Magazine Europe

Entre la Kasbah et la Koubba : Une différence spatiale significative

Publié le 04 avril 2011 par Naceur Ben Cheikh

Entre la Kasbah et la Koubba : Une différence spatiale significative
Entre la Kasbah et la Koubba : Une différence spatiale significativeParmi les mots nouveaux que la Révolution tunisienne a introduit dans le langage politique, il y a lieu de remarquer la signification particulière que l’on commence à donner à la Kasbah d’un côté et à la Koubba de l’autre. Pour la première, il s’agit d’un rassemblement –campement sur les lieux, que l’on organise Place de La Kasbah dont une partie est constituée par une petite esplanade ombragée et agrémentée d’un parterre fleurie et d’une fontaine, les deux de dimensions modestes, et sur laquelle ouvrent les portes du Premier Ministère et du Ministère des Finances.

Cette esplanade donne, par ailleurs, sur deux rues de la Médina dont une discrète, porte le nom de Dar El Jeld et permet l’accès à des quartiers d’habitation dans lesquelles se trouvaient les résidences des grands notables qui ont servi durant plusieurs siècles les dynasties successives qui ont pris Tunis pour capitale. La seconde rue, porte le même nom que la place (Rue de la Kasbah) et constitue l’unique voie passante qui permet l’accès aux différents souks qui constituaient et constituent encore le lieu d’une activité économique dont le sens dépasse de loin la vocation commerciale de ces espaces d’échange, mais également de production.

Voilà, pour ce qui est de ce lieu mythique qu’est la Place de la Kasbah et dont l’appellation se décline, depuis la Révolution, en termes de « Rassemblement-campement » destiné à faire pression sur le pouvoir de transition, en vue de faire aboutir des revendications dont le caractère politique certain n’a, pour contenu que le souci permanent de « protéger la révolution, des différents complots que l’on trame contre elle, dans les couloirs discrets des ministères et des administrations. » En consacrant l’appellation « Kasbah » à la signification d’une manifestation à caractère politique, que l’on pourrait rééditer autant de fois que l’exige le « devoir sacré de protection de la Révolution », on transforme un « espace lieu », en « action dans le temps », à partir de laquelle, on ponctue les différents moments d’une Révolution dont on écrit l’Histoire sous forme de « Kasbah 1″, « Kasbah 2 et Kasbah 3.

Au passage, on fait oublier les caractéristiques particulières de cet espace concret et que j’ai tenu à rappeler précédemment, pour pouvoir dire à présent qu’on ne peut considérer la série de « Kasbah politiques » comme des manifestations pacifiques de libre expression que tout régime démocratique doit respecter et même protéger.

Occuper la Place de la Kasbah à Tunis, c’est, en fait, recourir à un véritable « forcing » qui consiste à « assiéger » les deux plus importantes administrations du pays (Premier Ministère et Ministère des Finances) et étouffer l’activité économique de la Médina. Ce que le Gouvernement a l’air de ne plus laisser faire, ce n’est donc pas l’acte de manifester pacifiquement pour exercer son droit à la libre expression, mais le recours au « forcing » qui est nuisible à la liberté d’expression. Celle-ci ne peut se revendiquer comme un droit que dans la mesure où celui qui veut l’exercer reconnaisse ses limites.

Venons-en, à présent à la Koubba. Il s’agit d’un complexe sportif, proche d’un circuit de santé intégré dans un espace vert, où le dimanche on vient pratiquer son footing. Situé à mi chemin entre le Centre ville traditionnel et les nouveaux quartiers résidentiels, il s’apprête bien aux grands rassemblements, aussi bien sportifs que politiques. C’est en quelque sorte le « Gambetta » (du côté de Mohamed V) du nouveau Tunis d’après l’Indépendance. C’est donc tout naturellement que ceux qui se proposent d’exprimer leur soutien au gouvernement provisoire en ont fait un lieu de rendez vous, après le travail, en vue d’exercer leur droit à la libre expression politique, par les moyens pacifiques appropriés.

D’aucuns, parmi les collègues blogueurs, oublient cet aspect topographique de la libre expression politique et résument La Kasbah et la Koubba dans une opposition entre deux regroupements presque spontanée de citoyens de bords et d’intérêts différents qui expriment, en toute démocratie leurs points de vue respectifs. De la sorte que l’on passe sous silence, ces détails qui font la différence entre « la liberté d’expression », « la liberté de manifestation pacifique » et le « recours au forcing » qui consiste à prendre en otage, en les assiégeant, les gestionnaires de la transition pacifique vers une Tunisie que nous voulons tous la plus nouvelle possible.

Sans parler des autres types de forcing qui prennent les formes de grèves sauvages, ou bien de fermeture d’autoroute à la circulation par des manifestants qui prétendent agir pour protéger l’environnement contre les rejets toxiques d’une usine proche.

Entre les « Kasbajistes » et les « Koubbajistes », il n’y a pas seulement une différence d’opinion mais aussi une différence qualitative de pratique politique. Continuer à ignorer cette différence c’est cultiver un flou conceptuel qui ne peut que nuire à l’activité créatrice de nos jeunes révolutionnaires. Même si certains aurait tendance à croire, avec T.W.Adorno que le « Nouveau est toujours aveugle », je continue à penser que la lucidité et la vigilance critique sont nécessaires à celui qui veut faire accoucher la réalité d’aujourd’hui de son lendemain.

Un lendemain que l’on voudrait « autre ». Radicalement Autre.                                                                                             Naceur Ben Cheikh


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Naceur Ben Cheikh 11022 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog