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Sur la mauvaise pente de la courbe de Laffer

Publié le 04 mai 2011 par Copeau @Contrepoints

De toute évidence, quand les caisses de l’État sont vides, il faut trouver un moyen de les remplir : réduire la dépense publique – et donc les politiques clientélistes – à un an des échéances électorales de 2012 est naturellement exclu, avoir recours à l’endettement est plus que compromis… reste donc une augmentation des impôts. Vous me direz que le relèvement du seuil de l’ISF donne, à ce titre, un signal contradictoire et ressemble plus à un « cadeau pour les riches ». C’est vrai et c’est même d’ailleurs tout le sens de la manœuvre : l’ISF, de notoriété publique, coûte plus qu’il ne rapporte et sa fonction est principalement symbolique. Pour un gouvernement positionné à droite, relever le seuil de cet impôt est électoralement profitable ; reste maintenant à récupérer discrètement d’une main ce qu’on n’a pas taxé de l’autre. « L’art de l’imposition, disait Colbert, consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris. »

C’est ainsi qu’entre un projet d’imposition des résidences des étrangers en France [1] et un plan de fiscalisation des donations et des successions, il est aussi question de créer une « Exit Tax » destinée à décourager les Français qui chercheraient à s’expatrier pour fuir le matraquage fiscal ou, le cas échéant, à les matraquer juste avant qu’ils ne s’exilent malgré tout. Sur le papier, le fonctionnement de ce nouvel impôt est assez simple : il s’agit d’imposer ceux qui déménagent sous des cieux plus cléments sur les plus values qu’ils pourraient réaliser en vendant leurs biens. Par exemple, un contribuable qui s’exile pour échapper à l’impôt lors de la revente de titres achetés €25 et valant €100 se verrait fiscalisé, lors de son déménagement, sur les €75 de bénéfices potentiels. Bien sûr, dans ce lâché de faisans d’élevage, il n’est pas vraiment question de chasser les petits porteurs mais plutôt de tirer les gros gibiers que sont les chefs d’entreprises qui cherchent à s’exiler en Suisse ou en Belgique pour revendre leur outil de travail. La situation ainsi crée par l’Exit Tax donne lieu, pour le futur retraité, à un choix cornélien : rester et se faire tondre petit à petit ou voyager léger.

Ce que l’instauration d’une Exit Tax a d’intéressant, c’est ce qu’elle nous dit sur le niveau de pression fiscale présent et à venir de notre pays : si le pêcheur juge utile de jeter un filet, c’est de toute évidence qu’il pense qu’il y a ou qu’il y aura sous peu du poisson à prendre. En d’autres termes, si notre gouvernement instaure une Exit Tax c’est que l’expatriation fiscale n’a rien d’anecdotique et peut être même qu’il anticipe une accélération du phénomène liée, précisément, à une augmentation des prélèvements obligatoires dans un futur relativement proche. Ce projet gouvernemental semble donc confirmer – si besoin en était – que nous avons déjà dépassé le point culminant de la courbe de Laffer.

Sur la mauvaise pente de la courbe de Laffer

(Dessin de presse : René Le Honzec)

Formalisée dans les années 1970 par Arthur Laffer, la courbe éponyme prédit qu’au-delà d’un certain taux d’imposition, « trop d’impôt tue l’impôt ». Dans la formulation originelle de Laffer – qui, pour simplifier les choses, raisonnait en économie fermée – il n’est pas question d’évasion fiscale mais d’incitation négative. Le principe en est extrêmement simple : plus vous taxez les activités créatrices de richesse – le travail et l’investissement – plus vous réduisez l’incitation qu’ont les gens à se livrer à de telles activités. C’est exactement le même principe que les taxes sur le tabac : avec une taxe raisonnable, vous augmentez les recettes fiscales de l’État mais à partir d’un certain seuil, les fumeurs finissent par réduire leur consommation [2] et le produit de l’impôt baisse. La courbe de Laffer a ainsi la forme d’une cloche où le point culminant désigne le niveau d’imposition à partir duquel les différents acteurs de l’économie font le choix de produire moins de richesse et donc, réduisent les ressources fiscales de l’État. Elargissez le cadre original de Laffer et raisonnez en économie ouverte et vous pouvez ajouter à cela l’évasion fiscale que l’Exit Tax cherche justement à contenir.

Si cette idée peut paraître contre-intuitive, sachez que les exemples d’applications positives des prédictions de la courbe de Laffer – c’est-à-dire des États qui, en baissant les impôts, ont effectivement augmenté leurs ressources fiscales – sont légions [3]. Quand un pays a dépassé le point culminant de la courbe, une baisse des impôts réduit l’évasion fiscale et stimule la croissance en incitant les acteurs de l’économie à produire plus de richesses ce qui, in fine, augmente les ressources de l’État. Il va sans dire que l’Exit Tax à venir indique clairement que ce n’est absolument pas la stratégie qu’envisage notre gouvernement : si ce nouveau dispositif dans l’arsenal du fisc parviendra, selon toute probabilité, à contenir l’évasion fiscale il est tout aussi probable qu’il participera à déprimer encore un peu plus notre économie en stricte application du principe de Laffer.

Mieux encore : quand, en 1998, Dominique Strauss-Kahn – qui est à ce qu’on dit libéral [4] – avait essayé de mettre en place une Exit Tax, Bruxelles l’avait retoqué au motif que cette mesure fiscale entravait le principe de liberté d’établissement en Europe. Or, il semble que cette fois ci, le gouvernement ait trouvé une parade pour réussir à échouer là où DSK avait échoué à réussir : il est question de ne taxer que les plus-values réalisées en France, et non à l’étranger. En d’autres termes, les efforts conjugués du génie fiscal français et des règlements européens devraient aboutir à un régime d’imposition qui incite explicitement les entrepreneurs français à investir absolument n’importe où… sauf en France.

La machine à perdre tourne à plein régime.

Notes :

[1] Qui, naturellement, ne votent pas.
[2] Ce qui est, rappelons le, précisément l’objectif.
[3] Notamment aux États-Unis sous Kennedy et Reagan, en Grande Bretagne sous Margaret Thatcher et en Nouvelle Zélande dans les années 1980.
[4] En l’occurrence c’est Roland Dumas qui le dit. Il faut préciser ici que le même Roland Dumas pense que François Hollande est socialiste…


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