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où l’on vous propose les textes de notre second challenge littéraire consacré au Silence !

Par Samy20002000fr

Deuxième épisode -réussi- pour notre challenge littéraire !

où l’on vous propose les textes de notre second challenge littéraire consacré au Silence !

Après un premier mois de folie autour du mot « Borborygme » qui fut l’occasion pour nombre d’entre vous de publier de très beaux textes, le deuxième challenge littéraire fut cette fois organisé autour du mot « Silence », qui caracola en en tête du sondage malgré sa lutte acharnée avec « Paillasson » -qui sera ainsi le mot du mois prochain.

La règle du jeu est on ne peut plus simple : il suffisait à qui le souhaitait d’écrire dans le forum de Babelio un texte autour du mot « Silence » et on utilisant ce mot dans son texte !  Si vous n’avez pas eu le temps ou que le mot ne vous inspirait pas il ne vous reste plus qu’à les lire ici et à plancher sur le mot « Paillasson » ! Vos textes doivent être publiés à cette adresse de notre forum !

Voici, dans un l’ordre chronologique de leurs apparitions dans le forum de Babelio, l’ensemble des textes proposés par nos membres autour du mot « Silence » ! Félicitations à tous les participants pour la grande qualité de leurs écrits ! En espérant que ces textes en inspirent d’autres pour le challenge du mois d’Avril !

Texte de Steppe :

« Silences

De ceux que l’on désire et de ceux que l’on subit…

Aux soldats armés, aux juges, aux professeurs de haine et aux monnayeurs d’espoir, je demande le silence.

Aux apôtres de la colère, aux colporteurs de préjugés et aux dénonciateurs, je demande le silence.

Aux faux prophètes, aux pourvoyeurs d’armes et aux marchands de désespoir, je demande le silence.

Je demande aux bûchers de l’intolérance de se taire et d’emmener avec eux leurs censeurs et délateurs, leurs foules populeuses et leurs sentences assassines.

Je demande aux rois, aux dirigeants, aux décideurs d’ordonner le silence à leur morgue et leur iniquité.

Je demande au drapeau en berne du pays dévasté par la guerre de taire son ressentiment.

Je demande le silence aux dictateurs, aux opprimeurs, aux manipulateurs et aux tortionnaires ; aux mauvais, aux hargneux, aux incapables de pardon, aux bombes et aux fusils.

Au nom de l’enfant meurtri par la gifle du père, au nom de la femme violée et de la bete blessée, au nom de l’exilé, au nom de la Terre ravagée et des peuples offensés et juste au nom de la décence, je réclame le silence comme une dignité nouvelle dans un nouveau monde.

Mais à toi, mon père, qui se recroqueville et s’enferme au plus loin du non-dit, je ne demande rien d’autre que de briser le mur, et sortir de ta gorge muette un mot, un son, n’importe lequel, offert comme une victoire, une étincelle, un petit bout d’espoir venu de là où tu t’en es allé, sans le vouloir, sans le décider.

Je te demande mon père, un autre de ces fous-rires, comme ceux que nous avions avant, témoins tonitruants de notre connivence encore là.
Où es-tu parti ? La maladie t’enferme dans un assourdissant mutisme. Une pause, un soupir dans ta vie, une blessure dans la notre.

Est-ce que là-bas au moins, il se trouve quelqu’un pour te parler, est-ce que ce nouveau monde est peuplé de souvenirs heureux et de gens aimables ? Tu souris parfois, alors je m’autorise à croire que peut-etre, si loin que tu soies parti, il se trouve l’un de nous, un autre, un inconnu meme qui t’apporte un peu de bruit, un petit vacarme réconfortant, un retentissant souvenir de notre amour pour toi.

T’en souviens-tu Papa, de mon « je t’aime » lâché trop vite sur le pas d’une porte ? Te souviens-tu Papa de tout ce que l’on ne s’est pas dit ? de ces silences de trop ?

Pour toi Papa, j’espère le plus harmonieux des vacarmes, le plus doux des charivaris, la plus tendre des paroles pour apaiser ta nuit infinie….
Je t’aime Papa, silencieusement et le plus fort possible…
Et c’est pour te dire cet amour qu’aujourd’hui, je viens, ici, rompre le silence….

