Magazine Culture

Libye: la pipe de BHL

Publié le 18 mars 2011 par Savatier

 Au tableau clinique du botulisme, la confusion de langage ou d’élocution figure en bonne place. Or, en regardant, sur la chaîne Al Jazeera English, la récente interview de Bernard-Henri Lévy, on pouvait se demander si celui que Pierre Assouline surnomme « le philosophe (sic) » n’avait pas été une nouvelle fois victime de cette redoutable affection. Il n’était certes plus question, vendredi 11 mars, de Kant ni de Jean-Baptiste Botul, comme dans De la Guerre en philosophie, mais des révolutions qui fleurissent aujourd’hui dans le monde arabe – un thème sur lequel BHL semble être devenu, du jour au lendemain, à la fois un expert géopolitique, un ministre-bis des Affaires étrangères et un porte-parole supplétif de l’Elysée, sans autre légitimité que l’autoproclamation et la volonté du Prince. Au risque de brouiller les cartes du Quai d’Orsay, mis devant le fait accompli sur un dossier aussi important que délicat et de froisser nos partenaires européens.

A cours de cet entretien de 25 minutes que l’on pourra consulter en suivant ce lien, BHL s’est sans doute livré à son exercice médiatique favori (en soulignant le rôle qu’il avait tenu dans l’affaire), mais dans un anglais si « franchouillard », si confus, si approximatif (que l’on n’attendait pas d’un « intellectuel » ayant parcouru le monde depuis une quarantaine d’années) qu’il en devenait aussi drôle que pathétique. Il fallut toutefois attendre la seizième minute pour entendre le « philosophe », chemise blanche ouverte sur le néant et la tour Eiffel, lâcher un singulier propos qui dut faire sourciller les téléspectateurs anglophones et arabo-musulmans : « It will be very difficult now to make a blowjobs (sic) to dictators in the Arab world when we are European government (sic) ». La presse crut bon d’en donner cette traduction : « il sera très difficile désormais de faire des fellations aux dictateurs dans le monde arabe quand nous sommes un gouvernement européen ».

Traduction bancale (aussi bancale que l’était la phrase originale, il faut bien l’admettre), mais surtout inexacte, l’équivalent anglais de « fellation » étant « fellatio ». « Blowjob », est-il nécessaire de le préciser, ne peut se traduire que par « pipe » (mais, en ces temps d’antitabagisme…), voire « pompier », en argot plus ancien, et c’est bien cela qu’ont entendu les téléspectateurs. Passons sur la trivialité des termes, plus proche du registre sémantique de Fouché que de celui d’un apprenti Talleyrand… Le monde se forgera ainsi une opinion sur l’interviewé, présenté par Al Jazeera – sans rire – comme « l’un des plus célèbres écrivains, philosophes et activistes » français. Tout juste s’étonnera-t-on que, dans un Etat de droit siègeant au Conseil de sécurité de l’ONU, un tel histrion ait été associé au plus haut niveau de notre diplomatie alors que le ministre en charge était absent. Ni la France, ni la résistance libyenne ne méritaient cela.

Ce qu’il y a de plus consternant, dans cette affaire, c’est que BHL semble ignorer qu’il n’est que rarement possible de transposer une expression donnée dans une autre langue. Autrement exprimé, pour la phrase qui nous intéresse, ce qui a un sens au second degré en français risque fort de n’en avoir aucun en anglais, sinon… le sens littéral ! Et l’on imagine mieux les mines dubitatives ou incrédules des téléspectateurs non francophones écoutant l’envolée lyrique de l’orateur et tentant de visualiser la scène… Pour l’immense majorité d’entre eux, les seuls métiers de bouche qui faisaient jusqu’à présent la réputation de la France se rapportaient à la gastronomie.

C’est à cet exercice de traduction mot à mot que s’était livré, il y a une vingtaine d’années, Jean-Loup Chiflet dans un ouvrage savoureux et hilarant intitulé Sky my husband ! Ciel mon mari ! (Le Seuil, collection Points, 285 pages, 10€). La recette qu’il donnait de sa méthode loufoque mérite d’être citée :

« Prendre un mot français, normal, au sens propre ou au sens figuré suivant la saison et les arrivages. Chercher sa traduction littérale. Si l’on en trouve plusieurs, faire un choix arbitraire. Introduire ce mot dans une locution courante (proverbe, citation, etc.) Si l’on aime les plats relevés, ne pas hésiter à parsemer d’argot. Traduire la locution entière mot à mot. Servir. »

On découvre donc dans ce recueil que « se bidonner » devient en anglais « to jerrican one’s self », « sucrer les fraises », « to sugar the strawberries », « sans crier gare », « without shouting station » et « un avocat marron », « a brown avocado ». Naturellement, après ces traductions fantaisistes, l’auteur donne les expressions anglaises appropriées.

Bernard-Henri Lévy a-t-il lu Jean-Loup Chiflet avec une plus grande attention qu’il n’avait jadis parcouru Jean-Baptiste Botul ? Ce n’est pas exclu, car la recette a été scrupuleusement respectée. Et il faut avouer que sa métaphore pour le moins hardie pourrait désormais figurer en bonne place dans ce livre, non d’une pipe (name of a pipe) ! Quoi qu’il en soit, si De la guerre en philosophie nous avait prouvé que BHL pouvait se montrer défaillant à l’écrit, son « blowjob » nous indique qu’il peut parfois aussi être recalé… à l’oral.

Illustrations : Copie d’écran de l’interview d’Al Jazeera incluant la traduction française. - René Magritte, “Ceci n’est pas une pipe”. 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Savatier 2446 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine