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Manager la créativité en entreprise 

Publié le 28 mars 2011 par _

La créativité est souvent vue comme une caractéristique rare d'individus exceptionnels. Elle serait alors comme une composante presque génétique, impossible à contrôler et à développer. Ces préjugés sur la créativité ont pourtant été balayé par le psychologue américain Joy Paul Guilford en 19501 lorsqu'il formula les deux idées fondamentales :

  1. L'aptitude à la créativité est présente à des niveaux variables mais chez tous les individus normaux

  2. Le processus créatif peut être reproduit volontairement, il peut donc être enseigné et développé chez un très grand nombre d'individus

À cela, les recherches en psychologie sociale ont développé une nouvelle idée, celle de « créativité des groupes2 ». Dès lors la question d'un management de la créativité est posé, et en particulier dans les entreprises. J'aimerais dans cet article dresser un état des lieux des méthodes existantes pour manager la créativité en entreprise et proposer de nouvelles perspectives.

Hétérogénéité de groupe et créativité

Un certain nombre d'expériences de psychologie sociale ont pu établir différents « effets de groupe ». Un de ces effets concerne la créativité : L'hétérogénéité d'un groupe (en attitude et en compétence) favoriserait la créativité lorsque, et si, par ailleurs, les conflits socio-cognitifs des membres du groupe sont pris en compte et régulés (Hall & Watson, 1970).

De manière empirique, il paraît assez clair que plus un groupe est hétérogène, c'est-à-dire composé de membres n'ayant pas les mêmes matrices de raisonnement et de pensée, plus il sera créatif car disposé à penser des choses dont un individu ou un groupe d'individus homogènes aurait été incapable d'en envisager la possibilité. Il faut malgré tout se méfier, il ne suffit pas de réunir des individus très différents pour avoir une structure efficace et créative. Différents blocages ou anomalies dans la communication peuvent émerger : inhibition face à des membres perçus comme plus compétents, conflits personnels, hiérarchisation de la parole en fonction du niveau hiérarchique ou de la position sociale des membres, etc. Ces blocages devront être identifiés et contrôlés pour permettre au groupe d'être effectivement créatif.

D'autres recherches ont par ailleurs montré que c'est plus l'hétérogénéité perçue du groupe que l'hétérogénéité réelle qui favorise la créativité (Collaros et Anderson, 1969). En clair, cela signifie que le groupe, pour être créatif, a besoin de sentir qu'aucun sous-groupe dominant (experts) ne viendra inhiber des idées. Le groupe créatif est avant tout un groupe de plusieurs « uns », d' « égaux ».

Les méthodes psychologiques pour encourager la créativité en groupe

Le postulat de départ de toute technique de créativité est que tout individu ou tout groupe peut être créatif. Le but des techniques de créativité est alors de libérer cette créativité qui peine à s'exprimer dans des conditions normales. Dans ce qui suit je vais présenter certaines des techniques existantes.

Le brainstorming


brainstorming_bbdo.jpg

Le brainstorming est une technique qui a été mise au point par le publicitaire américain Alex Faickney Osborn (1888 – 1966)en 1938. Cette technique repose principalement sur l'instauration de règles durant des séances en groupe de réflexions libres sur un sujet préalablement défini. Ces règles sont au nombre de quatre :

  • Tout jugement critique (positif ou négatif) est interdit pendant la séance

  • Toutes les idées, même les plus farfelues et les plus irréalistes, doivent être formulées

  • La quantité des idées est plus importante que la qualité des idées

  • Chacun peut utiliser les idées des autres pour les associer, les combiner, les compléter, etc.

Si cette méthode est largement utilisée, il faut toutefois préciser qu'aucune des nombreuses expériences effectuées sur le brainstorming n'a montré son avantage sur la réflexion individuelle3.

La synectique

Estimant que le brainstorming bloque la création en définissant un sujet de discussion préalable de manière trop précise, le psychologue américain William J. J. Gordon (1919 – 2003) fonde une méthode alternative : la synectique. Basé principalement sur la métaphore et le jeu, la méthode consiste à amener un groupe à effectuer des rapprochements et des combinaisons entre des éléments apparemment sans relation les uns avec les autres. Il s'agit également de recouvrer l'attitude d'esprit de l'enfant en plaçant le groupe dans une atmosphère ludique de jeu et de plaisir. Trois types d'analogies sont encouragés :

  • L'analogie personnelle : les participants s'identifient eux-mêmes avec un élément du problème (ex : « je suis une bicyclette »)

  • L'analogie directe : transposer les connaissances d'un domaine dans un autre (ex : la bicyclette est comme un cheval = association de la mécanique et de la biologie animale, etc.)

