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Chambord, un château politique

Publié le 07 mai 2011 par Egea

J'ai passé ma journée à Chambord : je confesse, à ma grande honte, que c'était la première fois de ma vie et que ce fut donc une découverte. Outre le plaisir de s'échapper de Paris par une belle journée de printemps (ça avait un air de vacances......!) cela m'a occasionné quelques réflexions géopolitiques. Au-delà de la carte postale.

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Car au fond, Chambord est un château qui est surtout politique.

1/ On pense bien sûr à d'autres châteaux politiques : en France, le Louvre d'un côté, Versailles de l'autre. Mais Chambord est différent.

2/ Regardez la photo ci-dessus, prise sous un autre angle que ce qu'on montre d'habitude : on y distingue bien le donjon central, entouré des fioritures (les deux ailes, la terrasse).. Alors que notre représentation habituelle voit dans Chambord un château plat (la longue façade face au parc), c'est en fait d'un château carré qu'il s'agit. Un château qui témoigne encore de l'idée militaire qui l'anime. François 1er n'est-il pas passionné de chevalerie, n'est-il pas le roi-chevalier ? il y a donc le rappel de la fonction "militaire" du château. Pourtant, il n'y a là qu'évocation.

3/ Car immédiatement, on constate que ce n'est qu'un prétexte : ce château n'a aucune fonction guerrière, il est percé de larges baies, couvert de cheminées affriolées, entouré d'une douve qui fait plus bassin d'apparat que barrière liquide. Le plan carré est organisé en quatre parties géométriquement distribuées autour d'un escalier central (à double volte, comme à Amboise). Autant de signes qui montre que l'utilité est autre. Elle n'est pas seulement symbolique, elle est une idée.

4/ Les guides expliquent que c'est la Renaissance : pourquoi pas? je constate que le "pavillon de chasse" dépasse par son ampleur le simple lieu d'accueil d'activités cynégétiques, aussi royales qu'elles fussent. Je vois que ce château a été peu habité : Gaston d'Orléans, Maurice de Saxe, Stanislas Leszczynski, ... et c'est à peu près tout. En fait, c'est un château vide. Planté là, au milieu d'une forêt certes giboyeuse, mais loin de tout, même pas sur les terres traditionnelles des rois de France, une glacière en hiver, un affolement de moustiques en été, un marais mal curé.... Pourquoi avoir planté là cette grande machinerie ?

5/ Parce que l'idée est politique. Le château, c'est le moyen que trouve François 1er (qui y passe, de mémoire, 73 jours en tout....!) d'imprimer sa marque, d'impressionner ses visiteurs, de montrer sa grandeur. C'est parce que c'est vain qu'il est puissant. Le château devient, dans sa démesure, le signe extérieur de la puissance, de la toute-puissance. La démesure (car le château est démesuré) loin de tout démontre,quasiment par l'absurde, à quel point le roi est le maître.

6/ C'est la vraie raison du caractère "renaissant" de ce château : il n'est pas dû seulement à son plan "logique", pas seulement à l'accumulation de détails décoratifs, mais surtout, au changement radical dans l'expression politique du pouvoir. Ce château n'a d'autre utilité que d'être un discours : il est la manifestation du pouvoir du roi et, déjà, de l'Etat.

7/ C'est en cela que Chambord diffère du Louvre ou de Versailles : car ces deux lieux ont été des endroits où le pouvoir s'est réellement exercé : l'association était alors forcément directe. Dans le cas de Chambord, rien de tout ça. Un château "pour rien", qui exprime donc l'essentiel.

8/ Il n'y a donc pas tout à fait de hasard si le dernier prétendant sérieux au trône, Henri V comte de Chambord, a porté ce nom. On lira le manifeste du 5 juillet 1871, où il pose la question du drapeau blanc (qui le fait, finalement, renoncer au trône) : il est daté de Chambord.... Par une singulière coïncidence, ce château si politique allait, pour la première fois de son histoire, être le lieu d'une décision politique... qui marquait la fin de la monarchie en France.

9/ Un château très peu politique, donc, en apparence. Et pourtant, un château qui symbolisait, déjà, avec 250 ans d'avance, la dépersonnalisation du pouvoir. Quand vous arrivez par l'autre côté, pas celui du parc mais celui du jardin, vous apercevez d'ailleurs, au dessus du petit fronton d'entrée, un drapeau tricolore. Plus que la réponse républicaine aux prétentions d'Henri V, j'y vois la symbolique du château, lui qui marque l'entrée dans la modernité : bientôt, la politique serait désincarnée, elle serait fondée sur les idées.

O. Kempf


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