Steppe

Texte de Lune :
Silence! aboya le metteur en scène aux comédiens enchaînés à leurs mots.
Silence! cria le maître d’école aux enfants échappés dans leurs rires.
Silence! murmura le rédacteur en chef aux journalistes trop bavards.
Silence! minauda le philosophe aux penseurs impétueux.
Silence! psalmodia le père supérieur aux moines eunuques.
Silence! intima le colonel aux militaires enragés.
Silence! gloussa la tenancière aux belles caqueteuses.
Silence! hurla le contremaître aux ouvriers hagards.
Silence! osa le directeur aux fonctionnaires endormis.

Un silence succéda à un autre silence qui succéda à un autre silence…
Les silences se succédèrent en silence et LE silence se fit.

Intrigué par ce vacarme de silences, Dieu, enfin!, se réveilla.
Il écouta le silence de la terre et déclara : « Je m’ennuie ».
Le silence, perfide, perdura.
Dieu, déprimé, dit : « Plus moyen de m’amuser, je m’ennuie, ah! je m’ennuie ».

ET IL SE SUICIDA.

Le bruit revint,
Normal, paisible…

On avait démasqué le fautif…

Alea jacta est.

Texte de Lalynx :

Silence, on tourne…

Le silence est la peur de beaucoup de monde, ce constant manque de son auquel on s’attache, on s’accroche en pensant qu’il sera toujours là, le silence, peu de gens le connaissent vraiment. Pour moi, le silence est mon quotidien. Je m’appelle Julien et depuis quelques années je suis sourd. J’ai toujours eu un problème d’audition, celle-ci s’en est allée à jamais.

Depuis ce jour, le calme m’enveloppe comme une couverture.
Depuis ce jour, je vois les gens parler mais je ne peux imaginer leur voix, ce qu’ils disent, leurs intonations.
Depuis ce jour, je vois le monde, je ne l’entend plus, je le décrypte comme une langue ancienne.
Depuis ce jour, je découvre vraiment cette Terre qui m’entoure.

Un grand nombre de personnes se sentent tristes en apprenant ma surdité, ils se sentent obligés de me dire des mots de consolation, qui ne veulent rien dire, qui ne me parlent pas, ils ne savent quoi faire en de telles circonstances, ils les passent sous silence. Ils pensent que je le vis mal mais je ne l’entend pas de cette oreille. Le bruit m’a toujours dérangé, qu’il court ou qu’il soit inutile. Depuis que je suis dans cet univers de mutisme, j’observe et je comprends mieux les gens. Avant, il me suffisait d’écouter, maintenant je fais attention à tout, les traits du visage, la façon de bouger, je peux savoir ce que pense quelqu’un rien qu’en regardant sa posture.

J’ai aussi découvert les livres. Avant, j’aimais regarder la télé pendant des heures, sans daigner bouger pour faire autre chose. Durant mes premiers mois dans l’obscur silence, ne pouvant comprendre le langage des signes du journal télévisé, je n’ai eu d’autre choix que de m’occuper d’une toute autre manière. Jusque là, la lecture n’était que ces livres horribles qu’on vous force à lire dans le cadre des cours, je me trompais, un monde s’est ouvert à moi. Je suis à présent une abeille qui butine les rayons de la bibliothèque à la recherche du miel qui me construira et je danse pour me faire comprendre.

Dans le brouhaha de mon silence les images ont remplacés les mots.

Texte de Liligalipette :

SILENCE DANS LA SALLE !

« – Mademoiselle Cassandre, assez de bavardage! Deux heures de retenue à la bibliothèque ! Vous me rendrez un essai sur les bienfaits et les vertus du silence ! »

Et pourtant, je ne discutais pas ! Je réfléchissais à haute voix et ma voisine m’aidait à comprendre pourquoi Steve a quitté Brenda !

Me voilà dans cette silencieuse bibliothèque. Madame Caquet me regarde d’un œil méchant, guettant le premier bruit que je ferai. Vieille bique !

Les bienfaits du silence Quelle plaie cet essai !

Le silence est par définition l’absence de bruit Il doit être bien malade celui-là, à tousser comme un phtisique ! l’absence de bruit ou le fait de se taire Eh !! Va manger ton pop-corn ailleurs ! C’est infernal ce boucan ! le fait de se taire ou de s’abstenir de parler Éteins ton téléphone, Miss Pipelette ! C’est pas un salon de thé ici ! On peut considérer que le silence est d’or quand Rappelle-le dehors ! Il t’aime aussi ton poussinou chéri ! quand il permet de préserver des informations mais Et forcément Madame Caquet ne dit rien ! mais passer des informations sous silence peut se révéler être un crime Et tu peux pas baisser le son de ton baladeur ! C’est pas une discothèque ici ! un crime quand il s’agit d’une obstruction à la justice C’est pas vrai : il ronfle celui-là, et copieusement ! Certaines communautés religieuses font vœu de silence Pourquoi elle rit cette gourde ? On dirait une hyène croisée avec une otarie ! vœu de silence pour mieux se dévouer à la Parole divine ou à leur voix intérieure Mais qui tourne les pages comme un possédé ? C’est quoi son livre ? La musique des sphères… Connais pas ! leur voix intérieure, accédant ainsi à un autre niveau de communication et de spiritualité Prends du sirop Coco ! Tu vas t’arracher la gorge à tousser comme un tuberculeux ! Socrate se taisait pendant des années Raccroche !!!!! élaborant dans son esprit les théories qui ont fait son renom dans la Grèce Antique Madame Caquet discute avec le proviseur ! Dans la bibliothèque ! Je rêve ! et ses disciples admiraient son incroyable faculté Tu ne veux pas arrêter de gribouiller, c’est irritant le bruit de ta mine sur le papier ! son incroyable faculté de concentration Si Thomas a quitté ta copine, c’est qu’elle le mérite, alors console-la vraiment ! J’en ai assez de l’entendre chouiner ! De même, on connaît l’historien Tacite Et elle renifle en plus ! ainsi surnommé car il s’exprimait peu, mais toujours de façon constructive C’est quoi cette sonnerie ? La récréation ? Déjà ? Un proverbe latin dit d’ailleurs Ils peuvent pas jouer au foot sans hurler ? Un proverbe latin dit d’ailleurs encore un but ? Un proverbe latin dit d’ailleurs : verba volant, scripta manent, ce qui Encore cette sonnerie ! Fin de la récréation ! Enfin un peu de calme ! ce qui rappelle qu’il faut être circonspect dans les circonstances où il serait imprudent de Mais vous pouvez pas retenir la porte au lieu de la laisser claquer ? Bande de sauvages ! imprudent de laisser des preuves matérielles d’une opinion ou d’un fait LA PORTE !! écrire ou parler sont deux dangers : l’écrit peut être Toujours le tuberculeux ! A tes souhaits ! peut être produit comme preuve matérielle, la parole s’envole, donc Mouche-toi maintenant ! donc peut être saisie par tous et interprétée en défaveur de celui qui l’a émise Eh, l’angoissé, tu peux arrêter de pianoter sur le bureau ! T’apprendras pas mieux tes maths ! Pour rester chez les Antiques, rappelons que l’éloquence La prochaine fois qu’il fait une bulle, je l’explose ! était la marque d’un grand orateur bien qu’il existe le risque qu’elle dévie Je t’aurai prévenu le mâcheur fou !!! qu’elle dévie et devienne de la pure rhétorique sévèrement jugée par Socrate selon lequel Et tu n’es pas capable de la soulever ta chaise ? T’es complètement manchot ou simplement trop feignant ? selon lequel le rhéteur est capable de parler de tous les sujets sans en maîtriser aucun ce qui n’est pas la preuve d’une grande intelligence mais l’évidence qu’il suffit Toujours pas consolée l’autre ? Il reviendra pas ton Thomas, alors arrête de pleurnicher ! qu’il suffit d’être en présence d’un public non spécialiste pour passer pour un érudit à grand renfort d’effets verbaux C’est quoi ce bruit ? Y’a des rats dans les combles de la bibliothèque ? Le silence est aussi une violation des libertés quand il est imposé Des rats ou des poneys ? quand il est imposé et qu’il s’apparente à une négation de la libre expression des opinions ou à la censure. Y’a tout le cirque Pinder au-dessus ? Réduire une personne au silence, c’est la réduire au statut d’animal, la déconsidérer et nier sa capacité à produire et émettre des pensées dignes d’intérêt À tes souhaits ! Encore une fois ! Les régimes totalitaires sont connus pour leur propension à réduire au silence tous les opposants de l’ordre en place : les artistes, les intellectuels, les étudiants, Que quelqu’un lui donne un mouchoir ! ces trois catégories de personnes étant considérées comme opposantes puisqu’elles proposaient souvent des modèles différents ou osaient simplement émettre un avis qui n’abondait pas dans le sens Elles ne sont pas doublées les vitres ? On se croirait dehors ! dans le sens du régime C’est pas le printemps, alors allez roucouler ailleurs les tourterelles ! Un verset tiré du psaume CVX dit : Omnis homo mendax, ou tout homme est menteur, ce qui équivaut à discréditer la parole Les tourtereaux aussi, du balai !! à discréditer la parole et à considérer l’homme comme un éternel pécheur C’est pas vrai, une mouche maintenant !! Selon l’adage populaire, le silence est d’or et la parole est d’argent. Au terme de cette réflexion, il est intéressant de Et elle est venue en famille ! Du vent la mouche ! de constater que le silence, même s’il est de tout temps reconnu comme un bienfait Encore un téléphone ! On dirait un standard cette bibliothèque ! comme un bienfait, ne se pare pas de toutes les vertus. La parole vaut parfois davantage qu’un silence forcé et coupable Moi aussi j’embrasse ta sœur ! Raccroche maintenant ! A trop vouloir se taire, on finit par ne plus rien avoir à dire.

