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voyage au Vietnam

Publié le 20 mai 2011 par Dubruel

Vers 1900, le docteur Emile D. exercait àSaïgon.

Il a relaté une de ses excursions intitulé : « WAT-POUH, croquis laotien ».

En voici un résumé  rimé :

Etendu sur un matelas de coton blanc,

Je causais avec le krou Akan.

Il portait un sampot de soie marron

Et une veste à cent boutons,

Signes représentatifs de sa position sociale.

Il s’appelait Tapho de son nom patrimonial

Chasseur invétéré s’il en fut,

Il passait des nuits entières à l’affût,

Restant immobile malgré les piqûres

De moustiques.

Il pouvait marcher sans repos ni nourriture

À la poursuite méthodique

D’éléphants sauvages.

C’était là sa vie, son seul ouvrage.

Aussi connaissait-il de la forêt tous les buissons,

Tous les détours de layons.

J’avais gagné son estime en l’écoutant

D’après lui, les chasseurs blancs

Agissaient souvent comme des niais

Et les bêtes riaient quand elles les voyaient.

Devenu son ami,

Je lui donnai un fusil

Pour remplacer son mousquet à pierre.

Depuis, il venait comme un frère,

Me conter les nouvelles des villages,

M’apprendre que tel pâturage

Venait d’être foulé par des douzaines

De daines,

Que la tigresse de Donson-Tâ

Avait mis bas

Ou encore que le chef de Ban-Sé-Sabout

Avait été piétiné dans la boue

Par un éléphant indocile.

Comment Tapho connaissait-il

Tous ces faits ?

Il ne le dit jamais,

Mais ces informations anecdotiques

S’avéraient toujours authentiques.

Lors de sa dernière visite

Il me demanda tout de suite

Si je voulais acquérir le mérite (sic).

Cette légende bouddhique

Me fit tressaillir.

Or, un jour, sans me prévenir,

Il m’emmena à Wat-Pouh,

Cette pagode de la montagne où

J’allais obtenir ce mérite.

L’aventure pour moi était inédite.

Dès l’aube, à grands coups

De perches en bambous

Les coolies piochaient le ressac

Des eaux tièdes du Bassac

Pour faire glisser notre pirogue.

Après huit miles, d’un ton rogue,

Tapho ordonna de toucher terre.

Lances en main, les indigènes sautèrent

Et coururent jusqu’à la lisière de la forêt

D’un trot souple, rapide et discret.

Ils partirent traquer un fauve redoutable

Sous des lacis de branches inextricables.

A midi, ils firent cuire la viande avec du riz

Dans des marmites pendues

A un fuseau de lances. Ils ont bu

Du vin de riz

Et pendant une heure,

Ont chanté en mon honneur.

Puis nous avons franchi

Un premier col où se tapit

Le palais des Phys

-ces méchants génies-

Dissimulé derrière un rideau de bambous,

J’apercevais au loin Wat-Pouh :

Des toits presque plats,

La flèche aigue d’un tat

Et les banderoles recouvertes de pieux écrits

Destinés à tenir éloignés les Phys.

Nos chevaux attachés à des piliers

Frappaient déjà des pieds,

Agitaient leurs crinières,

Hennissaient de colère.

Ils portaient le harnais

Typiquement Laotien :

Bride ronde en coton ornée

De glands teints,

Mors garni de piquants,

Causant par conséquent

De cruelles blessures

A la langue et aux commissures,

Étoffe rouge jetée sur les selles

Au bout desquelles

Pointait une petite queue

Donnant à ces cavaliers vigoureux

Un air de comique achevé.

En un instant, la cavalcade s’est enlevée

A une allure désordonnée

Dans une tempête d’injures surdimensionnées,

De ces injures orientales

Telles que nos expressions hexagonales

Mêmes les plus outrageantes

Ne sont que douces paroles d’amante

Ainsi nous filâmes entre les iaos immobiles

-Ces arbres à huile-

Nous enjambions les racines aériennes et tortueuses

Des banians qui barraient la piste sinueuse.

Nous longions sur tout le chemin

Cycas et bambous nains.

Nous passions sous des lianes entrelacées

De grappes rouges telles les bracelets

En strass rubidescents.

Ici, seuls le Saï et le Quan puissant

Venaient combattre les nuits de lune

Pour la possession d’une biche opportune.

Derrière les ombrages centenaires,

Au pied du sommet légendaire

Se profilaient des bâtiments

Qui avaient défié la jungle et le temps.

Mais ces anciens palais délabrés,

Aux toitures effondrées

Conservaient une beauté fabuleuse

Et mystérieuse

En leurs robes de grès cendrées

Que façonnaient leurs murs salpêtrés.

Les portes principales étaient précédées

De larges avenues bordées

De statues brisées par des buffles en rage.

Gisaient ainsi sous l’herbe sauvage :

Dragons, reines, guerriers trapus,

Ballerines jonglant avec des lotus,

Singes coiffés

De la mitre aigue des princes Khmers, fées,

Femmes aux hanches arrondies, voluptueuses,

Aux gorges gonflées, orgueilleuses,

Un demi-sourire figé mince et charmeur,

Et des yeux larges et rêveurs.

Maintenant, seul le cobra noir régnait,

En maître de ces lieux éloignés.

Le silence du passé semblait peser

Sur les têtes des guides médusés.

Eux qui précédemment avaient chanté

Et ri, devenaient inquiets, déconcertés.

