pauvre.”
   Il continua de mendier ainsi pendant deux ans, puis Dieu lui dit :
   “Dorénavant, tu donneras ! Ne demande plus rien à personne car ce que tu donneras proviendra de l'univers caché. Si un pauvre te demande la charité, mets ta main sous ta natte de paille et dispense les trésors du Miséricordieux. Dans ta main, la terre se changera en or. Quoi qu'on te demande, donne-le car notre faveur pour toi est grande et elle est inépuisable. Secours les endettés et fertilise la terre comme la pluie.”
   Durant un an, Serrezi fit ainsi. Il distribua au monde l'or des faveurs divines. La terre se changea en or dans ses mains et les plus riches étaient pauvres comparés à lui. Avant qu'un pauvre lui demande ce dont il avait besoin, il le devinait et y pourvoyait. On lui demanda :
   “D'où te vient cette prescience ?”
   Il répondit :
   “Mon coeur est vide. Il n'éprouve plus de besoin. Je n'ai d'autre souci que l'amour de Dieu. J'ai balayé toutes choses de mon coeur, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Mon coeur est désormais rempli de l'amour de Dieu.”

   Quand tu vois un reflet dans l'eau, ce reflet représente une chose qui se trouve hors de l'eau. Mais pour qu'il y ait un reflet, l'eau doit être pure.
Il faut donc nettoyer le ruisseau du corps si tu veux voir le reflet des visages.

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