« – Mademoiselle Cassandre, j’attends votre devoir. »

Quelle langue de vipère ce prof !

Devoir creux et sans véritable progression démonstrative. Vous versez trop facilement dans la facilité : Vox populi, vox dei ! Méfiez-vous jeune fille : quand vous avancez un argument, ce qui reste au demeurant assez rare, veillez à être certaine de vos sources et à être en mesure de le soutenir. Votre travail révèle votre incapacité à entendre les conseils de vos professeurs : ils sont la voix de la sagesse ! Contentez-vous désormais d’écouter en cours, et vous apprendrez davantage qu’en regardant voler les mouches !

Résumons : beaucoup de bruit pour rien !

Texte de Lacroute :

Caméléon jazz

C’était avant que l’on ne me renvoie, pied au cul, vers les tripots et les bordels du ghetto noir.

J’habillais, tous les soirs, le silence du Styx Paradise Theater sur Main Street, de notes cristallines et sautillantes, d’accords plaqués sombres ou romantiques. C’était mon job de donner, en direct, du son aux images muettes en noir et blanc qui défilaient sur l’écran.

Fidèle au poste je l’étais depuis presque vingt ans, bien avant que Buster Keaton ne tienne l’affiche en 26 avec le « Mécano de la « Général ». . Le 25 images/seconde, alors, se refusait encore au parlant. Le muet allait, sous peu, se faire greffer des cordes vocales.

Un autre monde allait s’ouvrir, le mien sombrer, à peine un an plus tard, à quelques encablures du Jeudi Noir de la Grande Dépression. Sacrée perspective pour ceux qui vivaient du muet et ne pourraient pas s’adapter. Mon pain quotidien c’était ce silence que la technique n’avait pas encore comblé des voix d’acteurs, du bruit des autres et du monde, de musiques dédiées..

Le boss du Styx, un gros blanc bien gras, cigare et queue de pie, voulait du ragtime New-Orleans et un noir au piano pour illustrer ses « Charlot », ses Ganz et Metropolis. Cà encanaillait l’endive et faisait rentrer le blé.

Mes dix doigts, un clavier, un peu de swing pour un public de blancs. Merci aux frenchies’s brothers d’avoir inventé le nitrate d’argent sur la pellicule, la manivelle et les bobines. Tant qu’il n’y aurait pas un pavillon de gramophone sur le projo, j’aurai du boulot. Du genre à me rapporter, d’un dimanche l’autre, mon tabac à chiquer et une ou deux bouteilles de Whisky à planquer sous le polochon de la chambre d’hôtel.

