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Inaptitudes et reclassements, quid novi sub sole ?

Publié le 28 mars 2011 par Oy

FlickR - Handicapped Spot at Guadalajara Restaurant - lgwrightParce qu’il s’agit d’une question complexe, les grands principes du reclassement restent parfois encore méconnus par les établissements publics hospitaliers. Les arrêts et jugements rendus au cours des années 2009-2010 confirment – s’il en était encore besoin – les lignes de force à observer dans le cadre de la procédure de reclassement. Ils invitent, au-delà de la question des inaptitudes, à réfléchir sur la prévention des risques professionnels.

Le reclassement des agents de la fonction publique hospitalière pour raison de santé est visé par les articles 71 à 76 du titre IV du statut général, précisés par le décret n°89-376 du 8 juin 1989.

Selon l’article 71,

« lorsque les fonctionnaires sont reconnus, par suite d’altération de leur état physique, inaptes à l’exercice de leurs fonctions, le poste de travail auquel ils sont affectés est adapté à leur état physique. Lorsque l’adaptation du poste de travail n’est pas possible, ces fonctionnaires peuvent être reclassés dans des emplois d’un autre corps, s’ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes.« 

Le même article précise que le reclassement pour raison de santé résulte d’une demande de l’intéressé.

Cette réglementation n’épuise pas le sujet tant la question se révèle complexe en pratique, dès lors que l’inaptitude de l’agent peut être évolutive et relative, temporaire ou permanente, physique ou mentale, et dont l’examen requiert une attention soutenue de tous les acteurs du reclassement à toutes les étapes (l’agent lui-même, l’autorité investie du pouvoir de nomination, la médecine du travail, la commission de réforme et le comité médical départemental, et dans une moindre mesure, les institutions représentatives du personnel).

C’est donc aux décisions du juge administratif qu’il convient de se référer pour dégager les grands principes à retenir. Force est de constater que ces derniers demeurent parfois méconnus par l’employeur public hospitalier, d’une part (I) et que l’examen des jurisprudences récentes (2009-2010) invite les directions des ressources humaines à faire preuve de vigilance à chaque étape du reclassement (II).

I. LES GRANDS PRINCIPES DU RECLASSEMENT PARFOIS MÉCONNUS

Schématiquement, les étapes du reclassement peuvent idéalement se résumer ainsi :

  • faire constater l’inaptitude de l’agent au poste de travail,
  • faire confirmer par le médecin du travail le caractère temporaire ou définitif de l’inaptitude à occuper le poste de travail ou toute fonction, quelle qu’elle soit, ainsi que, le cas échéant, les restrictions (station debout, port de charges, gestes répétitifs, etc.),
  • inviter l’agent concerné à formuler une demande de reclassement,
  • s’enquérir de son projet professionnel,
  • rechercher et, s’il y a lieu, proposer, dans un délai raisonnable, un poste réellement adapté à l’état de santé de l’agent et conforme, dans la mesure du possible, à ses capacités intellectuelles et à son niveau de formation,
  • autoriser une période d’essai et un reclassement temporaire et favoriser les éléments de la réussite (formation, soutien de l’encadrement, etc.),
  • reclasser définitivement l’agent après évaluation,
  • en cas de refus réitéré ou de mauvaise volonté avérée de l’agent, envisager soit une mise en disponibilité d’office, soit un licenciement, soit encore une mise à la retraite d’office.

Il arrive encore souvent que certains centres hospitaliers ne disposent pas d’une grille de lecture suffisamment claire pour gérer le reclassement des agents victimes d’accident imputable au service ou non ou de maladie professionnelle ou non.

L’obligation de reclassement, laquelle est une obligation non de résultat mais une obligation de moyens, est régulièrement affirmée avec force par le juge administratif, quel que soit le statut de l’agent considéré.

Concernant une mise à la retraite d’office d’une aide-soignante pour invalidité non imputable au service, et qui a été jugée inapte à l’exercice de toutes fonctions par le comité médical départemental,

« l’administration n’est toutefois pas tenue de rechercher un poste de reclassement pour un agent dont le reclassement est impossible »1

Cela étant dit, il a été rappelé2 que :

« il résulte d’un principe général du droit, dont s’inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés qui, pour des raisons médicales, ne peuvent plus occuper leur emploi, que des règles statutaires applicables dans ce cas aux fonctionnaires, que lorsqu’il a été médicalement constaté qu’un salarié se trouve atteint d’une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l’employeur de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d’impossibilité, de prononcer, dans les conditions prévues pour l’intéressé, son licenciement ; que la qualité d’agent contractuel de l’intéressé, recruté par CDI, ne fait pas obstacle à l’application de ce PGD ;« 

Autant on pardonnera volontiers à un agent de ne pas connaître ses droits dans le détail, autant il sera difficilement excusable que l’établissement employeur n’informe pas l’agent de ses droits. Il en est ainsi de l’obligation d’inviter l’agent à formuler la demande de reclassement :

« Considérant qu’il n’est pas contesté que Mlle PEREZ n’a pas été invitée à formuler une demande de reclassement au sein du foyer de l’enfance des Alpes-Maritimes ou de la collectivité départementale ; que, dès lors, la décision en date du 29 mai 2006 de mise à la retraite de l’intéressée pour invalidité, prise sans cette invitation préalable et, par suite, sans recherche de reclassement de la requérante, est intervenue au terme d’une procédure irrégulière ; qu’elle ne peut, par suite, qu’être annulée ;  »3

Rappelons qu’il a été admis que lorsque le comportement d’un agent, apparemment lié à un état pathologique, compromet le fonctionnement normal du service et qu’il est susceptible de porter atteinte à la sécurité des usagers, le directeur du centre hospitalier concerné peut, en raison de l’urgence, éloigner provisoirement l’intéressé du service, par une mise en congé d’office, dans l’attente de l’avis du médecin du travail sur son inaptitude à poursuivre l’exercice de ses fonctions4

De même, il a été jugé que l’agent qui se trouve dans l’impossibilité définitive et absolue d’assumer ses fonctions d’infirmière des suites d’un accident qui n’est pas imputable au service doit être regardé comme ayant formulé une demande de reclassement dans un autre emploi adapté à son état physique dans un cas où il a été demandé à poursuivre une activité et à occuper un emploi à mi-temps. Dans un tel cas, l’autorité compétente ne peut prononcer la mise à la retraite de cet agent sans reclasser l’intéressée dans un emploi adapté à son état physique et lui proposer un tel reclassement5.

