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Nancy Huston, Ultraviolet, Thierry Magnier

Publié le 14 avril 2011 par Irigoyen
Nancy Huston, Ultraviolet, Thierry Magnier

Nancy Huston est décidément un être inclassable. Vous la qualifiez de romancière, elle publie une pièce de théâtre. Vous la pensez dramaturge, elle ajoute un essai à une liste déjà longue de livres entrant dans cette catégorie. Le mieux serait d'arrêter de vouloir ranger dans des boîtes l'œuvre de cette femme si iconoclaste dans ses démarches artistiques. La publication de ce dernier livre en est encore un exemple flagrant.

Nancy Huston, Ultraviolet, Thierry Magnier

La narratrice s'appelle Lucy Larson. Elle a treize ans et tient, comme de nombreux adolescents du même âge, un journal quotidien. Elle y écrit ce qu'il lui est interdit de dire à la maison. Le père pasteur et la mère, bonne épouse, l'interdisent.

Tout m'horripile en ce moment.

… dit la jeune fille qui sent la femme s'installer progressivement en elle.

L'action se passe dans l'Alberta, aujourd'hui plus riche des provinces du Canada mais qui, en 1936, à l'époque où se passe ce livre, est frappée par un double fléau : la crise économique mondiale et la sécheresse.

Le quotidien de Lucy semble bien monotone. Géographiquement d'abord. Humainement ensuite. Tout juste la vie de la famille Larson est-elle perturbée par la venue de quelques invités sans le sou, qui ont faim et auquel le père de la fillette consent à offrir le gîte et le couvert pendant quelque temps.

D'ordinaire, les hommes défilent sans que l'attention de Lucy ne se porte particulièrement sur l'un d'entre eux. Jusqu'au jour où débarque du Québec un certain Bernard Beauchemin, médecin « défroqué ». Lui au moins est digne d'intérêt avec ses histoires de corbeaux un brin morbides. Quoiqu'il en soit, voilà Lucy sous le charme.

La coexistence avec le nouvel intrus n'est pas sans accroître le fossé déjà grand entre la jeune fille et sa famille, sa mère en tête à qui elle reproche de ne pas exister par elle-même, d'être toujours dans l'ombre de son mari, malgré ses dires :

Chaque fois que maman ressort la rengaine du « c'était mieux avant », j'ai envie de lui demander : « Mais alors, si tu aimais tant cette vie-là, pourquoi as-tu épousé un pasteur sans le sou qui avait choisi de s'enterrer dans l'Ouest ? Tu ne te rendais pas compte qu'en prenant cette décision, tu te condamnais à vivre à Ploucsville pour le restant de tes jours ? »

N'en disons pas plus sur cette histoire censée s'adresser à un jeune lectorat. A vrai dire, je pense que cette étiquette « jeunesse » est trop souvent réductrice. Elle laisserait en effet penser qu'un livre publié avec cette mention serait moins profond. Cela peut arriver mais ici, il n'en est rien.

D'abord parce que l'auteure explore le thème de la religion qui, on en conviendra, est parfaitement d'actualité. Religion et foi devrais-je ajouter car on sent dans ce livre un clivage entre l'adhésion à la notion de métaphysique et le folklore lié à la croyance. Ce qui pose quelques questions à Lucy :

Personnellement j'ai toujours trouvé injuste qu'au bénédicité on remercie Dieu pour toutes les bonnes choses qui se trouvent sur la table, alors que c'est maman qui a trimé pendant des heures, d'abord au potager ensuite aux fourneaux, mais bon ! Qui suis-je pour comprendre le comportement des adultes.

Ensuite, Nancy Huston continue son observation minutieuse des femmes. Cette Lucy Larson est une adulte en devenir mais on sent chez elle une prise de conscience précoce quant à son individualité. Elle refuse de ressembler à sa mère, femme réduite à une double fonction : celui de génitrice et d'intendante.

Lucy a une vie intérieure très riche. Non pas qu'elle « bovaryse » mais on imagine la richesse d'un monde qu'elle s'est construit jour après jour. Un monde à part, où la raison l'emporterait, où l'intelligence primerait sur les contingences d'un quotidien bien monotone. Lucy est un être qui cherche la lumière (à laquelle son prénom fait d'ailleurs écho). Elle veut comprendre en s'attaquant à la racine de l'histoire, à la racine des mots. Elle a besoin de savoir d'où elle vient, qui elle est. Où elle peut aller :

Cet homme est mon idéal et il faut que je fasse attention, sinon il va devenir mon idole et ça je ne le veux pas. Idéal vient du grec idein, voir, alors qu'idole vient d'eidolon, image ou fantôme – je veux juste le voir, pas le transformer en spectre pour me faire peur ! Mais le voir, ça, je le veux tout le temps. Sérieusement. Je pourrais passer toute la journée auprès de lui sans m'ennuyer. Quand nous parlons ensemble, les secondes sont longues et les heures courtes : ce doit être ça, la définition du bonheur.

On peut lire ce court roman sans cette grille de lecture – dont je ne prétends nullement qu'elle est la bonne -. Mais on peut y voir, en résumé, une référence à l'un des débats les plus philosophiques qui soit : la fameuse dualité corps / esprit.

Nancy Huston philosophe. Pardon à l'auteure, j'avais oublié ce qualificatif en début de chronique.


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