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[livre] USA 1972 : à travers l’Amérique avec Mott the Hoople

Publié le 03 mai 2011 par Vance @Great_Wenceslas

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Un livre de bord de Ian Hunter traduit de l’anglais par Frédéric Collay & Anne-Laure Paulmont pour les éditions Rue Fromentin (2011)

Préface de Philippe Manœuvre et Postface de Philippe Garnier.

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Résumé : En novembre 1972, Mott the Hoople, un groupe dynamique de la nouvelle scène rock anglaise, repéré et produit par David Bowie, se lance dans une tournée d’hiver aux Etats-Unis. Leur leader, Ian Hunter, se met alors en tête de coucher sur le papier, au jour le jour, ses impressions sur ce voyage, chaque vol, chaque concert, chaque soirée et les villes traversées.

Une chronique de Vance

Un livre passionnant grâce aux réactions « à chaud », au témoignage en temps réel d’un pur rocker anglais au pays où tout prend des proportions inimaginables : USA 1972 est autant le remarquable (et très vivant) portrait d’un groupe refusant de suivre la mode que la description de l’intérieur (caustique et objective) d’un mode de vie américain idéalisé, mais c’est aussi, peut-être même avant tout, une réflexion désespérée sur les contraintes et les à-côtés méconnus du show business.


Le coin du C.L.A.P. : Ca s’est lu plus vite que je n’aurais cru, et mon emploi du temps chargé (fin de trimestre) m’a tout de même laissé suffisamment de latitude pour en venir à bout assez rapidement : plusieurs soirées et un agréable après-midi ensoleillé en terrasse pour se finir en matinée sur le port de Golfe Juan.

Lorsqu’on m’a proposé ce livre, j’ai été intrigué mais, bien vite, l’attrait du monde du rock et de ce pays de cocagne que sont les USA s’est fait sentir. Bien m’en a pris. Après tout, d’après Nikki Sixx des Mötley Crue, c’est sans doute le meilleur bouquin rock de tous les temps…

Ian Hunter propose ainsi un ouvrage aux centres d’intérêt multiples. Son style, franc, parfois cynique, fait alterner les souvenirs cocasses, les situations sordides, les lendemains douloureux et les dialogues parfois surréalistes : c’est que la faune que fréquentent les Mott est celle des roadies empressés et des groupies allumées, mais aussi des managers plus ou moins honnêtes ainsi que, bien entendu, des artistes de la scène rock dans son extension la plus large.

p. 47, §4 : Ca m’a jamais fait tripper les Doors, mais l’idée des Doors, là oui. Le type qu’était Jim Morrison s’est perdu dans une représentation cultivée par les autres aussi bien que par lui-même. Les lignes de belle poésie se sont retrouvées brouillées, pour finalement se perdre dans la précipitation à aller voir le grand âne vêtu de cuir, et il est mort, tout comme Hendrix, d’une erreur sur la personne.

Avec ces derniers, Ian se montre toujours extrêmement respectueux, jamais outrancier alors qu’il dispose d’une mine d’anecdotes qui pourraient leur nuire. Mais non, il parle avec une touchante humilité de ces dieux vivants qu’il estime avoir eu l’insigne honneur de rencontrer (Bowie, bien sûr, qui a remis le groupe sur les rails en produisant All the Young dudes et les expédiant en tournée, Dylan ou encore les Stones – il faut absolument lire la manière dont Ian a réussi à entrer chez Elvis Presley au nez et à la barbe des gardiens !) mais aussi et surtout de ses pairs, tous ces chanteurs et musicos de groupes dont la carrière et la trajectoire croisent la sienne, de Keith Moon à Bryan Ferry en passant par les membres de Fleetwood Mac ou Jethro Tull. Jamais condescendant ou bêtement jaloux, il loue leurs qualités, d’abord musicales et parfois humaines, même quand il se fait battre froid, vantant la voix exceptionnelle de celui-ci ou le slide de celui-là.

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Son ton en revanche se fait nettement plus âpre lorsqu’il s’agit de ceux qui vivent de leur art : ces organisateurs malhonnêtes qui ne proposent pas le minimum nécessaire pour répéter dans de bonnes conditions (et faire la sacro-sainte « balance ») et sont incapables de déterminer par avance l’ordre de passage des groupes, ces fans éméchés qui viennent systématiquement au mauvais moment et ne cherchent qu’à vivre un peu dans l’aura de leurs idoles.

p. 44, §3 : Des stars naissent et meurent tous les jours et, tout comme l’épicier, l’homme de la maison de disques est constamment à la recherche de produits qui ne vont pas pourrir trop vite après achat.

C’est que, grâce à Hunter, on se retrouve carrément en plein dans ce monde enténébré, fait de paillettes et de gloire éphémère mais aussi de fêtes arrosées et de rencontres psychédéliques. Le rythme de vie d’un rocker en tournée nous éclate en pleine tronche, et le revers de la médaille est souvent amer, voire pénible – mais s’efface lorsque le concert a été une réussite totale. Hunter et ses potes (dont le guitariste Mick Ralphs, qui trouvera la renommée avec Bad Company) passent leur temps dans les boutiques de prêteurs sur gages à rechercher LA bonne affaire, une guitare Gibson ou Fender en bon état, voire une Martin (quelle déception lorsque, après une visite de la fabrique de ces guitares mythiques, on ne leur en propose aucune !), ingurgitent régulièrement des calmants pour pouvoir dormir dans les transports (les lignes intérieures sont rarement confortables, et il leur arrive de voyager dans les Greyhounds, ces autocars argentés sillonnant les Etats-Unis), boivent et fument trop mais s’en rendent compte, commencent chaque jour un nouveau régime éphémère, connaissent tous les trucs pour se débarrasser en douceur de groupies trop entreprenantes (c’est que, voyez-vous, ils sont maqués et cherchent à éviter les tentations quotidiennes) mais surtout ne vivent et respirent que pour le Rock. Plus que le nombre de spectateurs ou l’argent récolté, c’est la qualité de leur prestation scénique (et, surtout, le son) qui les intéresse : un concert raté, voire annulé, va les miner plusieurs jours et leur faire appréhender le prochain ; un concert triomphal ne les fera redescendre sur terre que de très longues heures après, leur laissant de ces souvenirs inoubliables.

p. 45, §1 : Si toi, ami lecteur, tu es sur la toute en quête de gloire et de fortune, réfléchis encore un peu. Mais si tu as en toi l’excitation, l’ambition et l’optimisme, pas de quoi se prendre la tête avec l’argent – il finira pas venir, tôt ou tard.

Tout au long de ce périple de cinq semaines éprouvantes (la météo hivernale déroutera leur avion plus d’une fois), l’auteur nous trace un portrait inhabituel des States, fustigeant par exemple les hôteliers anglais pour leurs prestations  au regard de ce que propose le plus petit établissement américain, s’émerveillant du décorum lié aux services culinaires comme de l’immensité des paysages survolés, pestant contre l’attitude de ces bourgeoises trop fardées pour être honnêtes et s’indignant à propos de la condition des Noirs et des Indiens. On voit à quel point ce Britannique pur jus (qui a épousé une New-Yorkaise) aime l’Amérique, tout en détestant les Américains.

p. 30, §2 : Amérique, prends-nous avec toi, sors-nous du trou ! Regarde les efforts qu’on fait pour t’attraper. Bon Dieu, t’es tellement énorme.

Et combien il aime la musique.

Jubilatoire, ludique et enrichissant.



Citations :

p. 33, §3 : Ce qu’ils appellent un sandwich est une préparation d’envergure, rien à voir avec le pauvre machin que tu sors de ta boîte à lunch quand tu as un creux. Une salade, c’est deux feuilles de laitue et une demi-tomate mais essayez la salade du chef et on vous sort le grand jeu. Ils ont l’art et la manière de flatter la vue plutôt que le goût.

p. 73, §1 : On dit que si tu deviens ami avec un Indien, malgré tout, au fond de son cœur, il te détestera toujours. D’une, parce que tu es blanc, et de deux, parce que tu as tous les torts.

p. 74, §3 : Les Noirs en Amérique m’apportent un vrai réconfort. Les gens se foutent de leur gueule en permanence, de la même façon qu’ils se foutent de la nôtre. Nous avons en commun cette tristesse de voir ce pays arriéré, rempli de fumiers crétins et hypocrites, dominer ce monde.

p. 75, §1 : J’ai remarqué quelque chose : les gens qui se sont foutus de moi à cause de mon look sont très laids eux-mêmes. Peut-être parce qu’ils n’ont pas d’autre manière d’exprimer la tristesse que leur cause leur propre image.

p. 84, §3 : Une rencontre avec New-York, c’est un peu comme rentrer la tête la première dans Cassius Clay pour s’apercevoir, au bout d’un moment, que c’est un type vraiment sympa.

p. 113, §2 : Saint-Louis est l’une des centaines de villes américaines qui ont des quartiers où aucun chauffeur de taxi, Noir ou Blanc, ne s’aventurerait. Il ne voudrait pas qu’on vous voie avec lui.

p. 146, §1 : Les Américains ont une tendance assez troublante : avec eux, tout ce qui appartient au monde des adultes a l’air d’être l’extension d’un jouet de gamin.

p. 180, §1 : Il faut bien dire une chose à propos des Etats-Unis : ça vous fait l’effet d’un coup de pied dans le cul et généralement vous trouvez de l’inspiration ici, d’une façon ou d’une autre.


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