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Olivier Rolin, Bric et broc, Verdier

Publié le 15 avril 2011 par Irigoyen
Olivier Rolin, Bric et broc, Verdier

 Olivier Rolin, Bric et broc, Verdier

Ouvrir ce livre, c'est en ouvrir plusieurs à la fois tant Olivier Rolin multiplie ici les références à des auteurs qu'il aime tout en nous disant pourquoi. Car c'est bien de cela dont il s'agit ici : un recueil de textes (conférences et articles) autour de questions littéraires. Il avait été invité à les rassembler par Gérard Bobillier - « Bob » pour ses intimes, ancien patron de la prestigieuse maison d'édition Verdier, décédé le 5 octobre 2009 - d'où ce titre :

Fourbi, qui eût convenu, étant déjà pris.

Jamais, et c'est sans doute ce qui rend si délicieuse la lecture de ce livre, l'auteur n'étale son savoir dans le seul but d'impressionner le lecteur. Non, il soulève une question, nous propose un voyage – l'homme est un grand itinérant – dans des univers littéraires où se côtoient Claude Simon, Blaise Cendrars, Victor Hugo, Gustave Flaubert, Marcel Proust, Honoré de Balzac, Curzio Malaparte et bien d'autres encore. Vous ne les avez pas tous lus ? Ce n'est qu'une question de temps car une fois refermé Bric et broc donne envie de combler ce manque de culture.

Il ne s'agit donc pas d'une leçon mais d'un moment de partage que nous offre Olivier Rolin, chercheur infatigable de la beauté des mots.

Je ne vois pas pourquoi écrire si ce n'est en effet pour arriver à de la beauté avec des mots. Il s'agit de savoir si la littérature est un divertissement, un rite social, ou bien un art, l'art des mots. Raconter des histoires, transmettre des idées, témoigner, des tas d'institutions bavardes s'occupent de ça, les grands-mères (du temps au moins qu'elles savaient – ou qu'on les laissait - « raconter des histoires »), l'Université, les médias, le cinéma et même les partis politiques. Tramer de la beauté avec les mots, en revanche, est proprement l'objet de la littérature.

Plus loin :

La beauté est aiguille dans la meule de foin des mots.

Encore :

La beauté est une personne déplacée.

Dans des notes de bas de pages Olivier Rolin critique, complète, explicite d'anciens propos qu'il a tenus. Cette démarche n'est pas systématique mais elle est louable car elle permet au lecteur de mieux comprendre le cheminement intellectuel de l'écrivain – quand je vous dis qu'il s'agit d'un nouveau voyage -, saisir non pas sa méthode (en existe-t-il d'ailleurs en littérature ?) mais ses priorités, l'attention toute particulière portée à tel ou tel thème.

Un poète, dit à peu près Valéry, ne doit pas dire qu'il pleut : il doit faire de la pluie. Dire qu'il pleut, c'est affaire de journalistes (la plupart des romanciers y bornent leur ambition). « Faire de la pluie », c'est ça, la beauté. Dieu, du temps qu'il n'était pas mort, les choses lui sortaient de la bouche. Mort ou pas, les écrivains, le jalousent.

Ce qui frappe dans ce livre c'est l'effort constant de pédagogie. Quand l'auteur avance des arguments et qu'il va chercher là, un élément de réponse, là, une aide, il le fait avec cette volonté d’être compris de tous. Exemple, quand il évoque Barthes et nous, ses lecteurs :

Il me semble que le lecteur est une sorte de Janus bifrons : un de ces visages est en attente de ce qu'il n'a jamais lu encore, qui va le surprendre (et peut-être, comme dit Barthes, le « déconforter », le mettre en crise), l'autre, moins aventureux, plus conservateur, cherche dans le texte l'expression de ce qu'il porte en lui d'inexprimé, la formulation de ce qu'il sait sans l'avoir nettement formulé.