Je me tenais, le cul sur le tabouret du piano droit, au pied et face à la grande toile blanche qui faséyait sous l’assaut des courants d’air, levant les yeux tout là-haut vers les cintres et le ciel des coulisses, m’imprégnant des hautes silhouettes mimant théâtralement sur les mailles du tissu le grand cirque de la vie .

Le projo tout là-bas, derrière les rideaux de fumées caressant les silhouettes des premiers rangs, comme un rond soleil blanc stroboscopique, clouait d’images changeantes la silhouette assise du pianiste à l’ouvrage. J’étais un caméléon dépourvu de pigments colorés, giflé de taches noires, blanches et grises sans cesse en mouvement. J’habillais de dissonances en larges accords plaqués sur les basses les scènes teintées de drame, de gais sautillements jazzy les instants burlesques.

Les premiers signes du désastre sont venus en 27 d’un russkof, la gueule barbouillée de cirage noir, qui paradait à l’écran sous le titre « le chanteur de jazz », mimant, chantant et surtout caricaturant ma musique. C’était le premier bout parlant. Je ne pouvais pas le prendre au sérieux et pourtant. Il disait: « Attendez un peu, vous n’avez encore rien entendu » et moi encore rien vu.

Le silence s’est alors replié sur votre serviteur qui avait donné sa vie pour qu’il s’habille des sons de l’arc-en-ciel, même si la couleur à l’écran ne viendrait que bien plus tard sans faire autant de dégâts.

Texte de Tchippy :

Amutisme

Et encore, elle me frappe. Et encore une gifle, une autre, sur ma joue qui encaisse et me brûle. Elle crie, ses lèvres bougent, sa voix suraigüe me vrille les tympans. Mais qu’est-ce que j’ai encore fait ?
La dernière fois c’était quand elle avait vu tous ses colliers précieux attachés les uns aux autres se dévidant dans toute la maison comme un fil d’or.
La fois d’avant c’était quand j’avais planté dans le gâteau de la fête de la petite fille toutes les fourchettes en plastiques prévues pour le goûter. Il y en avait huit. Je les avais mises juste à côté des bougies, et elle était entrée dans une colère noire, m’avait frappé et enfermé dans ma chambre. Mais pourquoi ? Elle avait bien planté des bougies, dans ce gâteau, pourquoi je n’aurais pas eu le droit d’y planter des fourchettes ? D’ailleurs, la petite fille avait applaudi en voyant ce que j’avais fait. Elle était contente, et m’avait réservé une part de gâteau en cachette pour me remercier.

Je ne compte plus le nombre de fois où elle a crié, sans que je sache pourquoi, je ne compte plus le nombre de bleus sur mes jambes fleurissant à cause de ses coups de pieds (trois sur la jambe droite, sept sur la jambe gauche), les bosses sur mon front (deux), ni les gifles qui font mal, longtemps après.

Et puis il y a lui, qui crache de la fumée comme les dragons des dessins animés (celui de la Belle au bois Dormant, celui de Shrek, celui du poster de ma chambre), qui sent le brûlé come les tartines du matin que je mets à griller force quatre pour les avoir de la bonne couleur, et qui ne dit jamais rien. Il me regarde, soupire, et retourne plonger le nez dans le grand papier froissé imprimé en noir et blanc qui lui tient compagnie et qui lui noircit le bout des doigts.

