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Pacte de compétitivité « light »

Publié le 17 mars 2011 par Copeau @Contrepoints

La Nouvelle lettre et le site libres.org avaient salué l’annonce d’un pacte de compétitivité en Europe, à partir d’une proposition allemande, soutenue (sans enthousiasme) par la France. En comparant les chiffres de la croissance, des déficits publics, du chômage ou du commerce extérieur de l’Allemagne à ceux des autres membres de la zone euro, il y avait en effet de quoi souhaiter que l’ensemble de la zone s’aligne sur le modèle allemand. C’était le sens du pacte de compétitivité. Hélas, sous la pression des gouvernements qui refusent tout allègement de la dépense publique et des impôts, et toute révision du droit du travail, le Président du Conseil européen a proposé une version allégée du pacte. Voilà un mauvais signal envoyé aux marchés, qui s’inquiètent à nouveau du sort de l’Europe et de l’euro.  

La crise des finances publiques est devant nous

La crise des finances publiques européennes n’est pas derrière nous, mais bien devant. Elle a été traitée à ce jour d’une drôle de façon. Les pays très endettés (Portugal, Irlande, Grèce et Espagne, appelés encore PIGS) ont cherché dans un premier temps à emprunter sur les marchés financiers, à des taux d’intérêt de plus en plus élevés, entre 6 et 20 %, incluant une prime de risque marquant la défiance des prêteurs. Comment l’Union a-t-elle réagi ? En créant un Fonds de stabilité financière, d’urgence d’abord, puis destiné à être pérennisé. Il s’agit tout simplement, pour ceux des pays qui inspirent encore confiance d’emprunter sur les marchés financiers à des taux inférieurs (4 ou 5%) pour les « reprêter » aux pays les moins solvables. C’est une forme de cavalerie, qui serait sanctionnée dans le secteur privé !

Il semble bien que l’Allemagne ait été à peu près seule consciente du danger. De nombreuses voix s’y élèvent pour demander que la fourmi allemande cesse de financer les cigales « du Club Med » ! Les Allemands ont du mal à comprendre pourquoi ils devraient payer, alors qu’ils se sont serrés la ceinture pour rester compétitifs et redresser leurs finances publiques, pendant que d’autres, comme ils disent, « dansaient le sirtaki ». Certains suggèrent même que l’Allemagne devrait quitter l’euro et revenir au mark, pour mener la politique de son choix. En attendant, Angela Merkel, chahutée lors d’élections locales, a cherché une voie médiane : avec le pacte de stabilité, elle a incité ses partenaires à devenir plus vertueux. Si la France lui avait emboité le pas, c’est qu’elle-même voulait se ranger dans le camp des pays crédibles plutôt que de perdre la cote sur les marchés. Nul doute que le pacte de compétitivité signifiât « les Allemands refusent d‘éteindre l’incendie tant que les pyromanes raniment la flamme ».  

Tout faire pour édulcorer les propositions allemandes

Quelques semaines plus tard, les plus laxistes reprenaient leurs esprits et avaient convaincu le Président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, habituellement très en retrait, de proposer un compromis que les journaux ont qualifié d’allégé ou d’édulcoré, disons « light ». Officiellement pour éviter un « diktat » franco-allemand ; en réalité pour continuer à mener leur petite politique de dérive et de laxisme.

Pacte de compétitivité « light »

(Illustration René Le Honzec)

Il y avait pourtant du bon dans ce projet de pacte de stabilité : l’évolution des relations sociales, avec la fin de l’indexation systématique des salaires sur les prix et en particulier du salaire minimum, la flexibilité (à l’Allemande) sur le marché du travail ou le retard de l’âge de la retraite. De quoi inquiéter la CGT qui, du coup, s’est précipitée chez Nicolas Sarkozy pour se plaindre de cette atteinte « aux acquis », alors qu’elle boudait le Président de la République depuis les vœux de début d’année.

Mais il y avait aussi l’idée d’un plafonnement de la dette publique, voire d’une règle constitutionnelle à l’Allemande imposant l’équilibre budgétaire. Ce qui était plus discutable, ou du moins plus flou, c’était l’idée d’harmoniser le taux de l’impôt sur les sociétés : allait-on choisir le taux le plus élevé (français bien sûr), un taux moyen (comme en Allemagne) ou un taux très bas (comme celui qui a fait la prospérité de l’Irlande avant la crise) ? Après tout, la concurrence fiscale est le moyen le plus sûr d’amener peu à peu les Etats qui veulent rester dans la course à s’aligner sur les taux les plus faibles. 

