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Fumio Niwa et la vieille dame (très) indigne

Publié le 18 avril 2011 par Mackie

agemechancetesL'âge des méchancetés

de Fumio Niwa, 1947

Folio

Genre : chronique au vitriol

Au lendemain de la guerre, dans une petite ville proche de Tokyo. Senko et son mari vivent dans une maison épargnée par les bombardements. Ils ont la charge d'Umejo, la grand-mère de 87 ans, ce qui leur est insupportable : elle est désagréable, mange comme quatre, ne fait rien à la maison à part chaparder dans les tiroirs et se plaindre sans arrêt. Personne ne sait ce qu'elle pense vraiment, si elle est gâteuse ou juste méchante. Excédée, Senko décide de renvoyer la vieille chez sa soeur Sachiko, qui loue un petit appartement avec son mari. Sachiko n'en veut pas non plus, mais s'incline de mauvaise grâce. Comme prévu, à son arrivée, Umejo leur pourrit la vie. Et ça ne va pas s'arranger... 

  

Ce que j'en pense

A l'objectivité des reportages, je préfère souvent la vérité des oeuvres littéraires. C'est la réflexion qui m'est venue à la lecture de ce court texte, qui présente un Japon débarrassé de certaines généralités dont on l'affuble, à longueur d'articles sur la "dignité", le "patriotisme" et  "l'altruisme" de son peuple. Je ne nie pas que les Japonais, actuellement, déploient effectivement de telles qualités pour faire face aux difficultés qui les frappent ; toutefois je pense que la manière dont cela nous est tartiné à longueur de journaux est un tantinet simpliste, et n'est pas dénuée de sous-entendus, sur notre manque de patriotisme à nous, par exemple. En ces temps où bien des politiques flattent l'électeur dans le sens du poil nationaliste, c'est juste un tout petit peu gerbant.

La fiction, elle, ne ment pas. Elle n'en a pas besoin. La vérité crue, nue, dérangeante, se niche dans la littérature avec bien plus de naturel et d'évidence. Dans la fiction, la vérité se sent chez elle. Elle prend le contre-pied des clichés. C'est exactement ce qui se passe avec l'Âge des méchancetés, au sujet de la prise en charge des personnes âgées par leur famille.

Bien sûr, il s'agit d'un devoir, dans une société où les liens familiaux sont traditionnellement étroits, et où la prise en charge de la vieillesse par les assurances sociales est venue récemment et progressivement. Bien sûr, le Japon est un des pays au monde où l'ont vit le plus longtemps, nous admirons donc comment les Japonais, essentiellement les femmes, s'occupent de leurs vieux.

Mais ce devoir traditionnel est aussi et surtout une charge, financière et relationnelle, pour les familles, faute de solutions. Et les familles, par la voix de Senko et ses soeurs, n'hésitent pas à rêver aux maisons de retraite de l'occident, et à critiquer, en privé, ce "devoir" que la tradition leur impose : "Ceux envers qui nous voulons nous acquitter à la perfection de notre devoir de piété filiale suscitent souvent des maladies dans notre coeur. Cette réalité, il apparaît bien que Confucius ne l'ait jamais considérée". Un peu plus tôt, Sachiko s'exclamait : "Piété filiale? quelle piété filiale? une piété filiale où je serais la seule à tirer le mauvais numéro?" Et tandis que les soeurs, exaspérées, se renvoient la balle, Umejo, celle que tout le monde voudrait enfin voir morte, fait de sa propre vieillesse une arme vengeresse contre le manque de solidarité de ses petits-enfants. Comme si, devinant qu'elle est n'est plus qu'un fardeau insupportable, elle avait décidé d'être encore pire. Je vous fais chier ? Et bien je vais vous en donner pour votre argent... (A noter, ironie du sort, que l'auteur, Fumio Niwa, a lui-même vécu jusqu'à l'âge très avancé de... 100 ans !)

Il en résulte un récit à l'humour noir, sans concession sur la vieillesse, ou plutôt sur la perception de la vieillesse. Car si rien ne nous est épargné des avanies, parfois drôles, parfois juste glauques, qu'Umejo fait subir à ses petits enfants, le doute plane toujours sur ses véritables intentions. Se plaçant toujours du côté de la famille, la narration bute sur le mur d'incompréhension. Ce qui fait que la dernière page tournée, je me demandais encore si c'était du lard ou du cochon, de l'ironie ou un simple constat... Et Umejo, elle-même, est-elle plaindre ou à blâmer? Là est la force de l'Âge des méchancetés : c'est déstabilisant, cru, violent, insidieux. Et, en nous renvoyant à la figure nos propres bassesses, c'est-à-dire notre humanité, c'est  bien plus parlant que l'objectivité des reportages.

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