  • L'analogie symbolique ou fantastique : substituer à un objet problématique une image symbolique ou onirique. (ex : la bicyclette est un symbole de liberté, elle est une fenêtre ouverte vers un ailleurs, etc.)

Ces séances synectiques sont ensuite suivies d'une phase de « retour au réel » pour adapter les solutions analogiques au problème concret.

Les méthodes cliniques

Certaines méthodes sont allées plus loin dans la manipulation des individus et demandent donc des animateurs compétents capables de contrôler la situation. Je reprendrai ici simplement les deux méthodes citées par Jean-Claude ABRIC dans son texte « La créativité des groupes »4 : le « jeu de rôle » et le « rêve éveillé dirigé ».

La première méthode consiste à ce que chaque membre du groupe s'identifie à un personnage concerné ou à un objet du problème en imaginant ses réactions et son interaction avec les autres membres du groupes, eux-mêmes identifiés à d'autres personnages ou objets. Cette méthode demande aux membres du groupe d'être capable d'être « autre » tout en restant par ailleurs « soi » afin de réfléchir au problème. On comprend que cette capacité de dissociation peut vite devenir insupportable pour certaines personnes et c'est pourquoi un animateur expérimenté est requis pour ce genre de méthode.

La deuxième méthode va clairement plus loin puisqu'elle consiste à placer les participants dans un état intermédiaire entre la veille et le sommeil, en les allongeant dans une demi-pénombre et en leur faisant effectuer des exercices de relaxation appropriés. L'animateur oriente alors les participants vers des images et thèmes de plus en plus proche du problème étudié.

L'intelligence inventive : la créativité globale

Les « méthodes » citées jusqu'ici s'appuient principalement sur des postulats psychologiques et, en plus ne pas être très éthiques pour certaines, semblent ouvrir la voie à des charlatans pour entreprise ou autre « coach » n'ayant pour seule compétence l'opportunisme. Il est au contraire fondamental que l'entreprise contrôle son processus de créativité de manière globale et évite de la laisser dans les seules mains d'un « animateur » fut-il compétent et expérimenté. Pour ce faire, de nouvelles perspectives sont apparues concernant le management de la créativité en entreprise avec « l'intelligence inventive ». Cette approche, né de la rencontre entre Bernard BESSON, spécialiste en intelligence économique, et Renaud UHL, spécialiste en innovation, se veut l'association de l'intelligence économique (IE) et de la pensée inventive5. Il s'agit d'orienter la créativité par des informations stratégiques pertinentes issus de la surveillance de l'environnement stratégique et de la prise en compte des compétences présentes au sein de l'entreprise.

En clair, l'intelligence inventive n'est pas une méthode parcellaire fonctionnant comme un « one shot » d'un petit groupe choisi pour délirer dans une salle de réunion, c'est une démarche globale de l'entreprise qui se donne les moyens d'organiser un espace favorable à la créativité. Reposant sur un « management de l'ignorance », c'est-à-dire sur l'organisation d'un système de questions-réponses dans l'ensemble de l'entreprise, l'intelligence inventive cherche à encourager le questionnement et la curiosité chez chacun des membres de l'entreprise. Parce qu'elle propose un système managérial complet de la créativité, et donc pouvant servir toutes les fonctions de l'entreprise, du marketing à la recherche et développement, en passant par la stratégie, l'intelligence inventive est certainement un des meilleurs dispositifs actuels pour manager la créativité en entreprise. Reste à le tester massivement dans les entreprises.

__________________________________

1Guilford, J.P. (1950) Creativity, American Psychologist, Volume 5, Issue 9, 444–454

2Voir : Jean-Claude ABRIC, « La créativité des groupes » in Psychologie sociale (Sous la direction de Serge MOSCOVICI), PUF, 1984 -2008, pages 193 – 212. La suite de notre article reposera principalement sur cette source.

3Michel-Louis Rouquette, La créativité, Paris, PUF, coll « Que sais-je ? »

4 in Psychologie sociale (Sous la direction de Serge MOSCOVICI), PUF, 1984 -2008, page 211

5http://www.intelligence-inventive.com/crbst_9.html


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