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Terre des affranchis

Publié le 26 mars 2011 par Urobepi

Terre des affranchisL’intérêt premier d’un club de lecture est, me semble-t-il, de suggérer la découverte d’œuvres qui seraient autrement passées sous notre écran radar. Il est toujours étonnant de constater comment, malgré une veille somme toute assez régulière de l’actualité littéraire, certains titres proposés par ces groupes de discussion semblent sortis de nulle part, comme issus d’une génération spontanée. Peut-être, sans trop nous en apercevoir empruntons-nous toujours les mêmes sentiers lors qu’il s’agit de choisir un ouvrage. Ainsi, les livres qui appellent notre regard sur les rayons de notre bibliothèque de quartier ou chez le libraire répondraient-ils toujours aux mêmes critères inconscients et, partant, l’éclectisme dont nous croyons faire preuve ne serait-il au mieux que de façade; j’entends par là que nous serions naturellement portés à rechercher dans les nouveaux titres étalés devant nous la promesse du plaisir que nous ont procurés d’anciennes lectures. Remarquez, je parle ici de ma propre expérience et peut-être qu’au fond ce pattern ne s’applique-t-il qu’à moi. Qui sait?

Cette longue divagation m’amène a vous parler d’un livre suggéré par – vous l’aurez deviné – un groupe de discussion littéraire. « Lisez l’Europe » organise en effet une série d’événements dont le but est de promouvoir la culture européenne. Chaque nouvelle rencontre est l’occasion de mettre à l’avant-scène la littérature d’un pays différent. Le mois dernier c’était au tour de la Pologne. Ce mois-ci, c’est la France qui se retrouve sous les projecteurs. L’événement aura lieu au Goethe-institut de Montréal, le 13 avril prochain à compter de 19h. Plus de détails sur la page Facebook de la rencontre.

Quant au livre proposé, il s’agit d’un roman de Liliana Lazar, Terre des affranchis, publié aux éditions Gaïa. Je n’avais pas remarqué ce titre à sa parution. L’auteure m’est donc par conséquent inconnue puisqu’il s’agit de son premier roman et que, pour tout vous dire, la maison d’édition Gaïa elle-même ne m’est pas très familière.

Le parcours de l’auteure est assez singulier. La quatrième de couverture nous apprend en effet qu’elle est née en Moldavie roumaine, qu’elle écrit directement en français et qu’elle « a passé l’essentiel de son enfance dans la grande forêt qui borde le village de Slobozia, où son père était garde forestier ». Voilà qui est loin d’être banal. Et si, comme moi, vous estimez que les origines de Liliana Lazar constituent en elles-mêmes un excellent sujet romanesque, vous n’êtes pas loin de la réalité car l’action de Terre des affranchis se déroule dans une forêt située près d’un village nommé précisément Slobozia.

Il se dégage de ce roman une atmosphère délétère qui se rapproche de celle du conte fantastique, mais un conte pour adultes, cruel de surcroît et qui aurait été écrit par des frères Grimm de l’ère moderne. L’action débute en 1965 avec l’accession de Nicolae Ceausescu au pouvoir. L’évolution de la situation politique sert d’ailleurs de toile de fond à cette histoire sanglante qu’il vaut mieux éviter de lire avant de s’endormir.

Le jeune Victor Luca habite en marge de Slobozia, dans une maison cachée par la forêt avec sa sœur Eugenia et ses parents. Il y connaît une existence de misère. Sans cesse brutalisé par un père colérique, Victor ne trouve de répit que près d’un lac aux propriété magiques que les villageois appellent La Fosse aux lions. C’est là qu’il commettra un crime irréparable qui le forcera à se cacher des autorités durant plusieurs années. Mis au fait de sa faute, Ilie, le prêtre de Slobozia lui propose de faire œuvre utile en recopiant à la main des textes religieux interdits par le régime qui sont par la suite de redistribués sous le manteau. Confiné à résidence, Victor s’acquittera de cette tâche avec application durant des années. Mais, peut-on vivre indéfiniment en marge de la société?

Malgré sa facture naïve, ce court mais néanmoins intense roman propose une analyse sans complaisance de la société roumaine. À propos de l’après Ceausescu, on pourra ainsi lire:

La Roumanie redevint officiellement une nation chrétienne. À partir de ce moment, l’église ne manqua plus de rien. Dans ce pays en proie aux pénuries, lorsqu’il s’agissait de bâtir, l’argent ne manquait jamais, il coulait même à flots. Des plus pauvres aux plus riches, chacun versait sa dîme, le paysan comme le fonctionnaire, le milicien comme l’homme d’affaires. Tous rachetaient leur conscience avec quelques poignées de billets. Quelle était la sincérité d’un tel élan? Difficile à dire. Une boutade en vogue racontait qu’avant la Révolution, tout le monde faisait semblant d’être athée, alors que désormais tout le monde faisait semblant d’être croyant. (p.176)

Ce roman qui nous amène décidément ailleurs se lit d’un seul trait.

Notez que l’auteure assistera à la rencontre littéraire du 13 avril prochain à laquelle je faisais référence plus haut.

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LAZAR, Liliana. Terre des affranchis. Montfort-en-Chalosse, Gaia éditions, 2009, 198 p. ISBN: 9782847201475

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Voir la fiche du livre dans Babelio

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Vérifier la disponibilité de l’ouvrage:

  • Dans le réseau des Bibliothèques de Montréal

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