Ils parlaient bas et adoptaient la posture

Qu’ils prennent ne variatur

Devant les autels de Bouddha :

Mains croisées à plat

Sur la poitrine. Les Phys tant redoutés

Allaient-ils se montrer irrités

De notre présence,

De la traversée du séjour des génies

Par le blanc que je suis, contempteur, impie ?

Cet étranger va-t-il les exaspérer

Par sa conduite inconsidérée ?

Les Phys vont-ils se venger d’un geste

Sur mes guides téméraires et modestes ?

Ils pourraient les rendre semblables

Aux vaches bleues, excellentes laitières

Ou aux cerfs admirables,

Ou encore les faire pourchasser par la panthère

Fang-Bong dont on savait la promptitude

Ou par le tigre Sud.

Jadis ici les pèlerins se pressaient

Et ressassaient

En continuum

Om mani padmi hum.

Le kilomètre d’escalier de grès

Etait totalement encombré

Des bonzes psalmodiaient sous des parasols,

Leurs robes orangées balayant le sol.

Derrière eux, les éléphants

Se balançaient lourdement.

Accroupis sur leurs nuques les cornacs demi-nus

Flattaient les cous ridés tendus

Vers les jeunes pousses de bambous.

Les princes priaient debout,

Immobiles, les yeux clos,

Raidis dans leurs sampots

Et leurs courtes tuniques qu’ornent

Des épaulettes retroussées comme des cornes.

Puis les musiciens suivaient

D’un pas enlevé

Soufflant dans leurs kens des sons profonds

Soutenus par les violons et

Avec leurs kens, flûtes aux sons profonds,

Soutenues par les violons

Et rythmées

Par les tambours frappés à poings fermés

Depuis combien d’années la dernière procession

Avait-elle entrepris cette ascension ?

Seuls pourraient le dire les statues dispersées

Dont les yeux de pierre me regardaient passer

Un grand bonze-cerbère

Nous fit entrer dans le sanctuaire

En entrant, je reconnaissais le bouddha autant

Par le sourire bienveillant

Que par ses traits de noble chinois

Et son nez fin et droit.

Vieux prêtre d’un temple en ruine,

Il gardait une noblesse quasi-divine.

Fidèle observateur de la Loi,

Doux à tout ce qui vit partout.

A ses pieds,

Dans un grand boitier

Tapho a déposé ses offrandes :

De banales guirlandes,

Quelques bougies,

Un peu de riz,

Des fruits,

…Qu’offrir à celui

Pour lequel le monde n’est qu’une ombre

Et ce qui l’entoure, l’ombre d’une ombre ?

Ensuite, tout émotionnés,

Nous allâmes nous incliner

Devant le pied du Bouddha doré

Taillé dans le roc vénéré,

A même le flanc de la montagne.

Ce rituel signifie que chacun gagne

A suivre la Voie d’un pied déterminé, assuré.

Puis le vieux Satouck s’est assis sur un tabouret.

Un sourire éclairant sa figure parcheminée,

Il nous a déclaré in fine :

« Les grands cerfs buvaient l’eau du Bassac 

Bien avant que régnât le roi Prack.

Mais à côté de son royaume pacifique

Vivait le seigneur Rayé et son peuple cruel.

A chaque lune nouvelle,

Celui-ci venait réclamer sa proie périodique,

Ses tigres ne se nourrissant que de la chair

De leurs frères.

Le roi des cerfs prenait en pitié son peuple victime,

Condamné à périr de façon illégitime ;

Ainsi, pendant quarante années,

Le roi des cerfs souffrit de voir la justice violée.

A la fin de sa vie, parmi ses électeurs,

Il choisit comme disciple le meilleur.

Il lui apprit la loi

Et la vie selon la loi.

A l’issue .de son dernier enseignement,

Il dit à son disciple, devenu son pair :

Je t’ai enseigné la Voie toute entière. 

Or, seigneur tigre évidement

Se présenta au parc des cerfs : -O Roi

Puisque la coutume me donne le droit

A chaque lune, de choisir une victime,

C’est celui-ci, ton disciple sublime,

Que je vais emmener.

:-Rayé, tigre cruel, je ne vais pas te le donner

Car aujourd’hui il termine

L’étude de la Loi et il a désormais

Acquis le mérite, mais

Comme mon œuvre est terminée maintenant,

C’est moi qui vais te suivre dans un instant.

Car je sais qu’après ma disparition

La Loi sera respectée par la population. »

Par la suite, deux bonzes aux crânes rasés

Nous conduisaient

A la sala des hôtes étrangers.

Là, dans un carafon ouvragé

Ils nous apportèrent

Une eau fraîche et légère.

Cette eau conservée à l’air

Libre depuis trois ans, avait été trois fois

Corrompue, et était redevenue trois fois

Limpide. Elle ne se troublera plus.

Et sans aucun danger elle peut être bue.

Soudain, je saisis le pourquoi de ces ruines égarées,

L’abandon de cette pagode toujours vénérée.

Le Mérite ayant été bien transmis,

L’œuvre du Sage était accomplie.

Il pouvait s’arracher au Cercle des Existences.

Quant à moi, je n’étais pas près

D’oublier cette expérience.

Au loin, le soleil a sombré

Dans une coulée

De pourpre et d’or mêlés.

De la plaine montait la nuit tropicale.

Spectacle phénoménal !

Une pipe à eau que les guides se passaient

De main en main

Mit dans l’ombre qui s’épaississait

Un point rouge de fin

A cette journée insensée.

La nuit de la brousse allait commencer.


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