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La communication politique dans la Syrie du « printemps arabe » (2) : les voix des personnalités publiques

Publié le 10 mai 2011 par Gonzo
La communication politique dans la Syrie du « printemps arabe » (2) : les voix des personnalités publiques

"Nos ancêtres reposent en Syrie, nos enfants y jouent : ensemble faisons-en une oasis de justice et de tranquilité." Duraid Lahham

Dans le cadre de la modernisation de la communication politique en Syrie, évoquée dans le billet précédent, il faut retenir aussi ce qui est sans doute la première utilisation arabe d’une vedette populaire (que les lecteurs mieux informés me corrigent éventuellement) pour une campagne gouvernementale. A la différence des apparitions de personnalités appréciées du public lors de campagnes de charité ou de bienveillance, le visage de l’acteur Douraid Lahham , reproduit sur des affiches géantes ou encore sur des panneaux publicitaires le long des trottoirs, s’inscrit dans le contexte des événements qui ont incité le pouvoir à cette communication de crise autour du thème de l’unité nationale.

À l’image de bien d’autres figures appréciées du public, Douraid Lahham est aussi intervenu à de nombreuses reprises sur les chaînes nationales ou étrangères. Pas toujours de façon très adroite d’ailleurs, si l’on en croit cet article sur le site de la chaîne Al-Arabiya, puisqu’il lui serait arrivé d’utiliser des formules discutables (« La tâche de l’armée [en ce moment], ce n’est pas de combattre Israël mais de préserver la sécurité du pays. »). Arrivé à un âge mûr (il est né en 1934), il n’en est pas moins capable d’un enthousiasme qui lui fait parfois perdre son sang-froid et insulter comme un charretier ceux qu’il perçoit comme les ennemis de son pays !

Aussi célèbre dans la région que Louis de Funès pour les Français, ce scénariste et acteur de comédie qui a travaillé pour la chaîne Al-Manar (proche du Hezbollah) est connu pour ses idées nationalistes. A la fin de l’année 2009, il s’est ainsi rendu à Gaza, accompagné, entre autres vedettes du petit écran, de comédiens du célébrissime feuilleton Bab al-Hara, pour assister à la première d’une pièce militante. À l’occasion, il avait échangé des propos assez peu aimables avec une autre grande vedette de la région, l’Égyptien Adil Imam, à propos du droit légitime de la résistance à s’opposer par les armes à la politique israélienne. Alors que les insurgés libyens avaient déjà lancé leur combat, son nom a été à nouveau abondamment cité dans les journaux à propos cette fois d’une vidéo diffusée sur internet où on le voyait accueillir à son domicile damascène le président libyen Mouammar Kadhafi de passage à Damas…

Alors qu’il s’était déjà associé à une fort civile adresse collective au Président intitulée Sous le toit de la nation (تحت سقف الوطن), dont quelques signataires avaient en plus jugé nécessaire de préciser après coup que leur intention n’était pas de critiquer le régime (voir cet article dans Al-Quds al-’arabi), cette façon qu’a Douraid Lahham de s’afficher avec le pouvoir – au sens propre et figuré du terme – n’est pas nécessairement appréciée de tous les Syriens. Certains trouvent par exemple que celui qui s’est tellement soucié naguère des enfants de Gaza devrait aujourd’hui montrer davantage de sollicitude pour ceux de son pays. A leurs yeux, il aurait pu ainsi donner sa signature à la pétition, lancée notamment par l’écrivain Rima Fleihan, dans laquelle des intellectuels et des artistes ont demandé au ministre de la Santé d’intervenir pour se porter au secours des enfants pris au piège à Deraa, lorsque l’armée a dressé le siège de cette ville du sud du pays, lors d’événements particulièrement sanglants.

Il est vrai que pour une partie de l’opinion, de telles prises de position sont déjà de trop. L’actrice Mona Wassef et quelques autres signataires ont ainsi passé des moments difficiles lorsqu’un présentateur de la télévision nationale, sourd à toutes leurs explications, les accusait de se préoccuper du drame des enfants de Deraa tout en passant sous silence celui des enfants des shuhadâ, les soldats et les policiers tombés lors des affrontements (récit de l’émission dans Al-Akhbar). Une situation qu’avait déjà pu connaître la romancière Samira Yazbek, accusée de « comploter avec des puissances étrangères » parce qu’elle a publié un texte courageux à propos de la situation dans son pays.

La communication politique dans la Syrie du « printemps arabe » (2) : les voix des personnalités publiques

Panneaux publicitaires près de l'Université de Damas

Ces quelques exemples, parmi bien d’autres, sont naturellement révélateurs de la bataille de la communication qui se joue actuellement en Syrie autour de la suprématie d’un récit (narrative) aux dépens de tout autre ; en d’autres termes autour de la reconnaissance de la narration officielle des événements – globalement celui d’une agression étrangère. Néanmoins, par rapport à d’autres versions qui avancent que les événements en Syrie témoignent du désir de réforme d’une partie du peuple syrien, il n’est pas certain que le choix, par les communicants du régime, d’un acteur populaire mais vieillissant soit d’une grande efficacité auprès de ces jeunes manifestants que l’on a vu à l’œuvre en Tunisie et en Égypte, ceux-là même que Douraid Lahham traitait encore il y a peu (article dans Al-Quds al-’arabi) de « gamins de Facebook » !

Plus largement, la crise syrienne pose une autre question, celle des positions adoptés par des personnalités connues et appréciées du public vis-à-vis des événements qui se sont déroulés dans leur pays. Des « listes noires » appelant au boycott de ceux qui ont trop ouvertement manifesté leur soutien au régime renversé ont ainsi fait leur apparition en Tunisie et en Égypte (il y en a aussi dans le cas syrien, dans le camp des « pour » comme dans celui des « contre »). Vis-à-vis de l’intelligentsia le problème se pose différemment tant elle semble, dans plus d’un pays, avoir manqué le train de la révolution menée par la jeunesse. Est-ce parce que les intellectuels, comme l’affirme le cinéaste syrien Muhammad Malas, sont particulièrement victimes de l’absence de démocratie dans la région ? Comme dans cet article du Tunisien Mohammed al-Ghazzi dans Al-Hayat, nombreux sont les témoignages qui affirment qu’ils « n’ont pas participé à la révolution mais se sont contenté d’en être les témoins ». Pour le dire à la manière arabe, ceux qui ont fini par s’exprimer publiquement « partaient pour le pèlerinage quand les autres en revenaient » (voir aussi cet article à propos de la Syrie dans Al-Akhbar) !

Mais de toute manière, les voix des « personnalités » du monde du spectacle ou des sphères intellectuelles ont-elles encore le moindre écho auprès des « gamins de Facebook » qui forment les bataillons des « natifs du numérique » et qui rêvent de faire advenir un nouveau monde arabe ?


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