L’auteur dit souhaiter des recherches littéraires transversales. C'est peut-être précisément cela qu'il nous propose ici. On sent que les questions l'assaillent et que, méthodiquement, patiemment, il trouve des réponses chez Barthes, Gracq, Chalamov et les autres. Et qu'importe notre degré de connaissance puisque Olivier Rolin, à l'image d'un grand cuisinier, nous fait découvrir de multiples saveurs littéraires.

La littérature est non seulement ce qui, relativement à notre vie, nous permet d'échapper aux illusions de la caverne, c'est aussi le vrai de la vie, la vie devenue vraie : elle révèle la vie et elle est la vie, elle est moyen et fin, dialectique et Idée.

Ailleurs :

La littérature disperse les obscurités de la fausse vie.

Je n'utilise pas le terme de saveurs par hasard. Car qui dit saveurs dit mise en éveil des sens. Or, Olivier Rolin évoque quelque part la distinction établie par Roland Barthes entre les textes de plaisir (qui donnent de l'euphorie) et les textes de jouissance (qui mettent en état de perte, en crise notre rapport au langage). Et moi, lecteur lambda, je prends mon pied à lire :

Le style, c'est de la langue debout

Ou encore :

Un style, c'est un exil, une sécession.

Toujours sur le même thème :

Le style c'est par quoi l'écrivain tue ses pères.

J'ai aussi trouvé des échos à des propos que l'auteur m'avait déjà tenus lorsqu'il m'avait accordé une interview. Je pense en particulier à l'abandon de la cause militante et de ses formules fermées pour un univers littéraire sans limite. Les mots suivants me semblent réunir harmonieusement les deux notions :

La littérature est « politique » en ce sens qu'elle agit sur le gouvernement des vies.

Et puisqu'il est question de politique :

La politique range (comme semble le suggérer l'expression « mots d'ordre »), le roman dérange.

Vous l'aurez compris, je suis sorti enthousiaste de cette lecture. Bien sûr, le livre pointe en creux mes propres lacunes mais j'y vois surtout un échange privilégié entre un auteur et un lecteur qui, tous les deux, doutent. Doutent par exemple de l'identité mouvante du roman...

Le roman est le territoire où personne n'est possesseur de la vérité (Kundera dans L'art du roman)

… et ce qu'il exige comme investissement personnel :

Le roman, le point de vue romanesque, consiste à considérer l'individu en tant qu'il se soustrait à la communauté ou tout au moins affirme une singularité qui l'en sépare et le fait exister, précisément comme personnage.

Enfin, il y a des passages merveilleux sur la notion de modernité littéraire. Cette attention s'ajoute à la mienne quand je réfléchis à l'exercice du métier de journaliste et, plus généralement aux valeurs de la société actuelle. Du coup, le livre d'Olivier Rolin me semble dépasser le seul cadre littéraire et élargir le champ d'investigation :

La « modernité » d'une œuvre n'implique nullement l'adhésion de l'auteur au discours, aux codes et croyances de son époque.

Plus loin :

La littérature symptomatique est une redondance, un soulignement, elle redouble et accentue les figures à travers lesquelles l'époque se donne en spectacle. Ainsi, on fait de la littérature publicitaire sur la publicité, de la littérature pornographique sur la pornographie, des livres mode sur la mode, des livres people sur les people.

Et les lignes suivantes ne sont-elles pas jouissives ?

Si en tant qu'écrivain je dois m'adresser à mon époque, il me semble que ce n'est pas tant pour lui tendre un miroir que pour lui rappeler ce que sa venue fait disparaître – l'absence dont elle fabrique sa présence, la mort dont elle vit.

Dans Bric et broc, l'auteur rend hommage en ces termes à un de ses pairs :

Il y a des passages de Cendrars qui ont si fortement impressionné ma rétine qu'ils y feront à jamais danser des formes colorées, des flammes de mots.

Je veux ici remplacer le nom de Cendrars par celui de Rolin. Je n'ajoute ni ne retire rien au reste de la phrase.


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