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Tahar Ben Jelloun : Sur ma mère

Par Gangoueus @lareus
Tahar Ben Jelloun : Sur ma mèreCroquis d'Alessandro Curadi
Voici un roman qui, à prime abord, me paraissait être une lecture tranquille, apaisée sur un sujet certes difficile, Alzheimer, la sénilité d’un proche, mais qui sous la plume de Tahar Ben Jelloun allait connaître un traitement accessible. Sur ma mère est cette narration que le romancier marocain porte sur sa mère rongée par ce mal. Cette maladie où l’individu vieillissant perd ses facultés physiques et mentales. Cette pathologie où l’univers du patient s'enferme dans un passé lointain, écartant le quotidien, oubliant sporadiquement les proches qui chaque jour assiste à la faillite du corps et de l'âme...
C’est un regard sur l’accompagnement de cette femme qui a véritablement un statut particulier pour Ben Jelloun, cette source de bénédiction sur son travail d’artiste. Sa matrice, sa mère. La relation qui le lie à sa mère est très intéressante. Mais le centre de l’attention de l’écrivain est de restituer la dégénérescence du parent aimé. Il raconte donc cette maladie en s’immisçant dans le propos incohérent, répétitif de la mère. Dans ses délires, des morts peuplent la petite maison bâtie au bord d’une falaise de Tanger qu'elle habite, cette demeure chargée d’humidité et se dégradant au fil des ans. Elle se retrouve dans les années 40-50, à Fès, ville qu’elle a tant aimée avec les figures de ses différents époux qu’elle a successivement perdue. On se prend de sympathie pour cette petite dame, assistée par une dame de compagnie de longue date, qu’elle accuse de tous les maux, mais qui lui reste fidèle malgré l’amertume par une sorte de pacte secret qui les unit.
Cette narration devient laborieuse au fil des pages, car l’auteur nous conduit dans les labyrinthes complexes de la mémoire de sa mère, comme Faulkner le fît avec brio dans Le bruit et la fureur en nous narrant le monde vu par un arriéré mental. La performance de Ben Jelloun relève du même principe, de traduire cette vision du monde déformée par la maladie et la résurgence d'un passé enfoui que le fils aimant et assistant sa mère récolte pour en faire la matière d'un nouveau roman. Aussi même si c’est long, le lecteur comprend le sens des cycles qui reviennent, les attentes répétées, les angoisses ressassées et la vie d’une femme du Maghreb mise à nue.
Ce livre peut être traumatisant. Il renvoie à des réalités que l’on préférerait ignorer. Sur la maladie d'Alzheimer, sur la question de l’assistance et de l’accompagnement. On pourrait penser que Ben Jelloun se lance dans une critique de l’orientation de l’Occident vers un parcage des vieux dans des hospices et autres maisons de retraite. Pourtant, son analyse montre que l’accompagnement de sa tendre mère est le fait de mécanisme de solidarité traditionnelle avec tout ce qu'il a de retors et de non-dits, instituant une forme de relation de pouvoir qui profite aux parents du malade. Keltoum.
Tahar Ben Jelloun : Sur ma mère
Les dernières pages sont très belles, très dignes, un vibrant hommage à la mère. Très émouvantes. Elles parleront à toute personne ayant accompagné un proche dans de telles circonstances. Un très grand roman.
Tahar Ben Jelloun, Sur ma mèreEditions Gallimard, Collection Folio, 1ère parution en 2008, 284 pages
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