Magazine Journal intime

Couple, cancer, la quarantaine = cocktail explosif

Par Isabelledelyon

Je fête mes 40 ans le mois prochain, c'est déjà fait pour mon mari depuis près de deux ans. La plupart de nos amis sont eux aussi autour de la quarantaine et nous assistons depuis quelques temps à une véritable hécatombe. Ils se séparent ou divorcent. Nous sommes assez impressionnés par cette épidémie qui semble contaminer bon nombre de couples formés depuis de nombreuses années avec enfants. Bien sûr comme tout le monde, nous connaissons les statistiques pas fameuses en terme de couple uni pour la vie mais lorsqu'il s'agit d'un couple d'amis qui semblait harmonieux, équilibré, vivant en bonne entente, le genre de couple modèle, c'est toujours avec consternation que nous constatons que tout ce qu'ils se sont évertués à construire depuis des années volent ainsi en éclat.
La crise de la quarantaine fait son oeuvre.

Toutes les publications, définitions, réflexions (je vous en recopie une à la fin de cet article) s'accordent à dire qu'elle correspond à une étape à mi-chemin de notre vie. A la quarantaine, nous venons de passer des années à "construire" sur le plan familial et professionnel. Peu à peu notre vie s'est installée. Nous étions pris par tous ces engagements, nos journées étaient très remplies. Nous avons enfin l'occasion de faire une pause. Les enfants ont grandi et nous laissent un peu plus souffler, notre carrière a pris son orientation et suit son bonhomme de chemin, plus besoin de faire ses preuves.
Cette pause est l'occasion de faire un bilan. Après avoir essayé d'être à la hauteur des attentes qui pesaient sur nous, des objectifs que l'on s'était fixé, il est l'heure de se demander ce que nous désirons vraiment pour nous en tant qu'individu dans notre vie. Nous avons envie de redonner vie aux possibles auquels nous avions renoncés. Nous cherchons comment nous pourrions nous accomplir.
Malheureusement, ces questionnements peuvent s'accompagner d'un besoin de sensations fortes, d'une irritabilité, d'ennui et surtout d'un rejet de ce qui fait notre vie actuelle à cause des contraintes qu'elle implique.
Nous voulons nous accomplir en tant qu'individu avec la sensation qu'après il sera trop tard.

Forcément le refus de ces contraintes, l'envie de voir si l'herbe est plus verte ailleurs, le besoin de se prouver qu'on peut encore plaire, cet individualisme ne vont pas de paire avec un couple, une famille nécessitant des fondations solides pour continuer à avancer ensemble dans la vie.
Je pense que c'est pourquoi de nombreux couples explosent à ce moment charnière de la vie même s'il semblerait que tous les quarantenaires ne le vivent pas de la même manière.
Il faut certainement une assez grande confiance en soi pour oser faire tout voler en éclats ou un immense ras-le-bol, le sentiment de s'être trop négligé.
Souvent cet état de fait s'est installé insidieusement, sans s'en rendre compte. Pour revenir à un équilibre, il faut repenser sa vie pour qu'elle nous donne l'impression d'être en adéquation avec nos besoins fondamentaux, pour qu'on se sente en accord avec nous-même, bien dans notre peau.
Ce chamboulement peut ne pas être du goût de notre conjoint qui n'aspirent pas forcément à ces envies de changement. Ce besoin de se passer de limites peut amener vers des relations extra-conjugales impardonnables et mener droit à une séparation.

Le couple à la quarantaine vit une période de crise, où ça passe, où ça casse. Il faut certainement beaucoup d'amour, une relation de qualité, beaucoup de dialogues pour arriver à mettre tout à plat ensemble et arriver à repartir sur de nouvelles bases qui conviennent au couple.

Lorsque le cancer vient en plus s'inviter, la crise est amplifiée. Si le conjoint voulait se passer de contraintes, il en a une de plus à subir et de taille. Sans parler de la libido quasi inexistante pendant les traitements qui peuvent l'amener à vérifier avec d'autres partenaires son besoin de plaire. De nombreuses femmes atteintes d'un cancer du sein se retrouvent seules. Je ne sais pas si c'est plus fréquent autour de la quarantaine mais je pense que c'est certainement le plus mauvais moment. Tant de couples sans cancer n'arrivent pas à franchir cet obstacle, alors avec le cancer, ça ne peut qu'accentuer cette crise.
Vient ensuite la période de l'après-cancer, le cancéreux sorti d'affaire doit réapprendre à vivre en ayant pleinement conscience de sa qualité de mortel. Le besoin de vivre devient urgent. Il ressentira la nécessité de redéfinir ses priorités pour avoir une vie de meilleure qualité. Ces préoccupations ne sont pas vraiment éloignées de celles de la crise de la quarantaine. Dans les deux cas, notre épanouissement en tant qu'individu prend le dessus. On se remet au centre de nos préoccupations comme lorsque nous n'avions pas d'enfants, pas de plan de carrière. Tout peut redevenir possible. On a besoin d'y croire. Retrouver le plaisir quotidien d'être en vie, heureux de l'être et sentir que notre vie est pleine de sens sans être trop envahie par la lourdeur de la routine, des charges familiales et professionnelles. Retrouver du plaisir à se lever tous les jours et en avoir conscience.

Comme tant d'autres, je n'ai pas échappé à cette crise de la quarantaine. Difficile de dire si c'est le cancer où l'approche de cet âge fatidique qui en est la cause. Je pense que le cancer a été un accélérateur. Une fois mes angoisses apaisées, une fois mes traitements devenus chroniques, j'ai dû revenir à la vie normale et ce retour ne s'est pas fait sans heurts. J'ai eu envie de changement.
J'ai ressenti ce besoin de plaire. Après tout ce que mon corps avait enduré, j'ai voulu redevenir une femme à part entière, refaire attention à mon apparence. J'ai recommencé à me maquiller, à renouveler ma garde-robe et j'ai à nouveau senti des regards sur moi. J'ai été rassurée sur ce plan-là.
J'ai eu envie de m'octroyer davantage de temps pour moi mais aussi pour mon couple. Je me suis réinvestie auprès de mes copines et nous avons toutes du plaisir à nous retrouver sans nos conjoints à faire un peu les fofolles comme au bon vieux temps. Nous avons ainsi des soirées sans aucune contraintes familiales. Je rentre toujours super détendue et heureuse de ma soirée.
Je me suis remise à la gym le midi, je n'avais jamais le temps avant le cancer. Préférant raccourcir ma pause déjeuner pour avoir plus de temps à consacrer à mes filles le soir.
J'ai changé de métier, je suis toujours ingénieure en informatique mais je ne fais plus du tout la même chose. J'ai osé me lancer, me réinvestir alors que je dormais sur mes lauriers depuis tant d'années mais sans plus trouver de réelle stimulation intellectuelle dans mon travail.
J'ai osé quitter mon boulot deux soirs plus tard et laisser à des baby-sitters la prise en charge de mes filles, ce qui me laissait du temps pour moi le midi.
J'ai affirmé mon plus grand besoin d'indépendance à mon mari tout en nous réservant davantage de temps pour nous deux.
Nous avons recommencé à sortir davantage, à prendre des journées de congés sans enfants pour avoir le plaisir de les passer en tête à tête. Nous nous sommes mis à la salsa, un soir par semaine, nous allons danser sans les enfants.
J'ai réussi à avoir le sentiment que je m'écoutais, que je vivais davantage en adéquation avec mes besoins intérieurs. Je me sentais mieux, plus épanouie.
J'ai eu l'immense chance d'avoir un mari aimant, prêt à s'adapter à tous mes besoins de changement alors que lui en avait peu finalement par rapport à moi. Nous avons beaucoup dialogué, nous nous sommes vraiment retrouvés plus amoureux que jamais et prêts à affronter d'autres tempêtes ensemble mais en espérant qu'elles seront rares et que le beau temps sera au fixe.

