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La longue traque: l’histoire secrète de la chasse à Ben Laden

Publié le 11 mai 2011 par Jcharmelot

 En 1996, un petit groupe d’espions américains s’installent dans des bureaux discrets de Tysons Corner, une banlieue de Washington, la capitale fédérale américaine. Cette opération ultra-secrète porte un nom de code: Alec Station. Et sa mission est très précise: retrouver, et capturer, Oussama ben Laden
   La création de cette antenne de la CIA a été décidée par les patrons de l’Agence de Langley et de son Centre de lutte contre le terrorisme (CTC). Pour le chef du service « action » de la CIA, le Directoire des opérations, David Cohen, il s’agit d’ouvrir un bureau indépendant, dont les agents s’occuperont uniquement du « cas » Ben Laden.

   Alec Station contre Al Qaïda 

   Cohen nomme à la tête de cette opération un homme du CTC qui connaît bien le monde islamique: Michael Scheuer. C’est lui qui fut le premier dans les cercles du renseignement américain à distinguer l’existence d’une mouvance, d’un réseau secret, dont le nom revenait souvent dans les messages interceptés par la CIA: Al Qaïda, « la base ».
   Le travail de la station commence avec une douzaine de spécialistes de la CIA, mais rapidement le nombre des membres d’Alec Station augmente pour atteindre une cinquantaine à la veille du 11 septembre 2001, le jour qui va faire connaître Ben Laden au monde entier.
   Dés le début de sa mission, Alec Station a de la chance : un homme se présentant comme un agent d’Al Qaïda, Jamal Ahmad al-Fadl, a fait défection au printemps 1996, et a trouvé refuge à l’ambassade des Etats-Unis en Erythrée. Jack Cloonan, un agent du FBI qui travaille avec Scheuer réussit à le convaincre de venir se confesser à ceux qui traquent son ancien patron.
   Grace à son témoignage et à d’autres défections, les limiers d’Alec Station mesurent rapidement le péril que représente Ben Laden, Al Qaïda, et ses ramifications dans au moins une soixantaine de pays.
   Mais, à Washington, les décideurs politiques ne sont pas convaincus de l’urgence du danger, et Alec Station, accusée de paranoïa, reçoit un nouveau surnom la « Manson Family ». Du nom du tueur fou, Charles Manson.

   Les Fermes de Tranak -

   Au moment de la mobilisation contre lui des agents de la CIA, en 1996, Ben Laden est chassé du Soudan par les autorités de Khartoum. Et il va se réinstaller en Afghanistan, en achetant la protection des Talibans et surtout d’un de leurs chefs les plus influents: le mollah Omar.
   Sur le terrain, l’installation d’Oussama Ben Laden en Afghanistan facilite la tâche des espions de la CIA. Il a pris ses quartiers, avec sa famille, dans un hameau non loin de Kandahar. Le lieu s’appelle « les Fermes de Tranak », et comprend, outre des logements, une mosquée et un hôpital.
   Les fermes sont entourées de hauts murs, mais Ben Laden en sort tous les jours pour se rendre à Kandahar. Un premier plan pour le capturer est alors mis au point. Mais il ne sera jamais être mis en oeuvre: La Maison Blanche a trop peur des répercussions politiques, en cas d’échec ou de bavure.
   En 1997, dans le document le plus important remis chaque année aux Président des Etats Unis, l’analyse des riques terroristes –le National Intelligence Estimate on terrorism– le nom de Ben Laden est simplement mentionné, sans insistance particulière.
   De son côté Ben Laden publie en février 1998 sa première fatwa, clamant que le meurtre d’Américains est un devoir religieux. A Alec Station, toutes les alarmes sont dans le rouge: pour les experts de la CIA, une attaque contre l’Amérique n’est plus qu’une question de temps.  
   En août 1998, Ben Laden passe à l’action. Des commandos se revendiquant de lui font exploser des camions piégés contre deux ambassades américaines en Afrique de l’Est, tuant et blessant des centaines de personnes.
   Aprés ces attentats au Kenya et en Tanzanie, la CIA prend la décision de lancer une véritable guerre contre Al Qaïda. Mais une première salve de missiles de croisière tirée contre un camp d’entrainement du réseau en Afghanistan, Zhawar Kili al-Badr, ne réussit pas à l’éliminer. La traque doit se poursuivre.

