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L’Amérique serait-elle de retour ?

Publié le 07 mai 2011 par Alex75

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C'était l'information de la semaine, l'élimination d'Oussama Ben Laden, au Pakistan, par les services secrets américains. La mort d'Oussama Ben Laden est d'abord un symbôle, pour les Américains, car elle prouve qu'on ne les attaque pas en vain, que les méchants sont toujours punis, comme dans les films d'Hollywood et que leurs services secrets n’ont pas perdu complètement la main. Les attentats du 11 septembre furent une horreur absolue avec leurs milliers de morts, mais surtout la marque d'un certain abbaissement, d'un déclin de la puissance étrangère américaine. Le grand historien Fernand Braudel expliquait que la puissance dominante du moment n'est jamais touchée par les armées ennemies. La Hollande, au XVIIe s., ne fut pas atteinte par les troupes de Louis XIV et Napoléon ne parvint jamais à envahir les îles britanniques. Durant les deux guerres mondiales, le sol américain ne fut jamais menacé, ni par les soldats allemands, ni par les soldats japonais. Mis à part l'attaque du Japon, contre la principale base navale américaine, à Pearl Harbor, dans l'archipel d'Hawai. Les terroristes de Ben Laden réussirent donc cet “exploit”, il y a dix ans. C'est parce qu'ils touchaient le sol de l'hyper-puissance, que cet attentat fut considéré comme un tournant dans l'histoire du monde, le vrai début du XXIe siècle, alors que le XXe siècle se terminait en 1989, avec la chute du mur de Berlin. La joie collective qui s'est manifestée à New-York est une sorte de soulagement spontané, souhaitant effacer cet affront historique, comme le soulignait Eric Zemmour. Mais en quelle mesure est-ce une victoire contre le terrorisme, et surtout que cache sa mort au Pakistan ? Ce qui appelle à revenir sur le dessous des cartes, avec en toile de fonds, la présence géo-stratégique américaine en Asie centrale, et la fin de la guerre froide, pour comprendre l'ensemble de la situation, ses enjeux et motivations réelles.

Les spécialistes nous ont expliqué, qu'Al-Quaïda n'est pas une organisation hiérarchisée, mais une nébuleuse de petits groupes autonomes qui reprennent la marque Al-Quaïda, telle une franchise, marquant leur positionnement idéologique, mais sans en référer à la maison-mère. La mort de Ben Laden ne change rien en cela. Dans le Sahel, AQMI continuera de sévir contre les Français. Sa mort au Pakistan est aussi la confirmation du double jeu pakistanais en Afghanistan. Une partie de l'appareil d'Etat pakistanais cachait donc Ben Laden et joue encore avec les talibans et Al-Quaïda contre les Américains, officiellement leurs alliés. L'intervention occidentale en Afghanistan avait été d'abord officialisée pour en chasser Ben Laden, mais les Américains sont surtout présents dans la région, non dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, mais pour des raisons géo-stratégiques multiples. D'ailleurs, à cet effet, les attentats perpétrés à New-York, aux Etats-Unis, en septembre 2001, ne constituaient malheureusement un acte isolé. Ce n'est que le résultat de la politique étrangère américaine menée en Asie centrale, depuis la guerre froide. L'Asie centrale est devenue une région d'enjeux stratégiques, car dans la mer Caspienne ont été découverts des gisements de gaz et de pétrole (Turkménistan, Ouzbékistan, Kazakhstan, etc.). Ces Etats sont enclavés. Ils vont solliciter pour extraire leurs hydocarbures des groupes pétroliers américains, d'où un triple engrenage qui en a résulté. Les entreprises américains ont envisagé trois routes : Iran, Turquie, Russie. L'entreprise pétrolière à l'origine de ce projet est UNOCAL (Union Oil of California). C'est la troisième idée qui est retenue, à savoir la route par la Russie. Les infrastructures de transport existent déjà, le premier avantage est là et les autorités russes sont toutes disposées à les louer. Mais ce projet a été abandonné, d'abord parce que les infrastructures sont obsolètes et ensuite parce que les Etats d'Asie centrale refusent que leur pétrole, leur principale ressource, passent par la Russie. La solution qui sera envisagée, c'est de passer par l'est.