C’est à l’Administration qu’il appartient d’établir qu’elle ne dispose pas de poste adapté à l’état de santé du fonctionnaire6.

Toutes ces obligations trouvent régulièrement à s’appliquer et les décision juridictionnelles récentes ne font qu’entériner cette invitation à la prudence adressée aux autorités investies du pouvoir de nomination.

II. DE L’OBLIGATION DE VIGILANCE A CHAQUE ÉTAPE DE RECLASSEMENT

L’examen de la jurisprudence récente (2009-2010) invite, plus que jamais, les décideurs à faire preuve de prudence dans la gestion délicate des reclassements des agents pour raison de santé.

S’agissant, par exemple, du refus d’un centre hospitalier de réintégrer un conducteur ambulancier qui avait été reconnu inapte au travail, compte tenu de son état de santé et de la lourdeur du poste de travail d’ambulancier, la Cour administrative d’appel de Lyon a condamné l’employeur à verser 75.000 euros à l’agent irrégulièrement privé d’emploi, au motif qu’il a commis une faute en prononçant la radiation des cadres et en n’établissant pas que l’intéressé aurait été physiquement inapte à occuper le poste d’ambulancier qui venait de se libérer, en suite de sa demande de réintégration7

Il convient donc de rester attentif aux demandes de l’agent inapte.

S’agissant d’un ouvrier professionnel titulaire (cuisinier) exerçant en institut médico-éducatif, le refus pur et simple du reclassement par l’employeur a été jugé illégal au motif que l’agent n’était pas définitivement inapte à occuper tout emploi et qu’en conséquence l’employeur n’était pas dispensé de mettre en œuvre en sa faveur la procédure de reclassement8.

Il convient donc de s’assurer du degré d’inaptitude de l’agent considéré.

Concernant une aide-soignante à mi-temps victime d’un accident de service, le Conseil d’État a délivré un satisfecit à la démarche de la DRH consistant à tenir compte des désidératas de l’agent en l’affectant à titre d’essai pour 3 mois, à raison de 80% de la durée hebdomadaire du temps de travail, considérant ainsi que l’employeur a opéré une bonne appréciation de la compatibilité entre l’état de santé de l’agent et l’affectation audit service9.

Il convient donc d’être prudent dans la démarche de reclassement et de donner une chance à l’adaptation de l’agent.

Pour une gestion exemplaire de la procédure de reclassement aboutissant pourtant à une décision de radiation des cadres, les lecteurs pourront se reporter à la lecture de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes du 18 juin 201010.

Les juges administratifs se montrent au demeurant, extrêmement vigilants sur le comportement des parties, employeur comme employé, sur le respect de la procédure de reclassement.

On ne saurait s’étonner qu’un ouvrier professionnel spécialisé qui, à la suite de l’annulation contentieuse d’un licenciement pour inaptitude physique, ne manifeste pas signe de vie lorsqu’il est invité à reprendre un poste différent malgré deux mises en demeure, soit purement et simplement radié des cadres11.

Au-delà de ce très bref panel qui n’a pas vocation à être exhaustif, il appartient aux décideurs de réfléchir et d’agir sur la question centrale de la prévention des risques professionnels, par la conclusion d’un contrat local d’amélioration des conditions de travail, l’établissement et l’actualisation annuelle d’un document unique d’évaluation des risques professionnels, l’institutionnalisation d’une cellule de gestion des risques, l’association du comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail à ces questions, et des fiches de poste clairement définies.

  1. CAA Nantes, 4ème chambre, 27 avril 2007, CHU de Rennes c/ Ruelland, n°06NT00612. [↩]
  2. CAA Paris, 15 avril 2008, Centre hospitalier de Lagny Marne la Vallée c/ Mashine, n°06PA00615. [↩]
  3. TA Nice, 4ème chambre, 30 juin 2008, n°0603288. [↩]
  4. CAA Douai, 21 mars 2001, Lucchini, n°97DA11980. [↩]
  5. CAA Nantes, 26 juin 2003, Andro, n°01NT00837 : Juris-data n°2003-236310. [↩]
  6. CAA Nantes, 7 mars 2003 : JCP A 2003, 1157, note Vandermeeren. [↩]
  7. CAA Lyon, 18 octobre 2010, Centre hospitalier Lucien Hussel c/ Arthaud, n°09LY00748. [↩]
  8. CAA Versailles, 21 janvier 2010, Lecoq c/ IME « Les Moulins Gémeaux » de Saint-Denis, n°08VE02377. [↩]
  9. CE, 14 janvier 2010, Centre hospitalier du Pays de Giers c/ Ghilaci, n°307978. [↩]
  10. CAA Nantes, 18 juin 2010, Karadjian c/EPSM Étienne Gourmelen de Quimper, n°09NT01301. [↩]
  11. CAA Lyon, 20 mai 2010, Guiot c/ CHS de la Charité sur Loire, n°09LY00576. [↩]

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