Encore, des cris. De nouveau, elle lève la main. Je me roule en boule sur le sol pour me protéger, je plaque les paumes sur les oreilles. Cette voix aigüe qui grince ! Et pour ne plus l’entendre je tords mon visage et je me mets à crier. Souvent, elle s’arrête de frapper quand je crie, elle me laisse tranquille. Et après la petite fille s’assoit à côté de moi et murmure. Elle finit toujours par me tendre la main, mais il n’y a rien à prendre dedans. Je ne sais pas ce qu’elle veut et j’ai l’impression qu’elle est triste quand elle s’en va.
Heureusement qu’il y a la petite fille. Elle est gentille, elle.
C’est elle qui un jour m’a apporté un tube doré qui vibre quand on souffle dedans. Elle m’a montré comment faire du bruit avec. Je n’ai pas compris tout de suite mais après je l’ai caché pour ne pas qu’on me le prenne, et pour pouvoir souffler dedans quand je suis triste. C’est-à-dire pratiquement tout le temps.
Ce qui m’étonne, c’est que quand je fais du bruit avec, la petite fille vient tout de suite et s’assoit à côté de moi. Elle écoute, et après elle m’apporte des bonbons (ceux qui sont acidulés, ceux qui font des bulles et qu’il ne faut pas avaler mais que j’avale quand même, ceux qui collent aux dents tellement fort que des fois j’ai peur de rester coincer toute la vie), ou des biscuits (ceux qui sont salés, ceux qui ont des petits morceaux de sucre sur le dessus ou ceux qui font des miettes que je suis obligé de cacher sous ma descente de lit pour qu’Elle ne se mette pas en colère).

Il n’y a qu’une seule fois où ce que j’ai fait ne l’a pas fait crier : c’est le jour où elle a ramené un étranger à la maison. Il avait une grosse boite noire allongée qu’il a mise dans l’entrée, et pendant qu’il buvait un café dans une tasse blanche avec lui et Elle, la petite fille et moi avions ouvert la boite noire.
Il y avait dedans un objet étrange, brillant, aux teintes chaudes du bois, avec des fils raides tendus de bout en bout. J’avais vu le même à la télé, des gens faisaient des bruits de musique avec. Ils utilisaient un petit morceau de bois pour ça, et comme je voulais aussi faire de la musique, j’ai cherché ce morceau de bois partout dans la boîte. La petite fille commençait à avoir peur, elle m’a fait signe qu’elle voulait partir. Je ne l’ai pas écoutée, et j’ai trouvé le morceau de bois. Je me suis levé, j’ai sorti de la boite le gros instrument, il était lourd, mais j’ai quand même réussi à le caler sous mon menton. J’ai posé le petit morceau de bois sur les cordes, comme je l’ai vu faire à la télé. La petite fille pleurait presque, elle faisait des petits bruits étranges et mouillés. Je n’y ai pas fait attention. Ce que je voulais essayer était bien plus important que sa volonté. Je me suis concentré, et j’ai bougé la main qui tenait le petit morceau de bois. Un son est monté, puissant, plus puissant qu’à la télé. La petite fille tremblait. J’ai continué, j’ai bougé mes doigts, mon poignet, des notes sortaient, j’avais réussi !
L’inconnu est sorti en courant du salon, livide. Elle et lui l’ont suivi, rouges comme des cerises. Tous les trois côte à côte, avec leurs têtes colorées, on aurait dit les sorbets que la vieille dame me sert tous les étés et qu’il faut se dépêcher de manger pour avoir le goût frais, avec les deux boules rouges et la blanche au milieu.
J’ai continué. Elle s’est apprêtée à crier, alors j’ai eu peur et j’ai voulu reposer le tout.
Le monsieur que je ne connaissais pas s’est approché, tout blanc, et a retenu le lourd objet sur mon épaule. Que voulait-il ? Il a commencé à remuer les lèvres, à faire des bruits. J’ai eu peur. J’ai reculé. Il a tendu une main, et a souri. La petite fille, derrière, ne pleurait plus. Elle avait la bouche grande ouverte, on aurait dit les poissons comme Némo et dans Gang de Requins, et comme celui qui est out rouge et qui tourne sans arrêt dans un bocal de la cuisine.

L’inconnu a tiré doucement le petit morceau de bois, il a redressé le gros objet lourd sur mon épaule et a fait un petit mouvement avec la main. J’ai fait le même et un autre son est monté de l’objet. Il a souri. Et moi j’ai continué à bouger la main et les doigts, et on aurait dit que la musique reculait, avançait, comme si elle ne savait pas qui faire, et puis quand j’ai vu que Elle et lui n’étaient pas en colère, que la petite fille était contente et que l’inconnu souriait, la musique a sautillé de joie, a tourné encore et encore, de plus en plus vite, même si elle trébuchait elle se relevait, dansait, sautait, riait aux éclats avec le rire de la petite fille, ouvrait grand la bouche avec les lèvres d’Elle, et souriait comme l’inconnu pour le remercier de l’avoir libérée.