Mais en 1992-93, ce projet ne peut se concrétiser, car l'Afghanistan est en guerre, guerre civile conséquence du contexte de la guerre froide. L'idée d'UNOCAL est non plus de vendre à l'Europe, mais à l'Asie, en particulier à la république populaire de Chine. La Chine achète son pétrole au Moyent-Orient, mais ne veut dépendre de cette région instable et trop proche des Etats-Unis. La Chine soutient par conséquent ce projet d'UNOCAL. Il reste à convaincre un pays, le Pakistan, qui est intéressé par ce projet, y voyant un avantage économique. Le Pakistan recevra le pétrole, dans des ports pakistanais. Par ailleurs, le Pakistan est un allié indéfectible de la Chine, mais qui ne lui livre plus d'armes sophistiquées (radars, etc.), depuis le début des années 1990. Ce projet permettrait au Pakistan de se doter d'un moyen de pression. A côté de cela, il y a l'Afghanistan, et les affres de l'occupaton soviétique de 1979 à 89. Les Etats-Unis soutiendront la résistance afghane, après l'arrivée de Reagan au pouvoir et le boycott des jeux olympiques de Moscou en 1980. La CIA fournira des missiles Stinger SOL - AIR contre les Soviétiques. Les Afghans ont perdu contre l'U.R.S.S. un milion d'hommes. Après le départ des forces soviétiques, l'Afghanistan sombre dans la guerre civile. Ce pays montagneux est une mosaïque de peuples : les Pachtouns, les Tadjiks, etc. Il n'y a pas eu “une résistance” afghane. D'ailleurs, on a dit qu'il y avait autant de mouvements de résistance que de villages. De nombreux résistants pachtouns passèrent d'ailleurs au Pakistan voisin, en franchissant la fameuse ligne Duran, à savoir une frontière poreuse, pour y établir leur base arrière dans les zones tribales. L'enjeu est le contrôle de Kaboul et de l'aéroport. Il y avait au sein de cette résistance, des étrangers venus par sympathie pour l'Islam : des Saoudiens, des Marocains, d'ailleurs on a dit que le Maghreb a vidé ses prisons, dans les années 80.

En 1990-91, on constate la radicalisation de certains Afghans, se prétendant manipulés par les Etats-Unis. Les Américains sont conscients que l'Afghanistan est devenu une poudrière et veulent ramener l'ordre dans ce petit pays, de 20 millions d'habitants. Ils vont se rapprocher du Pakistan, qui veut annexer l'est de l'Afghanistan, ce petit pays voisin. Ce sera l'engrenage de l'islamisme, avec les talibans. Le terme taliban désigne une milice religieuse, qui prendra le pouvoir au milieu des années 1990. Cette milice religieuse est composée d'Afghans, orphelins de guerre, encadrés par des officiers pakistanais, au début. Le régime taliban sera un régime féroce, l'idée étant de ramener la paix civile. Ceux qui ont pensé ce projet, c'est clairement le Pakistan. Le Pakistan, c'est 160 millions d'habitants, l'Inde comptant 900 millions d'habitants. Le Pakistan peut trouver une base de repli et il se dit qu'en annexant insidieusement et partiellement l'Afghanistan, il en aura une contre l'Inde. De plus, le sous-sol afghan est riche en gaz  naturel, ayant d'ailleurs suscité aussi la convoitise des Soviétiques, à l'époque. En 1993, c'est la conquête de la capitale par un homme, le Mollah Omar. C'est un Afghan, et ce sont les Pakistanais qui lui donnent de l'argent. L'idée est de rejeter toute influence occidentale. C'est un régime d'apartheid. Le Pakistan comme les Etats-Unis considèrent qu'ils ont suivi leurs objectifs, grâce au dispositif qu'ils apportent. Très rapidement, les Américains réaliseront leur erreur.

L’Amérique serait-elle de retour ?