couchersoleil

Tableau de Philippe Loubat
"Coucher de soleil sur la lagune"

Pour le meilleur et pour le pire a pris pleinement son sens avec le cancer, pourvu que le meilleur prenne le dessus pour de nombreuses années.
Je vous souhaite d'arriver à exprimer votre individualité afin que votre vie redevienne un réel plaisir au quotidien mais avec beaucoup d'amour, indispensable au bonheur.

envol

Tableau de Philippe Loubat
"L'envol"

Article trouvé sur Le Monde de Didine :
La crise de la quarantaine

Pour ceux et celles qui veulent un peu comprendre comment ça marche, voici un article écrit par Gillou Quillet, prof de philo. Cet article s'intitule "La crise de la quarantaine...Si j'osais être enfin "ce que je suis"...
S’interroger sur la crise de la quarantaine, ou crise du milieu de vie, c’est renouer avec la question existentielle…En effet, nous sommes confrontés lors de cette période, même si ça n’est pas toujours formulé de manière explicite, aux questions fondamentales de l’existence, souvent mises aux oubliettes depuis belles lurettes.

Pris entre deux feux, celui de nos bambins et celui de nos parents vieillissants, (auxquels nous n’avons pas toujours envie de ressembler) un certain malaise s’empare d’un bon nombre d’entre nous.
C’est par la nature de ce malaise, ses manifestations, que cette « crise » se rapproche de celle de l’adolescence. Cette dernière est caractérisée par la nécessité de se définir, de s’individualiser, de se poser en tant que personne à part entière, tâche ardue, qui nécessite généralement :
- la rupture d’avec les modèles parentaux, de manière souvent peu délicate, voire conflictuelle, d’autant plus que l’amour et les liens sont forts.
- La mise en place ou l’aménagement de valeurs propres, d’idéaux, projets…
- La certitude que tous les « possibles » sont permis pourvu que nous y mettions notre attention, notre désir. Et enfin, la question : « qui suis-je », qui vient en fond sonore nous tarauder…
Le questionnement de la crise de la quarantaine effectue un glissement, de la question « qui suis-je ? « vers les questions « qu’est ce que la vie ? », « qu’est ce que j’ai fait de ma vie ? « , « que sont devenus tous mes possibles ? ». En cela, cette « crise est certainement l’opportunité, peut être la dernière, d’aller revisiter nos engagements majeurs.
Le bilan des quarante ans.
Tournés vers l’avenir, de vingt à environ quarante ans, nous construisons : études, travail, famille, maison…temps d’action qui ne laisse pas véritablement d’espace pour la réflexion. Au fur et à mesure les « choses » s’installent, vient dès lors un temps de pause propice au bilan.
C’est ici que nous retrouvons l’angoisse existentielle qui nous rappelle la crise d’adolescence : qu’est ce que je fais dans cette histoire ? Où sont passés tous mes possibles ?…autant de questions, de doutes qui peuvent se lire comme une dernière chance d’être fidèles à soi-même. Nous avons souvent agi pour le « bien » : satisfaire aux désirs de notre famille d’origine, satisfaire aux influences sociales, aux désirs de nos compagnes, de nos compagnons, correspondre à certaines images…mais, ce « bien » là est-il véritablement le nôtre ? Avons-nous construit « notre édifice de vie sur nos fondations « ?qu’est ce que nous, en tant qu’individu, désirons véritablement, pour nous dans notre vie ? et Lacan de nous rappeler dans l’éthique de la psychanalyse que, la seule chose dont nous soyons coupable s’il faut parler de culpabilité c’est « d’avoir cédé sur notre désir en tant qu’il est métonymie de notre être » ou autrement dit, la seule chose dont nous ne soyons véritablement coupables dans le champ des biens, c’est de renoncer à nous pour le « bien » d’autrui.
Nous avons besoin, pour ne pas renoncer à nous-mêmes, de congruence : congruence entre ce qui nous anime et ce que nous vivons, dans et de notre vie, de ce capital des années passées. Les turbulences de cette période sont les indicateurs de cette mise en examen…
Les signes de la crise de la quarantaine.
Des signes avant coureurs peuvent retenir notre attention :
- un besoin de sensations fortes, notamment dans des sports à risques, nous permettant de recouvrer cette sensation quelque peu piquante et illusoire d’une existence libre, d’une certaine jeunesse et légèreté.
- Une irritabilité, avec souvent une tendance à banaliser les choses.
- Un ennui, voire une « déprime »…
- Mais surtout un rejet des choses existantes : travail, famille, enfants…, l’envie d’aller voir ailleurs sans qu’il y ait pour autant passage à l’acte.
Il est important de ne pas banaliser ces manifestations et d’accorder à cette crise sa véritable teneur. IL existe une réelle souffrance derrière ces « symptômes », un véritable questionnement qui touche à l’être, à ce que nous sommes fondamentalement, à nos valeurs et idéaux. Il s’agit donc de ne pas réduire là encore « l’être » au « faire ».
D’ailleurs, la philosophie nous permet d’inscrire cette « crise » au sein d’un processus essentiel pour l’homme. Il existe une nécessité intérieure pour l’être humain de s’interroger et de s’accomplir.
Héraclite, six siècles avant JC dit « Je me suis cherché à moi-même », autrement dit : c’est à nous, à chacun d’entre nous, qu’il appartient de saisir, de s’atteindre, dans ce qu’il est véritablement et peu importe quelque part ce que nous sommes, pourvu que nous le sachions et l’assumions. Cette question Socrate nos invite également à nous la poser à travers le « connais toi, toi-même « t plus tard Descartes et bien d’autres. Cette permanence de questionnement nous permet par ailleurs de lire notre commune filiation à travers les époques et les lieux.
S’accomplir : Nietzsche nous encourage, nous exhorte même à le faire : 3deviens qui tu es ». Faute de devenir ce que nous sommes, nous renonçons à nous-mêmes, dès lors il faut beaucoup d’imagination pour trouver encore un sens. La crise de la quarantaine est ce moment de vérification que notre conscience, ce lieu qui sait profondément ce qui est juste pour nous, nous invite à faire, peut être pour la dernière fois.
Alors que conclure de cette période de remous multiples :
D’abord que cette crise appartient à un processus de développement « naturel » de l’homme, donc à ne pas banaliser.
Que cette « crise » comporte un travail de deuil à effectuer, du temps passé, des projets avortés, des trahisons perpétrées contre nous-même, et qu’il est bon d’aller « boucler les cycles de vies inachevées » ou autrement dit, de se positionner face à ce que nous avions laisser en attentes (projets, rêves…)
Qu’il est bon de distinguer ce que est « de nous » et ce qui est « des autres » (société, famille, amis…) sachant qu’un passage à l’acte précipité (rupture familiale, professionnelle…) ressemble plus à une fuite qu’à une véritable mise en interrogation, et qu’il paraît dès lors judicieux, de se mettre en « quarantaine » et pourquoi pas, d’être accompagné quelques temps, celui de nous situer par rapport à nos engagements, vis à vis de nous-même, de notre famille, de la société, du monde…
De saisir ce qui est vraiment primordial pour chacun d’entre nous, car il est plus sage d’être juste que d’être gentil et par là même, de travailler sur nos objectifs, d’atteindre en quelque sorte ce qui constitue notre conscience mature, ce lieu où nous n’avons plus besoin de l’approbation des autres pour faire ce qui est essentiel à nos yeux.
Et, peut-être enfin, s’approprier le cadeau que Jankélevitch nous fait avec la notion de « primultimité, considérer chaque chose, chaque acte enfin presque…comme si c’était la première et la dernière fois, ou autrement dit, mettre son attention sur les êtres, les choses, les mondes qui nous entourent et ouvrir l’espace permettant d’accueillir ce qui est là.


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