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Ce que les Français pensent tout bas…

Publié le 13 mai 2011 par Vogelsong @Vogelsong

“La domination et la survie du conservatisme reposent sur le fait que les gens n’établissent jamais de connexions intellectuelles entre les divers éléments du monde réel”. T. Frank in “What’s the matter with Kansas?”

En paraphrasant J. M. Le Pen, sur ce que les Français pensent tout bas, L. Wauquiez s’arroge l’immense privilège de sonder leurs âmes. D’y faire émerger de leur tréfonds le bon sens du petit peuple inaudible, submergé par la bienséance du discours compassionnel des élites pansues. Dont lui-même, énarque, haut fonctionnaire, bourgeois accompli dans son habitus, son idéologie et sa pratique politique, en est le prototype même. On ne lui reprochera pas son manque d’empathie, puisqu’il verbalise ce que la plèbe a rentré. En l’occurrence beaucoup de bassesses sur “l’assistanat, ce cancer de la société”. L. Wauquiez comme beaucoup des siens se pose en porte-voix des veuleries du peuple pour le meilleur compte des dominants.

L. Wauquiez touche juste à plusieurs niveaux dans sa harangue sur l’assistanat. D’une part, il reprend des propos de comptoir et les élève au statut de débat national. Une technique qui malgré moult dénégations du landerneau ne permettra pas au bout de la discussion d’inverser la tendance sur la connotation parasitaire. Ce n’est pas le point de vue d’un quotidien comme le Monde qui changera le message global instillé au fil de l’information. Une infosphère (du Monde à TF1) qui se repait depuis des décennies des turpitudes des profiteurs de subsides de l’État. Sur cette polémique, les chantres du parasitisme disposent de milliers d’heures de propagande d’avance. Or, réenclencher le sujet n’a d’autre objectif que de provoquer un écho à ce capital informatif déjà stocké. D’autant plus que ceux qui prennent un air courroucé, des responsables socialistes aux éditocrates du tout Paris, n’ont pas de leçons à donner. Ils ont à leur niveau contribué à assoir l’une des ces thèses : soit les gueux ont mérité leur sort, soit il y a une mystérieuse cause à la misère.

Le parasitisme des aides sociales est une histoire ancienne. R. Reagan, chantre de l’ultralibéralisme s’emportait déjà en 1976 sur la “Wellfare Queen”, une traitresse qui “cumule 18 noms, 13 adresses, 12 cartes de sécurité sociale, dispose de pensions militaires de 4 maris morts. Elle bénéficie de l’aide médicale et des bons alimentaires. Son revenu net d’impôt se situe à 150 000 dollars”. L’histoire montrera qu’il s’agit d’un mythe, cette reine sycophante n’existant que dans l’esprit malade des spin doctors nourris à la doxa de l’école de Chicago. Mais qu’importe, l’image reste vivace. Un vieux marronnier que N. Sarkozy en 2007 s’adressant aux “Français qui se lèvent tôt” puis L. Wauquiez évoquant “le cancer” s’évertuent à perpétuer. Avec un discours à double portée.

Consolider le modèle dominant de privatisation de l’économie, avec pour corollaire la supériorité du modèle d’individualisation. Ce qui sous-tend les diatribes sur l’assistanat, c’est la thèse selon laquelle ceux qui s’échinent au travail sont amputés d’une partie de leur effort (calculé en rémunération), par l’intermédiaire des cotisations sociales, qui sera distribuée à des profiteurs (entendre non-travailleurs). En d’autres termes, le tassement des revenus de la classe moyenne qui a un emploi est directement corrélé au système de transferts sociaux en faveur de ceux qui s’alanguissent. On retrouve ici l’ode à la valeur travail et à l’effort individuel. Avec pour conclusion la disparition progressive de l’espace de solidarité, pour un modèle où chacun sera livré à lui-même. Qu’il y ait du travail, des richesses ou pas.

Consolider la thèse de l’échec du multiculturalisme. Dans le mythe de la “Wellfare Queen”, les communicants républicains visent spécifiquement l’archétype du profiteur “modèle américain”, c’est-à-dire une femme noire vivant dans les faubourgs décrépis d’une mégapole. Pour L. Wauquiez faire référence au cancer, même si cela peut prêter à débat, rappelle cette excroissance qui menace l’intégrité, la pureté du corps social. Dans le contexte pré frontiste de 2011, l’évocation est frappante. Quant à N. Sarkozy, son adresse aux “Français” qui se lèvent tôt ôte toute ambigüité.

Seuls les paresseux de la presse hexagonale ont cru au mirage du concept de droite sociale. Le Sarkozysme et ses séides font du social comme ils font du populaire, c’est-à-dire en discriminant, stratifiant les citoyens. Le gouvernement cible dans cette polémique la classe moyenne blanche, occupée, dont une partie côtoie le déclassement. Une catégorie en panique sur l’éventualité de rejoindre les laissés pour compte dans la débâcle.

Vogelsong – 13 mai 2011 – Paris


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