Il y a la question de l'opium. La culture d'opium s'est développée en Afghanistan sous l'occupation soviétique, pour financer la résistance. L'opium transformé permet ensuite d'obtenir de l'héroïne, dite “la blanche” et de la morphine. En 1995, la culture d'opium poursuivie plaçait l'Afghanistan “au premier rang mondial”, ce qui est toujours le cas aujourd'hui. Lorsque les talibans prennent le pouvoir en Afghanistan, ils prometteront de raser, brûler les champs de pavôts. Dans la réalité, quelques hectares ont été brûlés. Cela eût pour conséquence, une hausse du prix de l'héroïne, la production ayant baissé. Les talibans ont cependant compris que l'argent de l'opium (60 % du P.I.B. de l'Afghanistan), permettrait d'être autonome du soutien de leurs amis : le Pakistan et les Etats-Unis (pour acheter des armes, etc.). Cette milice présentée comme une marionnette du Pakistan devient progressivement “un électron libre”. C'est là qu'est intervenu, le Saoudien, Oussama ben Laden, fils d'une des plus riches fortunes d'Arabie saoudite, ayant fait ses affaires dans le BTP. Plutôt que de mener une vie de riche mécène, il se lança dans la lutte armée pour ses idées, en partant en Afghanistan dans les années 80 donc. Il servira d'agent de liaison aux Américains. Il devient le pivot entre l'Arabie saoudite, la résistance afghane (le commandant Massoud notamment) et les Etats-Unis.

Au départ des troupes soviétiques d'Afghanistan, il rentre chez lui, en Arabie saoudite. Or, la famille royale saoudienne est très corrumpue. Une “cassette” annuelle est collectée par les impôts (pour le Roi). Il va ensuite dépenser sa “cassette” au casino, en Espagne, à Marbella. La famille royale vit la plupart du temps,  à l'étranger. Plusieurs Princes vivent d'ailleurs aux Etats-Unis.  La famille Saoud est très critiquée. La deuxième controverse est la présence des troupes américaines en Arabie saoudite, suite à l'invasion du Koweit. Le Roi d'Arabie saoudite craint alors une invasion irakienne et appelle les Américains à l'aide, qui envoient 500 000 soldats se déployer dans le royaume. Cette présence américaine armée sur le sol saoudien est insupportable à Bin Laden, la considérant comme “une souillure”. L'Arabie saoudite, il faut le savoir, est considérée comme une immense “terre sacrée” de 2,5 millions de km2. Ben Laden critique aussi la politique étrangère américaine (soutien à Israël, etc.). Le 25 décembre 1990, c'est Noël est les soldats américains présents en Arabie saoudite le fête avec leurs prêtres, leurs pasteurs, et leurs rabbins là-bas. En 1994, de par ses critiques incessantes dirigées contre la famille royale, Oussama Ben Laden est expulsé d'Arabie saoudite. Il est déchu de la nationalité saoudienne. A l'été 1994, il est caché au Soudan, mais le terroriste Carlos est extradé à ce moment-là du Soudan, vers la France. Ben Laden préfère quitter le Soudan et il part en Afghanistan, qui est un pays qu'il connaît. Il se liera au régime taliban sur place, avec le Mollah Omar lui-même. Il deviendra “le banquier du régime”, petit à petit. Installé en Afghanistan, Bin Laden poursuivra son combat contre la famille royale saoudienne. Il se tourne vers le terrorisme et la tactique, c'est l'attentat simultané. Il a fomenté des attentats contres les ambassades américaines du Kénya et de Tanzanie, contre le navire de guerre américain U.S.S. COLE, avec 400 marins à son bords, dans le golfe d'Aden. Enfin, le 11 septembre 2001, il y a les attentats avec deux avions-suicides détournés avec leurs passagers à New-York.

Les Américains savent que Ben Laden a soutenu “indirectement” ces attentats, en tout cas. Ils demandent à l'Afghanistan de l'extrader, ce-dernier étant ressortisant étranger, pas afghan de tout de façon. Mais le Mollah Omar refuse. Les Américains se décident ensuite à lancer une intervention, une opération en Afghanistan “Liberté immuable”. Le régime taliban est renversé en un mois (vers novembre 2001), par les Américains. En 2004, des “élections libres” ont vu élire président, l'Afghan Hamid Karzai. Deux forces sont présentes en Afghanistan, c'est l'ISAF, auquelle participe 60 000 h., et auquelle participe la France (France, Espagne, Pologne…), commandée par l'OTAN. L'autre force déployée est “Liberté immuable”, auquelle participe aussi la France, sinon le Royaume-Uni et les Etats-Unis, et aussi un temps la république tchèque. Huit ans plus tard, ces forces sont toujours présentes et la situation n'a guère évolué. La communauté internationale n'a d'abord pas assez aidé à la reconstruction, en Afghanistan. Les Américains étaient déjà en Irak, jusqu'à récemment. Sinon, on connaît l'état des finances des Européens. Les Afghans ne voient pas les retombées positives, à ce qu'ils considèrent comme une occupation étrangère. L'armée afghane est une armée de papier (avec 30 % de désertion, car les soldats ne touchent pas leurs soldes). Il y a réémergence des néo-talibans. Un autre élément est de nature ethnico-tribo-liguistique. Les Pachtouns sont présents en Afghanistan, où ils représentent 35 % de la population afghane, parlant un dialecte, surtout dans l'est, le sud et le sud-ouest, ainsi que dans certaines régions frontalières du nord et du nord-ouest, suite aux migrations récentes. On trouve aussi des Pachtouns au Pakistan, le pachto étant parlé par environ 45 millions de locuteurs, soit le quart de la population, dans la zone frontalière nord-occidentale, dans les zones tribales, et au Balouchistan. Et les néo-talibans actuels sont très présents et actifs, dans cette zone frontalière entre l'Afghanistan et le Pakistan, où se trouvent leurs bases-arrière. Une région tribale qui échappe de plus en plus au pouvoir central pakistanais et à celui de Kaboul.

