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Ellroy : apéritif

Par Thomz

James Ellroy, comme le « Demon Dog » autoproclamé qu'il est, aime à marquer son territoire en déversant sa voix faite de puissance et d’excès.

Los Angeles. Ville maudite, plaque sismique, royaume su rêve et de la décadence, immense fosse de l’enfer à ciel ouvert. C’est dans ces quartiers qu’Ellroy pose ses pompes et nous balance à intervalles réguliers des directs dans la gueule. Un espace donc, entre Wilshire Boulevard, les suburbs, et l’extension infernale de la Cité des Anges, Tijuana. Cartographie littéraire, paysage balisés, reconnaissables entre mille. Ellroy suit au travers de tous ses romans cette ville qui l’a enfanté, qui l’a fait mourir et renaître par l’écriture. Evolution rhizomique, tendance tumorale. Bien cancéreux.

Ca commence dans l’année 47 avec le Dahlia Noir, ça se termine dans les années 80 avec la fin de la cavale d’Un tueur dur la Route, où la lente déchéance de Lloyd Hopkins dans la Colline Aux Suicidés. L’enfer est pavé de romans de James Ellroy, et son pitbull pisse allégrement dessus pendant le chemin. 40 ans d’Histoire américaine abordés. Mais l’Histoire chez Ellroy, là aussi, ça n’a rien à voir. Rien du tout.

Los Angeles.

Peuplée de monstres, de pervers sexuels, de voleurs de bagnoles pédés ou non, de putes, de flics pourris, marrons et gris. Quelques bonnes âmes.

L’œuvre d’Ellroy est le roman noir de la fin du siècle. Fini le manichéisme, l’unilatéralité des personnages, l’archétypisation (ce n’est même pas un mot mais ça fait joli). La transition d’un paradigme à l’autre est peut être le plus détectable dans Brown’s Requiem, premier roman d’un Ellroy trouvant sa voix dans l’écriture. On y retrouve les principaux codes du noir, mais on sent déjà que quelque chose d’autre se passe, s’opère. Ellroy nous touche avant tout, dans sa description d’un détective privé, Fritz Brown, et sa longue descente aux Enfers, parallèle de celle de sa ville. Le premier chapitre de ce roman mésestimé et surtout méconnu, s’intitule d’ailleurs, peut être dans un premier et ultime clin d’œil : « Moi le privé» (« Private I » il me semble en anglais, jeu de mot usé jusqu’à la corde mais qui n’est pas ici sans importance). La violence y est omniprésente, tourbillon perpétuel et inévitable dans lequel l'âme humaine pour exister, doit plonger.
A la lecture des articles écrits ces dernières années, on se rend compte que c'est dans doute son roman le plus personnel dans lequel il a transcrit le plus d'éléments de sa vie. La violence, la musique classique, le désespoir, la mort. Thèmes universels certes, mais qui trouvent une chambre d'écho stupéfiante dans ce roman, et dans les autres.
Premier roman presque parfait à mon goût qui laissait entrevoir de grandes choses. Il manquait à Ellroy de s’approprier un des thèmes de chasse. Ce qu’il va faire tout au long de son œuvre.

Flics et tueurs avant tout.

Catégories ô combien perméables. Le mal dans toute son horreur, dans toute sa nuance. On trouve des personnages mémorables dans tous les romans d’Ellroy. Un figure en particulier retient notre attention. Celle de Dudley Smith. Flic Irlandais du LAPD dont nous suivons l’évolution de la carrière dans plusieurs des romans d’Ellroy. Pourri jusqu’à la moelle, Diable enjôleur, Méphistophélès plutôt. On est plus proche de Faust que de la Bible. Smith en est peut être le plus emblématique, mais une des principales caractéristiques d’Ellroy est d’avoir su composer un univers d’une cohérence totale, dans lequel ses romans savent se répondre entre eux tout en ne se répétant jamais. Le Diable est dans les détails, et c’est souvent au détour d’une remarque, d’une page que l’on retrouve tel flic, que tel autre va prendre de l’importance dans un autre roman, alors qu’il n’est ici qu’évoqué. Jeu de correspondances total dont on pourrait passer très longtemps à essayer de démêler l’écheveau. Fritz Voegel, Dick Steinsland, Buzz Meeks, Ed Exley, Pete Bondurant…Et puis Smith.

Cela n’est qu’un apéritif. Le plat de résistance arrive d’ici quelques jours, le temps pour moi de recoller les morceaux de souvenirs éparpillés ça et là, de me réimpregner de quelques lignes bien qu’elles ne m’aient jamais désertés.

Un apéritif se doit d’être léger et d’engager à découvrir ce qui vient ensuite. S’il a été assez bien préparé il ne doit pas faire que l’on sorte de table.

Espérons que vous ne quittiez pas vos chaises.

PS : La petite phrase d’accroche sous mon titre (Beware the hideous passions that lurk within) est d’ailleurs une dédicace d’Ellroy sur la page de garde de mon White Jazz, quatrième et dernier volume du Quatuor de Los Angeles, pièce maîtresse et centrale sur laquelle repose toute son œuvre et sur laquelle je m’étendrais plus, beaucoup plus dans mon prochain papier sur Ellroy.

Exergue magnifique à ce roman, à ce qui lui précédait, et à ce qui lui a suivi.




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