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Japon : tremblement stupéfiant

Publié le 13 mars 2011 par Egea

Le roman d'A. Nothomb évoque une expérience japonaise. Son titre, "Stupeur et tremblement", vaut pour l'événement d'avant-hier. S'il eut été inconvenant d'intituler ce billet avec une facétie douteuse au regard d'un sujet grave, l'idée demeure pourtant : ce tremblement de terre est "stupéfiant" et frappe de stupeur, ainsi que l'ont raconté quelques journalistes dans les feuilles du week-end. Il s'agit d'une surprise stratégique (ou géopolitique), comme je l'écrivais hier.

Japon : tremblement stupéfiant

Il convient d'apporter quelques remarques "géopolitiques" sur le sujet. Comme d'habitude, le lecteur pardonnera les imprécisions et les lacunes d'un commentaire immédiat : il s'agit d'ébaucher des pistes qui pour certaines se confirmeront, pour d'autres tomberont dans les sables. Ce n'est pas très grave, c'est l'objet d'un blog que d'être un instrument d'élaboration de la pensée. Merci donc pour votre indulgence..

1/ Notons que pour une fois, le mot japonais tsunami est utilisé à bon escient pour décrire ce raz-de marée.

2/ Ce tremblement de terre aura plus d'importance géopolitique que celui de l'an dernier à Haïti, pour deux raisons :

  • la zone est beaucoup plus conflictuelle et tendue que les Caraïbes
  • il revêt une dimension écologique qui dépasse la seule zone géographique du Japon

3/ On peut prévoir, selon toute probabilité :

  • une nouvelle solidarité nationale, d'autant plus importance que le Japon traversait une période difficile d'ajustement politico-démocratique (voir l'excellent article d'avant hier dans le Monde)
  • une solidarité régionale probable, notamment de la part de la Corée du sud et de la Chine (qui saisira l'occasion de manifester un rapprochement fort diplomatique). Toutefois, il faudra observer les réactions aux conséquences écologiques.
  • le renouveau de l'alliance nippo-américaine, troublée ces derniers mois à cause des bases d'Okinawa. Les premières réactions US (envoi immédiat de moyens militaires desdites bases, envoi d'un porte avions, etc.) l'illustrent.

4/ Le plus grave, outre la portée radicale du tsunami (des trains portés disparus, une ville de 10.00 âmes enfouie sous la boue, telle une moderne Pompéi), tient bien sûr à l'accident nucléaire qui est en train de se passer sous nos yeux. A rebours des déclarations rassurantes de certains, je trouve les événements extrêmement inquiétants. On observe en effet, à la centrale de Daiichi, au moins un réacteur entré en fusion et peut-être un deuxième (voir ici). L'arrosage par de l'eau de mer témoigne d'une certaine impuissance des autorités. On est ici pour l'instant plus près de Three Miles Island que de Tchernobyl (différence entre une centrale au réacteur confiné et une centrale à ciel ouvert) malgré les craintes de certains (voir ici). Cependant, le confinement de Daiichi n'est pas garanti, et il est fort possible que les structures aient lézardé à la suite du tremblement puis de l'explosion d'hydrogène qui a fait éclater la structure extérieure. Autant dire qu'à la catastrophe "naturelle" (tremblement de terre et surtout tsunami) s'ajoute un accident "écologique" de première grandeur, même si on ne sait s'il faut déjà parler de catastrophe écologique.

5/ Qu'il soit bien clair que je ne veux pas confondre ma voix avec les considérations de politique politicienne qui ont tout de suite animé la scène politicienne française (dans un sens ou dans l'autre, d'ailleurs, j'ai trouvé beaucoup d'indécence). On se reportera au site de l'ISRN où des professionnels (ils s'expriment comme des techniciens et nécessitent donc un effort, mais ils sont toujours de bonne foi) donnent des informations scientifiques. Dernier point de presse de dimanche 19h00.

6/ La catastrophe aura bien sûr de nombreuses conséquences :

  • écologiques, comme le fait remarquer un correspondant, qui note le rejet à la mer de quantités énormes de déchets pollués
  • économiques, avec des infrastructures gigantesques à reconstruire, et un outil industriel touché : on peut à la fois évoquer une implosion monétaire, dans un pays qui était déjà proche de la déflation, mais aussi un rebond de croissance lié à la reconstruction. Les conséquences sur l'économie mondiale restent mal évaluées, même si certains évoquent une baisse du PIB mondial de 0,2%.

7/ D'une façon plus générale : on ne peut qu'être frappé par la succession de crises majeures : économiques (sub-primes 2008-2009), politiques (Maghreb 2010-2011), physiques (Japon, 2011). Sans aller jusqu'à la "transcendance" et des interprétations apocalyptiques, on peut au moins évoquer le caractère symbolique et immanent de cette succession : la planétisation, que j'ai définie comme la mise en résonance de l'écologie et de l'économie, toutes deux occupées de gestion de ressources rares dans une société mondialisée, trouve ici un symbole, marqué par la rencontre d'un mouvement physique majeur de la biosphère et d'un accident nucléaire pour l'instant très grave, en attendant d'en savoir plus.

8/ Planétisation, en effet, car le bouleversement est systémique : l'île principale du Japon aurait bougé de 2,4 mètres, l'axe de la terre de 10 cm. Autant dire que d'un point de vue purement physique, il y aura des répercussions tectoniques : soit à proximité (près de la plaque de Tokyo) soit à l'autre bout (Los Angeles?) puisque ce qui vient de se détendre d'un coup provoque des répercussions (tensions/détensions) autre part. Les autorités japonaises viennent d'ailleurs d'annoncer qu'elles s'attendaient à une réplique d'importance dans les heures à venir.

9/ Tout cela va poser avec plus d'acuité encore la question énergétique. On observait en effet depuis quelques années un retour au nucléaire, provoqué par le pic pétrolier (l'amenuisement des réserves disponibles) et la consommation croissante d'énergie par les pays dits émergents. L'accident d'hier, même s'il a été provoqué par le tsunami (que l'on pense à la marée noire en Louisiane de l'an dernier) renvoie à la maîtrise énergétique, et au modèle de développement. La course à l'énergie va demain être de plus en plus intense et peut-être violente. Et la stratégie nucléaire, qui est celle du contournement d'un déficit énergétique, telle qu'elle a été pratiquée par certains pays et notamment la France, montre qu'elle comporte des risques.

10/ Pendant ce temps là, Kadhafi a les mains libres et poursuit la reconquête de la côte Est de la Libye.

O. Kempf


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