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Industrie et débat, suite

Publié le 01 avril 2011 par Egea

Pierre, qui travaille dans l'industrie de défense, a envoyé l'autre matin un commentaire qui mérite d'être plus largement diffusé : je le transforme en billet et respecte son anonymat (car en fait, on a un peu l'impression qu'ils ont plus de "devoir de réserve" que les mili, les pauvres travailleurs de l'industrie).

Industrie et débat, suite
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Au fond, c'est un peu ce que j'espérais : que derrière mes provocations (Stan, ne rigole pas !!!!) on se dise des choses, de façon plus profonde que les habituelles récriminations. Merci donc à lui.

O. Kempf

Les industriels sont-ils associés au débat stratégique ? A la question naïvement posée par Olivier, à laquelle il répond de manière un peu expéditive, on serait tenté de répondre d'abord : mais y a-t-il un débat stratégique en France ?

Si le débat réside dans l'exercice décennal du Livre Blanc, la réponse est facilement : non, les industriels n'y sont pas véritablement associés. Lors de la préparation du dernier Livre Blanc, son responsable Jean-Claude Mallet avait donné des consignes rigides pour limiter les contacts de la commission à une liste très réduite de PDG, de peur que les travaux de la commission soient pollués par le lobbying des industriels. Inutile de dire que l'exercice était resté très abstrait, de façon assez symétrique à ce qui avait été fait du côté des militaires, par peur que le débat devienne un grand déballage public...

En réalité, le débat stratégique se situe à d'autres niveaux, en particulier celui des commissions parlementaires qui auditionnent régulièrement les responsables du secteur industriel. Un débat malheureusement trop confidentiel, ce qui est dommage vu le niveau des idées qui y sont échangées. Quant à l'exécutif, il se réfugie dans le huis clos des conseils de défense pour faire l'économie d'un vrai débat stratégique...

Mais revenons à l'argumentaire d'Olivier Kempf. Les industriels n'ont pas le sens de l'intérêt public, ils privilégient leurs intérêts propres, s'occupent d'abord d'export... Commençons par rappeler un fait historique : en France l'industrie de défense est née des arsenaux d'Etat, elle était un service public par nature et la notion de profitabilité a été trop longtemps ignorée de son management - on l'a suffisamment reproché à l'époque au GIAT ou à la DCN ! On a vu les efforts qu'il a fallu faire dans les deux dernières décennies pour privatiser les arsenaux et en faire des industries compétitives, d'abord dans l'aéronautique puis dans le terrestre et le naval, et le mouvement n'est du reste pas terminé. On a donc trop longtemps reproché à ce secteur industriel de ne pas être profitable pour lui reprocher aujourd'hui de chercher la rentabilité, objectif qui lui a du reste été assigné par les autorités de tutelle.

Il faut le souligner car la finalité de l'industrie de défense en France n'a jamais été le profit en tant que tel mais la fourniture à l'appareil de défense de capacités correspondants aux missions elles-mêmes fixées par la stratégie.

Cette articulation est illustrée par une particularité française : si la logique d'arsenal a été dépassée, l'industrie de défense reste soumise à une tutelle contraignante de la DGA qui intervient comme planificateur, spécificateur et acheteur des équipements militaires et contrôleur des exportations. Quel rapport avec le débat stratégique ? Tout simplement que ce ne sont pas les industriels qui influent sur les missions en proposant spontanément leurs systèmes d'armes mais, inversement, les industriels reçoivent commande de ce qui correspond aux besoins en équipements déterminés par la tutelle (le cas de Dassault étant l'exception notable).

Conséquence, l'industrie française a trop longtemps produit des équipements sur-spécifiés donc trop chers à la fois pour les forces et pour l'export, sans parler de la difficulté à faire des programmes en coopération européenne ou OTAN par multiplication des spécifications et des standards différents.

Lorsqu'il arrive qu'un industriel produise un équipement dépassant les capacités initialement demandées et susceptibles de produire des développements stratégiques, il est prié de ne pas en faire état. C'est le cas du missile de croisière franco-britannique Scalp/Storm Shadow, dont les performances exceptionnelles constatées en Irak en 2003 en ont fait de facto un instrument de dissuasion conventionnelle. Le concept même de dissuasion conventionnelle étant interdit en France, comme tout ce qui peut porter atteinte au dogme de la dissuasion nucléaire, la réflexion sur cette capacité nouvelle n'a pas été poursuivie.

Sans essayer de conclure sur la question posée par Olivier, il faudrait justement se demander où se situe aujourd'hui le débat stratégique, s'il peut encore être purement national et surtout s'il peut se dérouler de façon réaliste sans partir des moyens et des capacités d'une France aux ambitions contrariées par la réalité économique. Alors oui, la question prend tout son sens.

Analyser ce qui restera de l'outil industriel européen dans quinze à vingt ans, notamment pour les avions de combat avec un Rafale et un Eurofighter sans successeurs, pour imaginer quelle pourra alors être la position de défense de la France et de l'Europe. Sans cette dimension incluant évidemment les industriels, le débat stratégique restera au niveau irréaliste de la guerre des étoiles...

Pierre X


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