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La France veut-elle sauver la Libye… ou son âme ?

Publié le 31 mars 2011 par Copeau @Contrepoints

Les soulèvements populaires dans le monde perse et arabe fascinent le monde. Vingt ans après la chute du mur de Berlin, un vent de liberté semble devoir faire tomber les dictatures arabes les unes après les autres dans le sillage de l’Égypte et de la Tunisie. Ces révolutions nous prouvent que le monde perse et « arabo-musulman » (incluant des populations ni arabes, ni musulmanes) n’est pas la caricature fataliste que nos gouvernants ont entretenue si longtemps. Nos gouvernants et nos élites ont pensé jusqu’ici « au fond d’eux-mêmes que les peuples arabes sont des arriérés congénitaux à qui ne convient que la politique du bâton » pour reprendre la formule de Daniel Lindenberg. C’était après tout bien pratique de laisser Kadhafi planter sa tente face à l’Élysée en 2007, d’armer et de légitimer des figures comme Ben Ali et autres Moubarak, jugés meilleurs remparts contre le terrorisme islamiste. Nous pourrions nous demander si le maintien au pouvoir de ces dictateurs a contenu efficacement cette menace, ou bien s’il n’a pas, au contraire, nourri la rage islamiste contre un occident jugé complice ? Il est étrange de retrouver aujourd’hui la France et l’Otan aux côtés d’Al Qaida dans la lutte contre Kadhafi.

Simple comme un coup de fil

Le sang de nos intellectuels germanopratins n’a fait qu’un tour, lorsque le fou de Tripoli a envoyé ses mercenaires écraser la contestation. Les mêmes qui s’opposaient au droit d’ingérence en Irak ont publié une tribune appelant la France à intervenir militairement dans ce pays grand comme trois fois l’Irak. Quelques échanges confus ont suffi à BHL pour convaincre Nicolas Sarkozy, contre l’avis du ministre des Affaires étrangères surpris à la descente du train, et une fois de plus sans solliciter ses partenaires européens. Ce coup de poker s’est transformé en coup de communication magistral lorsque Sarkozy a convaincu le Conseil de Sécurité de l’ONU de ne pas bloquer sa proposition de frappes ciblées. En un temps historiquement court, la France a entraîné le monde dans une guerre avec un pays dont elle ne sait rien.

La Libye tirée au sort ?

Pourquoi ne pas intervenir en Côte d’Ivoire où les massacres ont commencé après la réélection frauduleuse de Laurent Gbagbo ? Pourquoi ne pas envisager des frappes au Yémen, en Syrie où les régimes en place tuent les manifestants par centaines, torturent et emprisonnent massivement les opposants ? Pourquoi ne pas viser l’Iran où l’opposition a acquis une vraie légitimité dans son action tant par sa popularité que par son courage ? En Libye, nous ne connaissons pas les noms des leaders historiques de l’opposition. S’agit-il de revendications tribales sur les revenus du pétrole ?

Nous n’en savons rien parce que cette opposition trop récente, n’a aucune tête, ni aucun projet politique. Certes, cela n’enlève rien au droit de ces populations de se rebeller contre un régime terrifiant. Il ne faut pas oublier que le Soudan, au sud de la Libye, n’est pas une zone propice à un apaisement de la région. Nous devons donc manoeuvrer au milieu d’une poudrière alors que les désaccords se multiplient au sein de la coalition. La guerre civile à laquelle nous assistons menace de se terminer en « somalisation » du pays si notre intervention s’embourbe.

La France veut-elle sauver la Libye… ou son âme ?

(Illustration René Le Honzec)

Dommages collatéraux sur les processus démocratiques en cours

Par ailleurs, l’impact de ce conflit meurtrier intra libyen menace directement ses voisins. L’Égypte et la Tunisie se sont libérées du joug de leur tyran. Ce n’est pas le moment de perturber leur transition démocratique en offrant des arguments aux courants fondamentalistes bien organisés sur le plan politique. Or, nous ne pouvons exclure le risque de bavures. Non seulement nos bombardements sont réalisés sans forces au sol (en principe), c’est-à-dire en partie à l’aveugle, mais Kadhafi se sert des boucliers humains pour améliorer les chances de tels drames. L’impact de familles décimées par les missiles de l’Otan pourrait se retourner contre les jeunes forces démocrates qui nous sont favorables en Egypte, en Tunisie et ailleurs, au profit de l’obscurantisme nationaliste et islamiste.

Perdre n’est plus une option

Mais le pire message que nous puissions envoyer aux nombreux dictateurs en place, dorénavant, c’est l’aveu de notre impuissance. Ne doutons pas que Bachar el-Assad, Bouteflika et les autres tyrans observent attentivement notre intervention, et en surveillent les résultats. Si nous décidions de mettre fin à notre action contre Kadhafi ou, pire, si nous nous retirions tenus en échec, nous devrions nous attendre à des massacres en série d’opposants dans tout le monde « arabo-musulman ». Grâce au courageux BHL, chemise blanche ouverte au vent, et aux intellectuels qui refont le monde à la terrasse des cafés de Saint-Germain des Prés, il ne fera pas bon être démocrate du Maghreb au Moyen-Orient dans les prochaines décennies. Quant aux mouvances terroristes islamistes prises de cours jusqu’ici dans ce processus révolutionnaire, elles pourront à nouveau recruter en accusant l’occident d’être à l’origine des maux des peuples arabes.

Nous avons atteint le point de non retour, sans stratégie ni plan B dans la manche. Nous n’avons donc plus le droit de perdre la guerre contre Kadhafi. Devrons-nous nous résoudre à la partition du pays, ouvrant la voie aux revendications autonomistes ailleurs ? Il nous faudra probablement envoyer des troupes au sol… malgré le probable veto du conseil de sécurité. Je serai alors heureux de lire la deuxième tribune de nos pacifistes d’hier reconvertis en va-t-en-guerre.


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