Et quand j’ai été fatigué et que j’ai eu mal aux doigts, la musique a ralenti, essoufflée, elle s’est assise sur le lino de l’entrée et s’est endormie. Et pour ne pas la réveiller j’ai posé tout doucement les instruments par terre, devant l’inconnu et Elle et lui, et j’ai regardé la petite fille pour savoir ce qu’elle en pensait.
Elle avait un air bizarre, mais contente. Alors j’ai été content aussi.

L’inconnu est revenu, souvent. Il m’a appris, sans jamais me toucher, à positionner mes doigts sur les cordes d’un instrument plus petit, plus adapté. Il m’a appris à bouger le petit morceau de bois sur les cordes pour les faire vibrer et chanter au rythme des notes et de ma musique intérieure. A chaque fois j’apprends plus encore que la fois précédente, je sais reproduire n’importe quelle musique que j’entends, mais impossible de comprendre les taches et les dessins et les lignes qu’il me tend, noires sur les feuilles blanches. Comme ça m’énerve de ne pas comprendre je préfère ne pas les regarder. Impossible également de me balancer en rythme avec mes mouvements, comme il le fait. Ses mouvements ont l’air si fluides, si aisés ! Mais si je bouge la musique m’échappe et tout s’arrête, et la musique me manque quand elle n’est pas là… Alors je me tiens droit et raide comme les cols amidonnés de mes chemises, et la musique parle pour moi.
Parce que eux savent, échangent, remuent les lèvres et émettent des sons avec leurs voix à eux, avec des gestes et des rires, et moi je ne comprends pas leurs mouvements, je ne comprends pas leurs sourires ni leurs larmes, et encore moins les sons qui sortent de leurs gorges et que forment leurs lèvres.
Moi je n’ai pas besoin de ces sons puisque je n’ai besoin de rien. Et je ne prends pas le risque d’avoir besoin de quelque chose, j’aurais trop peur qu’Elle s’énerve et me frappe en retour. Je prends ce qu’il y a. Et je joue ma musique.

Et depuis que j’ai le petit tube doré offert par la petite fille, depuis qu’Elle me laisse tranquille avec tout ce qui a trait à la musique, que l’inconnu vient à la maison pour faire des instruments une autre partie de moi, je garde toujours le petit tube doré dans ma poche, et quand quelqu’un approche je souffle dedans, et c’est comme une renaissance, j’ai l’impression qu’ils savent ce que je pense mieux qu’ils ne l’ont jamais su, ils n’ont plus besoin de faire semblant de m’avoir compris et de faire des choses que je n’ai jamais demandées. A ce jeu c’est la petite fille qui excelle, des que je porte le tube à ma bouche elle accourt et écoute, fait les mêmes bruits avec sa bouche, et elle lit dans mes pensées.

Elle croit que la musique est mon moyen d’expression privilégié, elle parle de dauphins, de médicaments et de contacts. Tout cela me fait peur. Je veux simplement rester avec mes instruments et ma musique, tranquille, puisque je suis heureux comme cela. C’est le monde qui est autiste. Moi je suis normal et je l’ai toujours été. Ce sont les autres qui n’ont jamais su décoder mes silences. Les gens sont vraiment étranges, pour que lire le silence leur nécessite de la musique.

Texte de Clair de Plume :

