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Anne B. RAGDE - La Terre des mensonges : 7/10

Par Eden2010
Anne B. RAGDE - La Terre des mensonges : 7/10

Anne B. RAGDE – La terre des mensonges : 7/10

Une ambiance oppressante pour ce roman scandinave qui nous attire dans une ferme norvégienne pour y découvrir la famille Neshov, qui n’a de famille que le nom : trois frères, un père, une petite fille et la mère, mourante.

Nous apprenons à les connaître un membre après l’autre, isolément. La présentation qui nous est ainsi faite de chacun est très symbolique : ils sont tous très différents et vivent leur vie les uns sans les autres, dans une certaine exclusivité. Certains ne se sont pas parlés depuis plus de vingt ans, d’autres ignorent jusqu'à l’existence de la petite-fille, Torunn.

Surtout, le choix adroit de l’auteur de nous présenter l’un après l’autre les membres de la famille nous montre tout d’abord les énormes fossés qui les séparent avant de les réunir autour du lit d’hôpital de la mère.

Ce qui les réunira, c’est donc l’attaque de la mère, Anna, qui se retrouve mourante à l’hôpital peu avant Noël.

Et le devoir familial fait qu’il faut bien se rendre sur place.

Parmi cette fratrie étrange, nous découvrons d’abord Margido. Et avec lui on entre immédiatement dans l’ambiance du livre, on sait si oui ou non on va l’aimer.

Une description neutre, presque distante mais extrêmement détaillée nous fait entrevoir le quotidien de cet homme qui est à la tête d’une entreprise de pompes funèbres. Le roman s’ouvre sur une journée de travail de Margido, le suicide d’un adolescent, terrible drame familial sur le lieu duquel il arrive pour assister les parents plongés dans un terrible deuil.

L’ambiance est immédiatement glaciale, nous touche, nous oppresse.

Nous y sommes, nous sommes présents dans la chambre du jeune adolescent, nous voyons la mère en pleurs, nous sommes secoués par la précision du récit.

Et nous découvrons donc Margido, un solitaire et calme, maîtrisé. Il n’a jamais été marié et ne le sera jamais. Et malgré la proximité de la ferme familiale où vivent encore ses deux parents avec son frère aîné Tor, il n’y va jamais, ne leur téléphone qu’en cas de nécessité. Pour lui, la vie est faite ainsi, sans famille aucune, dans son petit quotidien de bon chrétien qui poursuit sa petite vie correcte.

Ensuite nous découvrons le plus jeune des fils, Erlend, il est d'ailleurs beaucoup plus jeune que ses deux frères et vit à Copenhague avec son compagnon, Krumme. Il n’a pas parlé à un seul membre de sa famille depuis vingt ans. Erlend a quitté la ferme familiale non seulement parce que cela ne l’intéressait pas, mais surtout parce qu’il représentait la honte de la famille, étant homosexuel. A Copenhague il est heureux, il s’épanouit dans son travail de décorateur de vitrine et il y vit avec l’homme qu’il aime. Il admet son bonheur, se complaisant dans les frivolités de la vie. Un homme qui aime vivre et le fait avec un grand bonheur et beaucoup de légèreté.

Tout le contraire de Margido qui ne sait certainement pas comment rire en montrant les dents.

Le troisième des frères, Tor, travaille à la ferme familiale, c’est en fait lui tout seul qui l’exploite. Il s’est lancé dans l’élevage de porcs, ce qui est plus facile que de s’occuper tout seul de vaches. Il adore ses porcs et en parle à longueur de journée. Sa vie est très limitée, il n’a jamais quitté la ferme où il vit avec ses deux parents : sa mère dont il est très proche et qui se charge des tâches ménagères et son père, une ombre qui ne fait que vivre au même endroit et traverser silencieusement les couloirs sans que personne ne lui adresse jamais véritablement la parole. Pour Tor, le père n’est qu’une présence nuisible. En fait, il ne discute qu’avec sa mère, qui est devenue la personne qui prend en dernier ressort les décisions.

Anna, la mère, semble être une femme dure, très travailleuse, le cœur de la maison – ou peut-être plutôt le moteur.

Mais un jour, cette mère omniprésente tombe malade. C’est la première fois qu’elle ne se lève pas, que le café n’est pas prêt. Et finalement, elle fait un AVC et est hospitalisée dans un état grave.

C’est alors que Tor et Margido se voient contraints de contacter Erlend pour l’informer de la situation, mais également Torunn, la fille de Tor, âgée de trente-sept ans.

Et ces quatre personnes si différentes – où plutôt cinq, avec le père resté à la ferme – qui ont évoluée ces dernières décennies loin les uns des autres, se retrouvent tous dans la ferme de leur enfance…..

Ce roman n’est pas un huis clos, et pourtant l’ambiance est tendue, glaciale.

On imagine aisément la petite ferme délabrée, la porcherie, les odeurs, le froid, réel et imaginaire, et on se demande comment les uns vont réagir face aux autres, des frères plus différents encore que le jour et la nuit, des frères qui n’ont pas échangé de mots depuis si longtemps, des frères à qui même leurs enfances respectives n'ont laissés que peu de souvenirs communs, mais beaucoup de souvenirs amers.

C’est un livre calme, mais un calme étrange et froid, tel un lac gelé : il est paisible, couvert d’une épaisse couche de glace, oui, mais sous la profondeur de la glace qui craque, qui sait ce qui y gît ?

La lecture du livre est aisée et il est étonnant avec quelle facilité on peut se glisser dans des univers aussi différents que ceux qui nous sont présentés à travers la fratrie des Neshov. On s’imagine sans peine l’appartement chic d’Erlend, on peut presque le voir nettoyer sa collection de figurines Swarovski, et c’est avec la même aisance que l’on se projette dans la ferme froide et isolée emplie d’odeurs fortes et au temps suspendu.

Un livre scandinave très réussi – et froid.

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