Le nouveau président américain Barack Obama veut cependant changer de stratégie en Afghanistan. Cette nouvelle stratégie, c'est : “Nettoyer, tenir, aider”. “Nettoyer”, c'est-à-dire tuer. Mais la différence est qu'avant, on rentrait dans un village, il y avait des insurgés, on les tuait, on laissait les corps et on repartait (très impopulaire, mal perçu). Maintenant, on nettoye le village et après on reste, on tient. On soigne, on ouvre une anterre médicale, etc… C'est une tactique française appliquée durant la guerre d'Algérie, en Afrique, où on va à pied, à la rencontre du chef du village. On lui demande si on peut l'aider, s'il manque de quelque chose (eau, soins). On est mieux accepté et on obtient des renseignements. L'autre doctrine américaine est celle du “containment” en Asie centrale, avec derrière le pétrole. Ce n'est pas la lutte contre le terrorisme qui justifie la présence américaine. Aujourd'hui, l'idée est de poursuivre le containment, non plus contre l'U.R.S.S., la Russie, mais contre la république populaire de Chine. L'idée des Etats-Unis est de nouer des amitiés en Asie centrale, comme c'est le cas avec la Géorgie, etc. D'ailleurs, pour bombarder en Afghanistan, en octobre 2001, les Américains ont tout simplement loué les infrastructures édifiées sous l'ère soviétique, au Turkménistan, etc. Les B-52 américains pouvaient se poser sans problèmes, à deux heures de vol d'Afghanistan. La lutte armée en Afghanistan permet aux Etats-Unis de justifier d'une présence américaine dans la région. Bien que créditeur de la Chine et entretenant des rapports complexes et ambigus avec elle, les Américains ne veulent laisser aux Chinois, la seule prédominance géo-stratégique en Asie centrale. Les Etats-Unis proposent aux Etats de la région d'adhérer au GUAM. Cette intervention en Afghanistan n'est qu'un des deux volets de cette stratégie politique. Le deuxième volet fut l'Irak, deuxième bassin pétrolier mondial. Le but des Américains est de contrôler les voies exportatrices, les routes du pétrole, par le GUAM, non pas pour eux, mais pour en priver la république populaire de Chine. C'est un semi-échec, mais c'était l'idée de base. Voilà, pourquoi les Américains ne sont pas prêts à quitter tout de suite, l'Afghanistan.

Par ailleurs, l'Afghanistan est un des pays les plus pauvres du monde, qui a tenu tête à l'U.R.S.S., puis à l'O.T.A.N. C'est la plus grande leçon d'humilité, de ces deux conflits afghans, on ne peut rien contre le fanatisme, la volonté, la résistance des hommes. Il suffit pour cela de relire, “Les cavaliers” de Kessel. Comme l'histoire de ce pays vient nous le rappeler, toute intervention de l'étranger, aux yeux d'un peuple si farouche, est toujours si mal perçu. Le fléau islamiste ne pourrait être résorbé, que par les seuls Afghans au bout du compte, en tenant compte des complexes réalités tribales, par le développement, une habile coopération, et la reconstruction. Sans tenir compte du double jeu pakistanais, qui perdurera, même si un tournant a peut-être marqué. Mais la tâche sera rude.

   J. D.


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