   La guerre des agences -

   En 1999, plusieurs occasions se présentent pour tirer de nouveau contre Ben Laden des missiles censés l’éliminer. Mais le contexte politique aux Etats-Unis, où le président Bill Clinton est affaibli par le scandale de sa liaison avec Monica Lewinsky et les risques de dommages collatéraux conduisent les dirigeants américains à renoncer à ces frappes. Scheuer est furieux.  
   Pendant les premières années de travail de la station Alec, la chasse à Ben Laden s’était heurtée à la concurrence entre la CIA et le FBI. Et même à l’hostilité ouverte entre les deux agences. Mais pour envenimer encore la situation, le Tsar du contre-terrorisme à la Maison Blanche, Richard Clarke, tente en permanence de contrôler les opérations lancées contre Al Qaïda. 
   Finalement, Scheuer fut écarté et un nouveau patron fut nommé à la tête d’Alec Station: Cofer Black. Il restera à ce poste jusqu’en 2002, et deviendra célébre plus tard en prenant la direction de la plus puissante des entreprises de mercenaires, Blackwater.
   Dans le même temps, Ben Laden et ses proches acolytes, ont commencé dès 1999 à planifier ce qu’ils appelaient une « opération aérienne », qui deviendra en septembre 2001 l’attaque terroristes la plus meurtrière de l’histoire.
   A Washington, les responsables de la lutte anti-terroriste sont dépassés par les évènements, incapables de définir une stratégie cohérente de lutte contre Al Qaïda. Pour tenter de remédier à cette situation, ils vont créer une nouvelle structure, la Direction de l’évaluation stratégique, dont le chef prendra ses fonctions … le 10 septembre 2001.

   Fin de piste à Tora Bora -

   Immédiatement aprés les attentats du 11 septembre à New York et à Washington, la traque de Ben Laden prend la dimension d’une priorité nationale. Dans les milieux spécialisés, il ne fait aucun doute que l’extrémiste saoudien est à l’origine du plan audacieux et meurtrier de lancer des avions de lignes contre des immeubles sur le sol américain.
   Et dès octobre, les Etats-Unis s’engagent dans une opération contre Al Qaïda et les Talibans en Aghanistan. Elle n’est toujours pas finie.
   Les hommes de la CIA sont les premiers sur le terrain, sous le commandement de Gary Schroen, une gloire du service action de la Centrale américaine. Avec un petit commando auquel s’est joint un vétéran de la guerre secrète, Billy Waugh, 71 ans, il va mobiliser les combattants de l’Alliance du Nord et les faire se battre pour les Etats-Unis.
   En décembre, des unités des forces spéciales américaines et des combattants afghans opposés aux Talibans prennent d’assaut la redoute montagneuses de Ben Laden et d’Al Qaïda, dans la région de Tora Bora, à la frontière avec les zones tribales pakistanaise. Des bombes géantes sont censées détruire les grottes où ils se cachent, et les forcer à la fuite.
   Selon des agents de la CIA, Ben Laden leur a alors échappé de trés peu. Par la suite Gary Berntsen, qui commandait une équipe sur le terrain, a accusé les militaires de ne pas avoir déployé assez d’hommes. Le général Tommy Franks, chef des opérations en Afghanistan rejetera ces accusations, en assurant que jamais Ben Laden n’avais été à sa portée.
   Le dernier contact radio que le chef d’Al Qaïda a alors avec ses hommes est enregistré le 14 décembre 2001. Pour la CIA, la trace de l’homme qu’elle cherche depuis cinq ans va se perdre quelque part dans les montagnes entre l’Afghanistan et le Pakistan.
   Puis, dans les mois qui suivent, les priorités de l’administration Bush et donc de la CIA vont changer: toutes les énergies à Washington sont mobilisées pour préparer la guerre contre Saddam Hussein et l’invasion de l’Irak. La centrale de Langley va notamment devoir découvrir les armes de destruction massives irakiennes, qu’elle ne trouvera jamais.

   2005: tombée de rideau -

   Discrètement, en 2005, l’Alec station est dissoute, et ses agents réintégrés dans les structures traditionelles de la CIA, notamment le Centre de lutte contre le terrorisme.
   Le CTC créé en 1986 est le doyen des services qui aux Etats-Unis tentent de combattre ce fléau, et c’est lui qui a pendant longtemps chapeauté Alec Station. En 2003, il dut toutefois partager la vedette avec un nouvelle organisme: le Centre national de lutte contre le terrorisme, créé pour coordonner –ou au moins tenter de le faire–, l’action de tous les services de sécurité américains.
   En 2006, la chasse à Ben Laden se poursuit mais elle a été confiée à des agents moins expérimenté, comme Art Keller, passé depuis dans le civil. Keller et ses collègues vont passer des mois au Waziristan, dans la zone frontalière entre le Pakistan et l’Afghanistan. Enfermés dans des bases secrètes, ils ne peuvent pas en sortir de peur de se faire repérer et dépendent entièrement de la bonne volonté des services secrets pakistanais, le ISI –Inter services intelligence.
   Un homme se trouve au coeur du dispositif pakistanais à cette époque: le général Nadim Taj. Il a été directeur général des renseignements militaires de 2003 à 2005, puis patron de l’Académie militaire d’Abbottabad, près d’Islamabad, avant de prendre la tête de l’ISI en 2007 et 2008.
   Le général Taj est un personnage controversé, et les services de renseignements américains le soupçonnent de jouer un double jeu. Ils sont persuadés qu’il soutient des organisations extrémistes islamistes, dont Islamabad se sert dans son jeu d’influence dans la région.
   Il faudra toute la pression que les Etats-Unis peuvent excercer sur le gouvernement pakistanais pour que le général Taj soit remplacé en 2008. Le 1er mai 2011, une courte information est publiée dans la presse pakistanaise: le général Taj a pris sa retraite de l’armée. La veille, lors d’un raid de nuit des SEALs, Ben Laden avait été exécuté dans un vaste propriété dans une ville que le général connaissait bien: Abbattabad. La traque était finie.

