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Isabelle Lafon, une comédienne inspirée

Par A Bride Abattue @abrideabattue
Isabelle Lafon, une comédienne inspiréeRetenez son nom. Isabelle Lafon est une comédienne hors pair. Elle choisit ses rôles et les interprète si bien qu’on en oublie que c’est du théâtre. Hier on aurait juré qu’elle était un auteur russe. Ce soir nous étions prêts à nous parjurer en la croyant rwandaise. Elle n’est ni l’un ni l’autre, excepté sur scène.
En général le décor permet de rendre l’action crédible. Ici son absence décuple l’imagination du spectateur, placé dans la position du confident qui écoute une femme venue pour témoigner.
Hier, Journal d’une autre faisait revivre les rencontres de Lydia Tchoukovskaïa, écrivain et critique, avec Anna Akhmatova, une des trois-quatre plus grandes poétesses russes, grande figure de la littérature au même titre que Verlaine ou Apollinaire en France. Elle meurt en 1966 mais n’est publiée en français par Gallimard qu’en 2007. C’est le Journal de Lydia TchoukovskaÏa qui a inspiré Isabelle Lafon. Elle doit sa découverte à la libraire de Vendredi qui fait la promotion de ce qu’elle nomme ses « incontournables ». Le livre est en rupture depuis quelques mois. Isabelle suggère avec humour de l’apprendre par cœur.
La petite recommandation est typique du style de la comédienne qui manie délicieusement le second degré. Elle descend s’asseoir dans le public pour dire à des voisins de rang : vous savez qu’on nous surveille. Plus tard elle proclame que tout chez Tchékov est contre-indiqué pour la poésie, y compris ses vêtements. J’aime pas, répète-t-elle.
Stanislavski, qui est une référence au théâtre, n’a pas davantage grâce à ses yeux : j’aime pas, trop réel. Quand elle commente des photos avec sa partenaire elle adopte le ton de la confidence chuchotée. Son regard se perd au-dessus des premiers rangs et elle lâche : je pose un petit peu bien sur.
On ne sait pas comment cela s’est fait. Elle est passée du « elle » au « je ». S’est adressé à nous en russe et nous voici bouche bée à l’écouter comme une revenante. On en sort bouleversé, avec le sentiment d’avoir passé réellement la soirée en compagnie des deux femmes, à partager des poèmes, pour continuer à vivre et à demeurer artistes malgré la pression du régime stalinien. Les allusions sont ténues, mais l’histoire est suffisamment connue de tout le monde.
Johanna Korthals Altes est Lydia et c’est une partenaire de jeu très subtile qui est pour beaucoup elle aussi dans le succès de la pièce.
Isabelle Lafon parle couramment le russe et elle sourit quand on lui demande s’il est vrai qu’elle déteste Tchékov. En réalité elle l’adore au point de confier son intention de monter la Mouette l’an prochain, probablement avec Nora Krief.
Isabelle Lafon, une comédienne inspiréeLe lendemain, pour Igishanga, Isabelle Lafon est seule en scène, toujours sans décor pour l’encadrer. Juste une chaise adoptée un soir où les « encombrants » sont abandonnés dans la rue. On se dit que cette fois elle ne pourra pas si bien ... et pourtant si. Il suffit d’une intonation, d’une façon de balancer les bras en se penchant en avant, d’un geste de la main sur la tempe pour qu’on ne voit plus qu’une femme africaine témoignant du génocide qui a bouleversé Nyamata, au Rwanda.
C’est encore un livre qui a été le déclencheur. Celui de Jean Hatzfeld, Dans le nu de la vie – Récits des marais rwandais. Là encore, et depuis dix ans maintenant, Isabelle incarne ces survivants des massacres en nous faisant oublier que nous sommes au théâtre. Ce qui est étonnant quand on a la chance de l’écouter ensuite c’est d’entendre la pudeur et la modestie avec laquelle elle parle de son travail qu’elle limite au travail théâtral, sans tirer sur la corde sensible de la pathologie.
Jean Hatzfeld a recueilli des témoignages authentiques et pudiques. Il revient régulièrement sur place où il est heureux de partager les brochettes (au Rwanda çà veut dire dîner entre amis) avec ceux qu’il écoute toujours avec autant d’attention. Il se pourrait qu’Isabelle l’y rejoigne un jour. Elle y est attendue.
Vendredi, 67 Rue des Martyrs, 75009 Paris
Tél: 01.48.78.90.47, Horaires : du mardi au samedi de 12H à 20H
Journal d’une autre et Igishanga sont deux spectacles coproduit par les Merveilleuses, renseignements auprès de Daniel Schemann au 01 43 28 55 01 ou au 06 20 51 87 26

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