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Élisabeth Eidenbenz (1913-2011), îlot de paix

Publié le 24 mai 2011 par Sylvainrakotoarison

Le Talmud dit : « Quiconque sauve une vie sauve l’univers tout entier. ». Une femme discrète et presque anonyme vient de disparaître avec ce privilège d’avoir sauvé près de six cents vies humaines.


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Étrange parallélisme de destins à trois années d’intervalle. Le 12 mai 2008, une grande résistante polonaise, Irina Sendlerowa, s’éteignait à 98 ans. Elle avait sauvé 2 500 personnes de l’enfer du nazisme.

Dans la nuit du 22 au 23 mai 2011, une autre femme épatante s’éteignait à presque 98 ans. Élisabeth Eidenbenz allait les atteindre le 12 juin prochain. Elle aussi, courageuse et modeste, elle faisait partie des "Justes parmi les nations", une reconnaissance par l’Institut Yad Vashem des héros qui ont sauvé des Juifs. Elle avait sauvé 597 enfants, pour les deux tiers, des réfugiés espagnols du franquisme et pour l’autre tiers, des réfugiés du nazisme, dans sa "Maternité suisse d’Elne".

Fille d’un pasteur évangélique suisse, institutrice, elle avait d’abord enseigné trois ans dans son pays puis un an au Danemark. C’est à 24 ans qu’elle décida de se reconvertir en infirmière afin d’aider les familles victimes de la guerre civile espagnole, d’abord à Madrid puis à Valence. En 1939, elle suivit les réfugiés dans des camps précaires sur des plages du Roussillon, à Argelès-sur-mer, à Saint-Cyprien, au Barcarès, à Arles-sur-Tech, à Prat de Mollo, à Rivesaltes et à Gurs où elle lutta contre la malnutrition et les maladies des enfants et des mères. La mortalité des bébés et des mères qui accouchaient dans ces camps de réfugiés était très élevée.

Élisabeth Eidenbenz trouva des fonds à Zurich où elle était née pour racheter en septembre 1939 le château d’en Bardou à Elne construit au début du siècle par un industriel du papier à cigarette et le transformer en maternité. La commune d’Elne était située pas loin de ces camps de réfugiés dans les Pyrénées Orientales.

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En 1941, elle expliquait son action :
« Nous accueillons les femmes de n’importe quelle nationalité. La misère n’a pas de patrie, ni le malheur. ».

Cette maternité a effectivement permis à beaucoup de femmes enceintes persécutées de mettre au monde leur bébé dans des conditions sanitaires correctes et dans des conditions psychologiques amicales. Près de six cents enfants de vingt-deux nationalités ont pu ainsi naître entre le 7 septembre 1939 et la fermeture par les nazis le 9 avril 1944. Comme elle travaillait avec la Croix-Rouge suisse, qui imposait la neutralité, elle parvenait à fournir des papiers d’identité falsifiés avec ses contacts dans la Résistance.

Guy Eckstein, l’un de ces enfants nés dans sa maternité, a évoqué ce lundi 23 mai 2011 cette femme-courage : « Elle disait considérer comme un cadeau ce que la vie lui avait permis de faire, quitte à devoir désobéir pour pouvoir le faire, ce qui démontre que la désobéissance peut être constructive. Elle a passé sa vie à défendre les plus vulnérables, sans jamais demander leur origine à ceux qu’elle sauvait et c’est ainsi que je lui dois la vie. ».

Mais Élisabeth Eidenbenz n’était pas d’accord dans cette réinterprétation de l’histoire, car son humilité en serait heurtée : « Je suis très heureuse et contente du travail accompli, ça a été important dans ma vie. Je n’ai jamais pensé qu’ils nous devaient la vie grâce à notre travail. ».

Après la guerre, de 1946 à 1975, Élisabeth Eidenbenz s’installa en Autriche et créa et dirigea des "maisons suisses" pour prendre soin des nouveaux-nés et des jeunes enfants de réfugiés des pays de l’Europe centrale et orientale sous dictature communiste.

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Guy Eckstein fut à l’origine de la reconnaissance de l’action héroïque de la grande dame, ce qui a abouti en 2002 à la remise de la médaille des "Justes parmi les nations" dans le château d’Elne qui était tombé en ruine et qui a été restauré bien après (et racheté par la municipalité).

Elle reçut par ailleurs en 2006 la médaille de l’Ordre civil de la Solidarité décernée par la reine Sofia d’Espagne et la Croix de saint Jordi qui est la plus haute distinction de la "Généralité" (région) de Catalogne.

Élisabeth Eidenbenz fut également décorée par la République française de la Légion d’honneur remise le 15 mai 2007 à Vienne par l’ambassadeur de France Pierre Viaux.

À cette occasion, elle se souvenait : « Nous avons fait ce travail avec beaucoup de joie et toute notre disponibilité. C’était un privilège de pouvoir aider ces pauvres mères. (…) Toutes les femmes que nous avons reçues étaient déracinées, sans patrie, avec un futur incertain. Nous avons pu leur donner quelques temps un peu de calme, de sécurité et de chaleur humaine, ce qui leur manquait le plus. Les mères ont pu se reposer dans une atmosphère familiale et amicale. (…) De temps en temps, je revois quelques uns de "mes enfants" de la maternité, ce qui me rend très heureuse. C’est la richesse de mes vieux jours. (…) Dans toute la misère et la terreur de la guerre, il y avait un îlot de paix. ».

Dévouement, humilité, convivialité, courage et cosmopolitisme furent les valeurs qui guidèrent l’une de ces admirables personnes qui ont un petit peu sauvé l’univers.

L’enterrement d’Élisabeth Eidenbenz se déroulera le vendredi 27 mai 2011 à 14 heures au temple protestant de Zurich, en Suisse. Elle sera ensuite inhumée exceptionnellement dans le cimetière jouxtant le temple.

Quatre séquences vidéos sont visibles à ce lien.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 mai 2011)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Discours de remise de Légion d’honneur (15 mai 2007).
Irina Sendlerowa.

Vidéos d'Elisabeth Eidenbenz.


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http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/elisabeth-eidenbenz-1913-2011-ilot-94705




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