Marlène reposa le combiné sur son support
– Qui c’était ?
– Personne. Enfin, si, comme d’habitude.
– Encore lui ?
– Ou elle. Comment savoir ? I l- elle – ne dit jamais rien. Il attend qu’on raccroche. Qui ça peut bien être ?
– Bon, moi, il faut que j’y aille.
Cyril posa sa tasse et enfila son blouson.
– Le numéro s’est affiché ?
– Oui, mais c’est encore un nouveau. Et Internet ne donne pas de nom d’abonné. Il appelle sans doute à partir de lignes intérieures.
– Ça commence à bien faire, ces appels anonymes.
– On devrait peut-être porter plainte…
– Et après ? On n’a pas été menacé. Les flics vont nous envoyer promener. Ça y est, je suis à la bourre. A ce soir, mon amour.
Marlène referma la porte de l’appartement. Vivement que je retrouve du travail, songea-t-elle. Je ne serai plus obligée de rester toute seule ici avec ce taré qui appelle tout le temps.
Elle alluma l’ordinateur et se mit à consulter ses mails.
Une demi heure plus tard, le téléphone sonna.
Marlène sursauta violemment.
Non, ce n’était plus possible de se mettre dans un état pareil à cause d’un pervers ! Quand on est à la recherche d’un travail, on espère les coups de fil, on ne les craint pas !
Elle regarda le numéro affiché sur l’écran du combiné. Un portable.
La jeune femme laissa retentir la sonnerie. Cinq fois.
Et si c’était pour un entretien d’embauche ?
Dix fois.
Ah, non, c’était insupportable, à la fin !
– Allô ! !
Silence.
Elle se mit à frissonner, et s’en voulut aussitôt de ressentir de la peur. C’était ce qu’il voulait.
– Qui est à l’appareil ? Mais répondez, enfin !
Silence.
– Pourquoi faites-vous cela ? Laissez-moi tranquille !
– Monsieur Lambert, je vous y prends !
On interpellait son mystérieux correspondant.
– Allons, Monsieur Lambert, soyez raisonnable, donnez-moi ce téléphone. Merci, vous êtes un bon garçon. Allô ?
Marlène faillit à son tour rester muette de surprise.
– A… allô ?
– Bonjour, Madame. J’espère qu’il ne vous a pas trop importunée.
– Qui est à l’appareil ?
– Je suis soignant dans une clinique psychiatrique. L’homme qui vous a appelée est un de nos patients. Il travaillait pour un centre d’appels de France Télécom, et il a fait une grave dépression. Il va mieux, mais il ne peut s’empêcher de téléphoner. Il choisit un numéro au hasard, et il appelle les gens plusieurs fois de suite, sans rien leur dire. Nous avons bien entendu débranché le téléphone dans sa chambre, mais il parvient toujours à utiliser celui des autres malades, ou à emprunter un portable.
Bon, je ne vais pas vous retenir plus longtemps. Je vous prie d’accepter toutes nos excuses pour le dérangement. Au revoir, madame.
– Au… au revoir.
Marlène raccrocha, stupéfaite. Le téléphone retentit à nouveau avant qu’elle ait eu le temps de revenir de sa stupeur.
– Oui, allô ?
– Madame Molinard ?
– Oui, bonjour.
– Bonjour. Je vous appelle à propos de votre candidature pour un poste d’opératrice d’appel.
– Ah, oui… je… écoutez, je regrette, mais j’ai trouvé un autre emploi… Oui, je commence demain. Merci. Je vous en prie… voilà… au revoir.

Texte de Bibalice :

Silence

« Je suis anonyme sur le moment
On m’appelle le soi-disant… « 

Dans la nuit noire de mes phantasmes
Sur blanche page j’ai tout noté
Ombres et absences
d’une vie passée
Dans mon langage, mes écritures
j’ai tout écrit et tout porté
Montré courage et violence
Quand ils ne voient que ratures
Car pour eux toujours je suis Silence

Je fais musique dans mon cerveau
Et dans mon cerveau seul
Je fais valser les foules
Sur des marées immenses
Je crois entendre un murmure
Mais c’est celui de mon errance

Alors j’efface mes messages, j’efface mon cœur
Mes cris de rage ne font pas peur
J’efface la vie, j’efface la mort
Je bouge mes lèvres mais rien ne sort
Mes cernes bleues et mes joues rouges vous le diront
Que le silence est mon nom
Ma pluie, ma peine, mon paillasson
Ma ville, mon voile vous le diront
Quand vient la vie je fais silence

Dans mon corps et dans mon âme
Font une ronde
Tous les Gainsbourg du monde
Mais j’ai tout dans la tête
Rien dans la voix
Quelques éclairs quelques secondes
Et puis plus rien
Aucune trace jusqu’au matin

Alors J’attends, j’entends
Des cris, des hurlements
J’attends demain
Enfin quoi le silence
Quand tout s’éteint

Suite au prochain épisode !



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