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Premier parti de France

Publié le 05 avril 2011 par Copeau @Contrepoints

Avec près de 55 % de non votants, les abstentionnistes constituent le premier parti de France.

Mais ont-ils quelque chose en commun autre que l’amour inconsidéré pour la pêche ? Est-ce un parti ?

Je ne suis pas d’accord avec ceux qui condamnent l’abstention en arguant de ses dangers pour la démocratie. Aux États-Unis, un taux d’abstention de 60% à l’occasion de scrutins nationaux est fréquent. Le politologue Peter Aranson avait expliqué cette attitude en parlant d’« ignorance rationnelle » : les citoyens font la comparaison entre d’une part ce qu’il leur en coûte pour se renseigner sur les programmes, les candidats, et aussi pour aller voter, et d’autre part ce qu’ils peuvent attendre de leur vote. Beaucoup d’entre eux pensent que la politique ne peut rien pour eux, et ils ont perdu toute confiance dans les politiciens. Cela n’empêche pas les États-Unis d’être une grande démocratie, car la démocratie ne se limite pas à l’expression d’un suffrage majoritaire, elle s’entend aussi de l’État de droit, de la protection de la liberté et de la propriété, et de la limitation du pouvoir par des règles constitutionnelles respectées.

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(Illustration René Le Honzec)

Les Français sont plus volages, et il leur arrive, comme en 2007, d’aller massivement aux urnes (avec moins de 20% d’abstention). Pourquoi donc cette nouvelle poussée d’abstention ?

Une explication tient au faible intérêt représenté par les élections cantonales : on est dans la logique d’Aranson, on ne se dérange pas pour des élections qui n’ont ni l’attrait de la proximité (comme les municipales) ni l’importance nationale (comme les présidentielles et les législatives).

Il y a donc une composante structurelle : des gens qui ne sont pas habituellement motivés par les enjeux électoraux, et qui ne sortent de leur réserve que quand le jeu en vaut la chandelle.

Mais je crois aussi qu’il y a une composante conjoncturelle, parce beaucoup d’électeurs ont voulu émettre un vote-rejet, et c’est apparemment le Président de la République et sa majorité qui ont été rejetés. Ces électeurs n’ont pas voulu voter pour la gauche, ils n’ont pas davantage voulu du Front National, à cela près que l’aversion pour le Front a été parfois moins forte qu’à l’égard de la gauche, comme le montrent à la fois la hausse du taux d’abstention entre les deux tours et le supplément de voix obtenu par le Front au deuxième – le principe du « Front Républicain » n’ayant pas toujours convaincu.

Cela conduit à se demander où sont passés les électeurs de l’UMP et d’où sont venus les électeurs du Front.

Incontestablement, on va retrouver un grand nombre de personnes ayant voté pour Nicolas Sarkozy en 2007 dans les rangs des abstentionnistes : c’est sans doute le plus gros de la composante conjoncturelle de l’abstention présente. Mais aussi un grand nombre de personnes déçues par l’action gouvernementale (dont tout le monde sait qu’elle se commande à l’Élysée) ou qui n’aiment pas le style du président (souvent le Premier Ministre lui est préféré, car son style est tout à l’opposé) sont allés voter pour le candidat du Front : une occasion de dire son désaveu sans provoquer un séisme national.

L’habileté de Marine Le Pen a précisément consisté à réunir sur sa formation un électorat tout à fait hétéroclite : les frontistes historiques, ardents nationalistes, les électeurs de l’UMP déçus, et enfin les électeurs de gauche et extrême gauche sensibles au discours anti-immigration, anti-mondialisation, anti-européen et anti-capitaliste que la présidente du FN n’a cessé de radicaliser depuis quelques mois.

Ma bonne ville de Marseille illustre bien le phénomène. Traditionnellement autour de 20% dans les consultations électorales, le Front est descendu à 6% au moment des européennes, il a dépassé 30% cette fois-ci. Les voix se sont concentrées dans les quartiers Nord (électorat communiste) et les quartiers Sud (électorat de droite libérale). C’est dans le Var, département qui avait recueilli le plus de voix pour Nicolas Sarkozy en 2007, que le Front a dépassé les 30% au premier tour et obtenu à Brignoles un siège au Conseil Général.

Je ne sais pas si vous partagerez mon analyse spectrale de l’abstention et des motivations des électeurs français. Mais vous conviendrez sans doute avec moi que la vie politique française manque réellement de lisibilité. Les programmes et les actions sont tellement flous au niveau des partis eux-mêmes, imprévisibles et divisés, que les électeurs ont bien du mal à s’y retrouver.

Je pense que c’est ici, et ici seulement, qu’est le danger pour la démocratie. Car elle finit par ne plus être « représentative » quand les électeurs ne savent rien de précis ni rien de fiable sur les actions et a fortiori les promesses des candidats. Pour l’instant seule l’étiquette est mise en évidence. On ne vote plus pour des produits, mais pour des emballages. On ne goûtera la soupe qu’une fois la boîte ouverte, et elle aura souvent un goût amer.

Le jour où les enjeux électoraux seront présentés de façon claire par les partis et leurs candidats, il y aura moins d’abstentions, et la démocratie sera réelle au lieu d’être formelle. Politiciens de tous partis, sachez le : vous n’avez que quelques mois pour devenir lisibles et crédibles.


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