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Stanley Cavell publie ses cours, entre philosophie et cinéma

Par Mickabenda @judaicine

AVT2_Cavell_401Dans ses cours, Stanley Cavell montre comment le cinéma et la philosophie s’intéressent à nos vies ordinaires.

Stanley Cavell, né en 1926 dans une famille juive d’Atlanta, passe pour être l’un des plus importants philosophes américains contemporains.

Dans la lignée des tenants de la « philosophie du langage ordinaire », cet ancien élève de John L. Austin a fait sien le précepte de Wittgenstein, de « reconduire les mots de leur usage métaphysique à leur usage quotidien ».

Dans Philosophie des salles obscures, Cavell, convaincu qu’il est possible d’améliorer par la réflexion la manière de vivre de chacun, étudie cette « vocation morale de la philosophie » en examinant ce qu’il nomme le « perfectionnisme moral » et dont il attribue la paternité à Ralph Waldo Emerson (1803-1882), véritable initiateur à ses yeux d’une philosophie proprement américaine.

A vrai dire, l’expression de « perfectionnisme moral » est trompeuse en français. Elle ne fait pas référence à la recherche d’une perfection absolue, pas plus qu’elle ne suppose une représentation arrêtée des fins suprêmes de l’humanité.

Les films, une dimension de la pensée morale Ethique de la finitude et de la limitation, le perfectionnisme de Cavell se présente comme le dépassement de l’opposition reçue des morales du devoir fondées sur la rectitude de l’intention – comme le kantisme – et de celles, utilitaristes ou pragmatistes, qui s’intéressent d’abord aux effets concrets des actions humaines. Plus prosaïquement, il renvoie au fait qu’il est possible de changer de position vis-à-vis de sa propre existence.

De là l’importance que Cavell donne aux moments de crise, dans lesquels l’individu prend conscience et de son insatisfaction fondamentale et du fait que d’autres chemins de vie plus riches de sens s’offrent à lui (ou se sont offerts à lui à un moment donné), le problème étant alors de les reconnaître. Il s’agit donc de méditer dans des contextes singuliers les directions qui s’offrent à chacun et d’apprendre à juger de l’état présent de son existence.

Il est dès lors possible de surmonter la « mélancolie secrète » et le « désespoir tranquille » de chacun en proposant « la confrontation et la conversation comme modes de détermination de notre capacité à vivre ensemble, à nous accepter les uns les autres, dans les aspirations qui guident notre vie ».

Philosophie des salles obscures est la refonte des cours et des conférences que Cavell a donnés durant deux décennies à l’université de Harvard où il a été titulaire d’une chaire d’ »esthétique et de théorie générale de la valeur ». Le titre original du livre, paru en 2006 – Cities of Words-, était moins accrocheur.

Il faisait écran, si l’on peut dire, à l’une de ses originalités : le fait qu’y soient alternées des interprétations de films et la présentation d’auteurs du point de vue de leur apport au perfectionnisme moral. On y trouvera ainsi des chapitres consacrés à des philosophes : Emerson en ouverture (à tout seigneur, tout honneur), Mill, Kant, Rawls, Nietzsche, Aristote, Platon entre autres, ou à des auteurs comme Freud, Ibsen ou George Bernard Shaw dont Cavell montre l’importance philosophique à l’aune de sa perspective.

En contrepoint de cette relecture originale, Cavell analyse des films classiques (américains le plus souvent, mélodrames et « comédies de remariage » notamment) de Frank Capra, de Howard Hawks, d’Eric Rohmer ou de Max Ophuls. Pour ces deux derniers, ses réflexions mettent en perspective le film choisi avec une oeuvre littéraire : une comédie de Shakespeare dans le cas de Rohmer ou un mélodrame de Henry James dans celui d’Ophuls.

Pourquoi le cinéma ? Stanley Cavell, qui a étudié la musique, est un cinéphile averti, et la fréquentation des cinémas a beaucoup compté dans sa formation intellectuelle. Selon lui, il est légitime de « lire les films comme des manifestations d’une dimension de la pensée morale traversant toute la culture occidentale ».

Ainsi « le cinéma – le plus récent des grands arts – montre que la philosophie est souvent le compagnon invisible des vies ordinaires que lui-même sait si bien rendre ». Moins une dialectique entre le cinéma et la philosophie que le repérage d’une préoccupation commune qui a trait à l’explicitation pour soi et pour autrui de nos manières de vivre, le pavé de Cavell n’est pas un traité didactique – chacun peut lire à part chaque chapitre « conçu comme une entité indépendante » et parcourir l’ensemble dans l’ordre qui lui siéra.

Profondément démocrate, convaincu que la philosophie est chose trop importante pour être laissée à des spécialistes qui la font « tourner à vide », Cavell montre qu’il a bien rompu les amarres avec ce style verbeux de philosophie qui décourage les honnêtes gens d’en lire.

Judaicine-Stanley-Cavell


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