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Michel onfray : "a côté du désir d'éternité ..." - 2. inscriptions ...

Publié le 19 avril 2011 par Rl1948

   Dans ma volonté de pré-programmer en mon absence trois rendez-vous pendant la pause de ce blog que m'autorise le congé de Printemps dans l'Enseignement belge, je vous ai samedi dernier donné à lire, souvenez-vous amis lecteurs, un premier extrait du séjour que fit le philosophe français Michel Onfray en terre égyptienne et dont il a consigné une partie de ses impressions dans un petit ouvrage intitulé A côté du désir d'éternité. Fragments d'Éypte.

   Nous le retrouvons ce matin en compagnie de quelques célébrités ...

   Je n'ai pas désiré l'Egypte pour ce qu'elle m'a tout de même enseigné de manière oblique : l'existence du corps de Rimbaud. Mais ce fut dans le temple de Louxor que cette sapience étrange me fut donnée, éclairée par un matérialisme expérimenté d'une façon presque mystique. La lumière tombait, le soleil déclinait, et l'ombre masquait déjà un certain nombre de noms écrits dans la pierre, au siècle dernier, par des anonymes dont certains avaient accompagné Bonaparte dans sa campagne de conquête. J'avisai un singulier Champoléon, équivalent sur le terrain linguistique de ce que sont ces figures trouvées en abondance dans l'art égyptien et qui associent le corps d'un homme et la tête d'un animal. Cette étrange trace composée d'un mélange de Champollion et de Napoléon exprime de manière ironique la généalogie de la passion française pour l'égyptologie.

   Rimbaud, ce me fut un éclair de lumière lancé en plein visage, une lame qui coupe l'oeil horizontalement, dans le sens où apparaissent les sept lettres qui font ce patronyme, de gauche à droite.

Signature d'Arthur Rimbaud - Temple de Louxor

   Jamais avant cet instant de feu il ne m'était venu à l'esprit que Rimbaud ait pu avoir un corps, des mains, des doigts, ni le désir d'inscrire les lettres de son patronyme dans le pilier d'un temple antique. Arthur Rimbaud avec une silhouette, une stature, une chair, transportant avec lui une mélancolie infusée dans une épaisseur matérielle, voilà qui me sautait à l'esprit, comme un animal décidé d'en finir avec mon front, alors que jamais je n'avais songé nettement à cette dimension de son existence.

   Habituellement, je retrouve la lecture de Rimbaud dans les moments où ma solitude est la plus grande : les nuits d'insomnie, les heures fades dans des hôtels perdus, loin de tout, aux heures les moins solaires de l'année où s'annonce tout de même une saison qui me fait envisager une résurrection, après l'hiver, ou quand tous les livres me tombent des mains. J'ai lu Alain Borer, bien sûr, plusieurs fois, pour suivre le poète au Harar ou à Aden, au Yémen, en Abyssinie, en Ethiopie, sinon à Java ou à Chypre. J'ai imaginé le voyageur, le nomade, l'errant, l'insatisfait, l'homme brûlé par le désir d'Orient ou d'un ailleurs où le feu soit violent, brutal, intraitable. J'ai songé à lui chaque fois qu'un voyage en avion me faisait survoler la mer Rouge, atterrir en escale à Djibouti ou longer les côtes du Soudan. Mais là, devant ce graffiti de Louxor, ces lettres écrites avec une régularité élégante, et la précision d'un tailleur de pierre, je voyais le corps de Rimbaud en train de graver son nom.

Graffito-Rimbaud.jpg

   Rimbaud, assis sur le sable - car à l'époque, le temple est recouvert jusqu'à ces 2,80 mètres où l'on peut maintenant lire les lignes -, ou debout, mais appliqué, légèrement courbé, attentif à la tâche, scrupuleux, consciencieux, décidé de tracer cet alphabet génial dans le plus pur style sobre. Ascétisme du trait, vertu du tracé, profondeur régulière et calligraphie sacrée. Non loin de Champoléon, Thedenat et autres Découtan, RIMBAUD, en capitales, défie le mythe, dépasse l'histoire fabuleuse et le délire planétaire associé à la figure du personnage, pour triompher en signe tangible, en trace véritable, en preuve possible de l'existence d'un homme qui, à l'époque, a décidé d'en finir avec l'écriture poétique.

     Bien évidemment des censeurs et des pisse-froid ne veulent pas croire à la vérité de cette histoire. Etiemble, par exemple, pour la simple raison que laisser traîner son nom dans la pierre semble plus désir d'imbécile que démarche de génie. Pourtant, Nerval et Chateaubriand y sacrifièrent comme d'autres, moins célèbres, anonymes, qui ont inscrit dans les monuments ce moment dans l'histoire de l'humanité : hier le passage des écrivains romantiques dans une Égypte où l'on pratique le pèlerinage, aujourd'hui les graffitis qui confirment historiquement le basculement sans concession du pays dans le délire grégaire de la lèpre touristique généralisée. Rimbaud, donc, en chair et en os, incarné, prolongé dans le trajet qui conduit du graffiti au corps, comme inversement, il y a un siècle, le corps conduisit à l'inscription.

   Pour les tenants d'un Rimbaud sans désir d'écriture lapidaire, un dossier a été ouvert qui propose toutes les preuves tendant à montrer l'impossibilité de sa présence à Louxor. Partant, l'impossibilité que le graffiti soit de la main d'Arthur, fils de Marie-Catherine-Vitalie Cuif. Toutefois les pièces qui vont dans le sens inverse sont plus nombreuses. La hauteur du graffiti correspond à une hauteur de sable qui elle-même renseigne sur l'époque : il y a correspondance. La proximité du nom génial avec celui d'autres personnages contemporains ayant pu être identifiés ajoute à la précision : il y a coïncidence.

   De même, dans les années où l'on désensable le temple - il y a un demi-siècle -, le nom de Rimbaud signifie peu de chose. Afin que celui-ci ait pu être écrit par un autre à cette époque, il aurait fallu un plaisantin visionnaire, armé d'une échelle, d'un escabeau, d'un échafaudage et d'une infinie patience -elle-même doublée par l'improbable bienveillance d'autorités consentant à pareil exercice ...

Le posthume, le canular, l'apocryphe et le faux paraissent incertains. (...)

 

   Du moins, il aura hanté cette géographie, promené son ombre sous le ciel de Louxor, traîné son âme dans le feu du lieu, abandonné sa rêverie aux eaux du Nil. Avant de repartir, en direction de déserts plus amples, plus sévères, plus rudes - ceux qui lui feront honorer son rendz-vous avec la douleur, la maladie, et la mort annoncée. Dans la letre d'avant Louxor, Rimbaud avait écrit : "Je ne puis plus rester ici, parce que je suis habitué à la vie libre."

Michel Onfray, A côté du désir d'éternité. Fragments d'Égypte, Livre de Poche, Collection Biblio Essais n° 4399, Paris, Librairie Générale Française, 2006, pp. 27-34.

A suivre, samedi 23 avril ...

(Un merci particulier à un ami niçois qui, faute de l'avoir personnellement photographié, m'a fourni le lien vers le  gros plan du graffito de Rimbaud ci-dessus.)

(D'après mes sources et sauf erreur de ma part, M. Onfray aurait ici fait une confusion, sans véritablement grande importance, sauf pour les spécialistes de l'histoire des graffiti, s'il en existe : les signatures de Champoleon, Découtan et Thédenat ne figurent nullement à Louxor, proche du graffito d'Arthur Rimbaud mais se trouvent à Karnak, pour le premier et au Ramesseum, pour les deux autres.)


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