Des indicateurs…purement indicatifs

L’essentiel du volet social est remis en cause par la version « light » du pacte. On ne parle plus de l’abandon de l’indexation des salaires, ce qui permettra d’augmenter le SMIC plus vite, conduisant les moins qualifiés à un chômage croissant, et ce qui ruinera définitivement la compétitivité européenne. On a assisté fort opportunément aux contorsions de l’INSEE, racontées dans la Nouvelle lettre 1069, pour rendre « politiquement corrects » les écarts de coût salarial entre France et Allemagne ; mais les chiffres, même rectifiés, sont bien là, et si l’on prend tous les secteurs, le coût moyen horaire est de 31,53 euros en France et de 28,91 en Allemagne. Au demeurant l’INSEE n’a pu cacher que ce coût de la main d‘œuvre avait davantage progressé en France qu’en Allemagne. Mais qu’importe : grâce à la version allégée, on pourra continuer notre dérive et creuser l’écart de compétitivité franco-allemand.

Mais le pacte light prévoit encore de mettre en place des indicateurs, à l’instar de ce que veut le G20. Ces plafonds ou planchers auraient-ils quelque efficacité ? Sont-ils assez clairs et assez contraignants ? En réalité on tombe dans le flou le plus artistique. Il faudrait stopper la hausse des salaires si elle devenait « trop importante ». Par rapport à quoi ? Si, comme en Chine, la productivité augmente de 20%, il n’y a rien de dramatique à faire évoluer les salaires au même rythme ; mais si la productivité stagne, 2 ou 3% de hausse des salaires c’est trop. L’Europe veut-elle instaurer une police des salaires, voire une police des revenus ? Ce serait alors choisir le pire des dirigismes, ce que l’Allemagne a toujours refusé. Egalement ambiguë le texte sur les retraites : il suggère de tenir compte des évolutions démographiques !

On trouve le même flou pour les freins à la dette : ils existeraient, mais sans copier le modèle allemand, étrange formule. Faut-il rappeler que les traités européens nous faisaient obligation absolue de limiter le déficit budgétaire à 3% du PIB et la dette publique à 60% ? Qui a respecté ces limites, alors qu’un traité a une force contraignante supérieure à d’autres textes législatifs ? La responsabilité de la classe politique est écrasante dans la dérive des finances publiques, et il suffit de comparer l’Allemagne au reste de l’Europe pour comprendre que c’est affaire de volonté politique et non de textes à respecter : nous étions tous soumis au même traité ! Quant à l’idée de se fixer des objectifs en matière de réduction du chômage, cela fait partie des vœux pieux, comme si le chômage se fixait par décret au journal officiel ! 

Les Etats n’ont rien compris, rien appris

Tout cela peut encore évoluer au cours du mois de mars, la fin du mois étant fixée comme date limite pour le volet gouvernance (le pacte de compétitivité) et pour le filet de sécurité (le fonds de stabilité financière). Mais ce qui est certain, c’est que l’on est parti sur le modèle allemand pour aboutir, suivant les habitudes européennes, à un compromis mou, à valider lors du sommet extraordinaire de la zone euro du 11 mars. Que les pays comme la Slovaquie ou l’Irlande contestent l’idée d’harmoniser la fiscalité, en les obligeant à monter leurs taux, cela se comprend et ils ont raison. Mais que des Etats jusque là très laxistes ne comprennent pas qu’en soutenant que le projet Merkel « fait la part trop belle à la recherche de la compétitivité » ils relancent ainsi la méfiance des marchés, cela est stupéfiant. Décidément, la classe politique n’aura rien compris, rien appris. On en vient même à rejeter l’expression de pacte de compétitivité !

Cette reculade intervient au moment où les mesures d’aide à la Grèce et à l’Irlande ne suffisent plus, et où ces pays demandent un échelonnement des prêts ou une renégociation ; au moment où le Portugal est sous la pression croissante des marchés, et où d’autres pays plus « lourds » sont menacés par la dégradation de leurs finances publiques. Croit-on que l’Allemagne paiera sans cesse si aucune mesure de redressement n’est prise ? Croit-on que les marchés continueront à pratiquer des taux supportables pour des pays au bord de la banqueroute ?

En dépit de ses insuffisances, le pacte de compétitivité était un signal envoyé aux marchés pour dire : nous avons compris, nous allons faire sortir les pays de la zone euro de la dérive actuelle. Avec un pacte « light », en creusant de nouveaux trous pour combler les anciens, il ne faudra pas s’étonner si les marchés refusent de financer, si les taux d’intérêt s’envolent, si l’inflation repart et si l’euro lui-même est menacé. Donner le sentiment que l’on refuse des mesures de rigueur, surtout dans la situation internationale actuelle, c’est le plus mauvais service que les dirigeants européens pouvaient rendre à leurs pays respectifs.


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