   Une guerre rude et secrète -

   Avant cette conclusion de la traque au terroriste le plus recherché du monde, au moins trois épisodes ont illustré la férocité de la bataille engagée. Et ils ont révélé la complexité des relations qui s’étaient établies au fil des années entre les protagonistes de cette chasse à l’homme: la CIA, l’ISI, Al Qaida et les Talibans.

   2007 – Des renseignements parviennent aux plus hauts échelons de l’administration Bush sur une rencontre prévue a la fin de l’été entre Ben Laden et des chefs Talibans dans la région de Tora Bora. Les informations viennent des services de renseignements afghans mais aussi des agents de la CIA qui poursuivent sans relache la traque du chef d’Al Qaïda.
   Ces indications analysées par la CIA semblent suffisamment sérieuses pour qu’un bombardement massif de la zone de Tora Bora soit envisagé et autorisé par le président Bush. La cible doit être frappée par un impressionnant ensemble de moyens comprenant des avions, des hélicoptère et des missiles. Mais alors qu’une escadrille de B2 est à mi-chemin entre leur base secrète et les montagnes afghanes, la mission est annulée à cause de doutes de dernières minutes sur les informations sur la présence de Ben Laden.

   2009 – Le 30 décembre, deux hommes se présentent à l’entrée de la base américaine voisine de la ville aghane de Khost, dans l’est de l’Afghanistan. La base est connue sous son nom de code de Camp Chapman, et elle accueille des troupes régulières américaines en opération depuis le début de la guerre en 2001. Mais elle abrite aussi une antenne ultra-secrète de la CIA, et c’est vers ces installations que les deux hommes se dirigent.
   Les deux visiteurs sont jordaniens, et l’un d’eux est un agent des services secrets du royaume hachémite. Il s’appelle Ali ben Zeid et travaille depuis longtemps avec la CIA, qui apprécie ses services. Son compagnon est un docteur jordanien, Khalil Abou Malal al Balawi, qui assure savoir où se trouve Oussama ben Laden.
   Les deux Jordanien ne sont pas fouillés, et s’approchent des bureaux où les attendent les agents de la centrale américaine. Alors qu’ils s’avancent, un garde du corps les arrête finalement pour s’assurer qu’ils ne sont pas armés. Il est 16:30 au camp Chapman, et les témoins se rappellent la violence de l’explosion qui a secoué la base. Lorsque la poussière retombe, le bilan est lourd. Al Balawi s’est fait exploser et en mourrant il a tué son compagnon jordanien, et sept agents de la CIA, dont le chef de la station du Camp Chapman. Il s’agit de l’attaque terroriste contre la CIA la plus meurtrière depuis celle lancée par le Hezbollah à Beyrouth en 1983.

   2011 – Le 27 janvier, des coups de feu éclatent dans une rue commerçante de Lahore, et deux hommes s’écroulent. Le tireur tente de fuir, mais il est arrêté par la foule. Bientôt la police est sur les lieux, et l’un des épisodes les plus tendus du face à face entre les Etats-Unis et le Pakistan commence.
   Les deux hommes abattus sont des agents des services secrets pakistanais, le redouté ISI. Celui qui les a tués s’appelle Allen Davis. Il est américain et assure qu’il est diplomate. Mais rapidement les Pakistanais révèlent qu’il n’est pas diplomate, et qu’il travaille pour une entreprise privée de sécurité, liée à la CIA. Pour les autorités pakistanaise, Davis ne peut se prévaloir de l’immunité diplomatique. Il doit être jugé et risque la peine de mort pour meurtre. Des relevés de téléphones mobiles révèlent notamment que Davis a parcouru les zones les plus reculées du nord-ouest du Pakistan, les régions semi-automomes où vivent les Talibans et des éléments d’Al Qaïda.
   Finalement, Davies sera jugé le 16 mars, et libéré immédiatement. Durant le procés la famille a accepté une paiement de 2,6 millions de dollars comme prix du sang. Et les accusations sont levées contre, l’homme que certains soupçonnent d’avoir été l’un des patrons de la CIA au Pakistan, chargé tout spécialement de localiser Ben Laden. Et de l’éliminer. Quelques semaines plus tard, se sera chose faite.


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