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Michelle Martin: notre idée de la Justice est exigeante, défendons-la!

Publié le 11 mai 2011 par Duncan

Le déchaînement médiatique soulevé par la libération conditionnelle de Michelle Martin était prévisible1. Mettre en scène, à l’occasion d’une décision de justice, la souffrance renouvelée des victimes et de leurs parents a quelque chose de profondément dérangeant, à la limite de l’obscénité, mais est hélas la marque de la société du spectacle. Car cette souffrance est évidemment pleine, entière, incommensurable : elle ne se limite pas aux quelques jours d’éclairage médiatique autour de cette affaire, éclairage qui s’éteindra bien vite quand les sirènes de l’actualité vogueront vers d’autres horizons.

La profonde sympathie exprimée à l'égard de ces familles meurtries ne doit cependant pas interdire de penser aux conséquences du discours ambiant. Il est plus urgent que jamais de revenir sur ce qu’est la justice (pénale en l'occurrence) car, au bout du compte, c’est de cette question - « Qu'est ce que la justice ? » - que découle toute l’incompréhension qui entoure ce débat. Telle que conçue dans nos sociétés occidentales, la justice repose en effet sur deux idées simples, mais dont la mise en œuvre exige parfois des trésors de vertus.

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1 Il est rare que le JMI prenne position dans de tels débats. Mais, face à certaines couvertures de journaux, il m'est devenu impossible de ne pas répondre. Ainsi vain que cela soit, car je ne bénéficie pas de la diffusion d'un quotidien national, j'ai rédigé ce texte et mon blog m'a semblé la seule manière de le diffuser. J'ai proposé ce texte, à tout hasard, à certains journaux. S'il devait être publié, je le retirerais d'ici.

Premièrement, la justice s'oppose résolument à la vengeance, avec laquelle elle a été, hélas!, longtemps associée. La justice pénale est rendue au nom de l'Etat et non pas au nom des victimes : elle est rendue pour corriger un désordre intervenu dans la société et non pas pour « compenser » ou « venger » celles-ci. Force est de constater que ces deux notions sont parfois, encore aujourd’hui, confondues : peut-on ainsi véritablement considérer que « justice » a été faite avec la mort d’Oussama Ben Laden ? Le cas, hors-norme, de ce terroriste constitue évidemment un test extrême pour la fermeté de nos valeurs. Et la liesse populaire qui a accompagné l’annonce de son décès démontre combien l’idée de justice n’a pas encore totalement imprégné les esprits.

Deuxièmement, la notion de justice repose sur un postulat à la portée proprement révolutionnaire à savoir que le criminel, quel que soit son crime, reste un Homme. Le rôle de la justice est donc, outre assurer l’apaisement et la sécurité de la société, de permettre au condamné de réintégrer la vie publique au terme de sa peine, ou de manière anticipée si les conditions (légales) le permettent. Aucun être humain n'est fondamentalement mauvais et les histoires, très médiatisées, de récidives (parfois sordides) masque l’ensemble des cas, anonymes, où, après un passage devant le juge, un délinquant a retrouvé le « droit » chemin.

Ces deux idées, qui sont l’honneur d’une société civilisée et démocratique, constituent le fondement de notre justice et leur mise en œuvre ne pose généralement pas de problèmes. Parfois, cependant, surgit un cas exceptionnel : le « monstre » Dutroux et ses séides. Doit-on, même dans ce cas, défendre cette conception exigeante de la justice qui la sépare de la vengeance ? La réponse se doit d’être positive : y renoncer serait faire un pas dramatique en arrière.

Cette exigence n’est pas qu’un débat théorique. En effet, le danger, bien réel à l’époque de la montée des « populismes » en Europe, est que la compassion légitime exprimée à l'égard des victimes ne soit instrumentalisée par les démagogues. Qui dès lors pour contrer les appels douteux à la vengeance aveugle que, remarquons-le, les victimes, faisant preuve d’une dignité remarquable, ne réclament pas elles-mêmes ? Comment mesurer les dégâts que provoqueront de tels discours fondés sur le mélange dangereux du sentimentalisme et du sensationnalisme? Poser la question est y répondre : souffler sur les braises du ressentiment est plus facile que de raisonner.

Or, attiser ce genre de braises ne réveille généralement pas les instincts les plus nobles de la société. Si l'on pense sincèrement que la justice a pour but unique, exclusif, le châtiment des criminels, il faut alors militer pour le rétablissement de la loi du Talion et de la peine de mort, seules solutions qui, à défaut de satisfaire les victimes, permettront d’étancher une certaine soif de vengeance. Il faut, résolument, tourner le dos à de telles solutions, marquées par un obscurantisme et une violence indignes d’une démocratie moderne. Et c’est précisément parce que la réaffirmation de cette conception exigeante de la justice est difficile dans les cas les plus exceptionnels qu’elle en est d’autant plus nécessaire.


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