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Non, la culture française n'est pas morte

Par Benard
L’auteur Directeur du prestigieux mensuel Harper’s Magazine,publié à New York, autrefois journaliste auWall Street Journalet auChicago Sun Timesentre autres, John R. MacArthur collabore régulièrement au quotidien québécoisLe Devoir.

Oubliez Saint-Germain-des-Prés et regardez vers Nancy. C’est là que réside Philippe Claudel, auteur du Rapport de Brodeck, qui a la stature d’un Camus, estime Le Devoir.

 | John R. MacArthur | Le Devoir

Parfois, je me trouve face à des Français tellement critiques à l’égard de l’art et de la littérature de l’Hexagone qu’on les croirait victimes d’un lavage de cerveau par des propagandistes de l’ère Bush ou par la rédaction deTime Magazine.C’est bien leTimequi avait annoncé, en novembre 2007, “la mort de la culture française” dans un célèbre essai affiché à la une de son édition européenne, à peine quatre ans après la déclaration de Donald Rumsfeld sur le prétendu manque d’à-propos de la“vieille Europe”,incarnée bien sûr par la France et son refus de participer à l’invasion de l’Irak. Lorsque j’entends ce chant funèbre, j’ai tendance à faire la sourde oreille – les clichés duTimeou de Rumsfeld ne valent pas grand-chose.

Cela dit, il n’est pas forcément incongru de poser la question : où est passé l’esprit “universel” de Camus et de Sartre ? que sont devenus les sentiments profonds, les idées d’avant-garde, la grande philo­-sophie et l’engagement de romanciers comme Aragon, Gide, Duras ou Yourcenar ? comment se fait-il que la voix cynique, satirique et éraillée de Michel Houellebecq soit la voix dominante (du moins à l’étranger) d’une culture qui a engendré les grands philosophes des Lumières ? A tout ce battage je préfère la voix de Philippe Claudel, romancier et cinéaste, dont l’œuvre déborde de thèmes universels, de récits ambitieux et boulever-sants tout à fait actuels dans leur portée.

DansLe Rapport de Brodeck[éd. Stock, 2007] et, plus récemment, dans L’Enquête [éd. Stock, 2010], on trouve une fascination pour les maux de la société contemporaine et pour la condition humaine. Témoignant d’une grande connaissance de ces sujets, l’auteur de ces récits est loin d’être optimiste. Globalement,Le Rapport de Brodeckest une réflexion inspirée par l’Holocauste, mais ce serait une simplification excessive que d’appeler cet ouvrage un “roman de l’Holocauste”. Philippe Claudel enquête plutôt sur l’identité et sur la détresse de “l’autre”, comme l’illustre le dilemme du narrateur (Brodeck), ancien prisonnier d’un camp de concentration maintenant chargé de faire un compte rendu du meurtre de “l’Anderer” (le symbole de “l’autre”) par les villageois qui l’ont dénoncé, lui Brodeck, à l’occupant. Ce livre étant sorti en 2007, l’année de l’élection de Nicolas Sarkozy, on ne peut éviter d’y voir des références à la politique belliqueuse et opportuniste du nouveau président français envers les immigrants maghrébins, qu’ils soient légaux ou illégaux. Plus récemment, l’expulsion des Roms et les disputes au sujet de “l’identité française” et des “racines chrétiennes” de la France rendent plus pertinentes encore les questions posées par Philippe Claudel. Evidemment, les conflits qui affligent Brodeck s’appliquent à des régions et à des pays contemporains, dont le plus touché est le Rwanda, ainsi que l’Arizona, où l’hystérie à l’égard des Latinos clandestins continue à s’attiser.

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