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Un autre regard sur le printemps arabe : à propos d’un poème de Saadi Youssef

Publié le 30 mai 2011 par Gonzo


أيّ ربيعٍ عربيّ ؟
الدجاج ، وحده ، سيقول : ربيعٌ عربيّ .
هل خلَتِ الساحةُ من طفلٍ ؟
أعني هل خلت الساحةُ من شخصٍ يقول الحقَّ صُراحاً ؟
أيّ ربيعٍ عربيّ هذا ؟
نعرف تماماً أن أمراً صدرَ من دائرة أميركيّة معيّنةٍ .
وكما حدث في أوكرانيا والبوسنة وكوسوفو ، إلخ …
أريدَ له أن يحدث في الشرق الأوسط وشماليّ إفريقيا .
الفيسبوك يقود الثورة في بلدانٍ لا يملك الناس فيها أن يشتروا خبزَهم اليوميّ !
هذا المدقع حتى التلاشي ، الأمّيّ ، التقيّ …
هذا الذي لا يستطيع أن يذوق وجبةً ساخنةً في اليوم .
هذا الذي يعيش على الأعشاب والشاي وخبز الحكومة المغشوش.
هل يعرف الإنترنت؟
ومَن هؤلاء القادةُ الفتيانُ ؟
عيبٌ والله!
أحسنتْ مصرُ صنعاً ، رئيساً ( أعني حسني مبارك ) وشعباً …
وأحسنتْ تونسُ صُنعاً :
سمِعْنا وأطَـعْـنـــا .
لقد قرأت مصرُ الرسالةَ .
والتوانسةُ قرأوا الرسالة.
أمّا طرابلس الغرب فإنها تتلقّى الحقيقةَ بالقنابل :
معنى الربيع العربيّ.

Quel printemps arabe ?

Il n’y a que les poules pour répéter « Printemps arabe !»
N
‘y aurait-il plus d’enfant ?
Je veux dire : N’y aurait-il plus personne pour clamer la vérité ?
Qu’est-ce que c’est que ce printemps arabe ?
On sait bien que l’ordre est parti de certaine administration américaine,
comme déjà en Ukraine, en Bosnie, au Kosovo…
On l’a voulu aussi pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Facebook conduit la révolution dans des pays où les gens n’ont pas de quoi payer leur pain quotidien !
Ce pauvre malheureux qui survit à peine, cet analphabète, ce bigot,
Qui ne mange même pas un plat chaud par jour,
Qui vit dans un taudis, de thé et de mauvais pain subventionné,
Il saurait ce que c’est internet ?
Mais qui sont donc ces jeunes leaders ?
Quelle honte !
L’Egypte a tout fait comme il faut, son président (Je veux dire Hosni Moubarak) comme son peuple,
Et la Tunisie aussi :
« Nous vous avons écouté, et nous avons obtempéré. »
L’Egypte a reçu le message
Et les Tunisiens aussi.
Quant à Tripoli-de-Libye, elle découvre, à coup de bombardements
la vérité du printemps arabe !

L’auteur de ce texte, l’Irakien Saadi Youssef (سعدي يوسف), est une des grandes voix de la poésie arabe contemporaine (voir ce précédent billet où il était rapidement présenté). Cela ne saute pas aux yeux à la lecture de ces quelques lignes, publiées il y a presque un mois, mais elles méritent tout de même traduction, au moins pour ce qu’elles nous disent sur ce que pense du « printemps arabe » une partie de l’opinion.

Qu’on ne s’y trompe pas, les médias arabes (et pour ce que l’on en sait les populations également) ont, dans leur immense majorité, pris fait et cause pour les divers soulèvements. À quelques nuances près naturellement (voir ce billet à propos d’Al-Jazeera), en fonction des intérêts stratégiques qui, dans le monde arabe comme ailleurs sans doute (mais c’est une autre histoire…), se tiennent presque toujours derrière la ligne éditoriale de tel journal ou de telle chaîne télévisée.

Cependant, la position d’un Saadi Youssef existe, même si elle est rarement évoquée en dehors du monde arabe, et même si elle y a suscité une avalanche de commentaires négatifs, sur le mode : « Pauvre vieux Saadi Youssef, il a vécu trop longtemps en Europe pour comprendre ce qui se passe chez nous, soyons indulgents… » (Pour les lecteurs qui voudraient en profiter, voir à la fin de ce billet les liens vers des réponses – en arabe – aux lamentations du « dernier communiste » comme il se nomme lui-même.)

Comment interpréter ce type de position ? On y entend les échos d’une thématique bien connue, celle de la « conspiration ». Certains s’étonnent ainsi du soutien actif que prodiguent à cette révolution arabe nombre d’Etats étrangers, USA en tête, naguère surtout préoccupés par le maintien du statu quo régional, y compris lorsque cela passait par l’abandon des principes de la légalité internationale… Pour les sceptiques du type Saadi Youssef, la volte-face de ces puissances étrangères – celles-là mêmes qui ont la mainmise technique sur les fameux réseaux sociaux dont il se dit qu’ils sont au cœur des renversements politiques – ne s’explique que par la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie où le smart power remplace désormais le simple usage de la force (sauf en Libye mais, là encore, c’est une autre histoire).

En fait, adversaires et partisans du « printemps arabe » (tel l’essayiste Ali Harb) partagent, consciemment ou non, une même analyse qui place les médias (anciens et nouveaux) et les réseaux sociaux au cœur de cette nouvelle diplomatie publique. Il n’est donc pas étonnant de constater l’importance qu’a prise la bataille du contrôle de l’opinion avec, dans le cas syrien notamment, une véritable interrogation sur le rapport de force au sein de la population entre, d’un côté, les partisans du récit dominant sur la scène mondiale et sans doute également dans l’opinion arabe et, de l’autre, ceux qui adhèrent au discours des autorités lorsqu’elles dénoncent une « fabrication de l’opinion » sous la trompeuse image de la révolte arabe. En conséquence, l’ambition du régime dirigé par le président El-Assad consiste clairement à maintenir une sorte de « bulle médiatique » isolée de l’opinion mondiale. Combien de temps cela peut-il durer dans un contexte régional largement favorable au changement, même en tenant compte d’une certaine désillusion après les premières victoires populaires ?

Le « poème » de Saadi Youssef mérite toutefois d’être soumis à une seconde grille de lecture, qui ne contredit pas la première mais au contraire se superpose à elle : celle de la transition générationnelle, y compris au sein du champ intellectuel. Parmi les très nombreux commentaires que suscitent les événements actuels dans le monde arabe, on peut être sensible à ceux qui soulignent l’absence des élites reconnues du champ intellectuel, dans les pays où se sont déroulés d’importants soulèvements mais pas seulement. A l’image de la scène politique où les acteurs traditionnels ont bel et bien été emportés par un mouvement dont ils n’avaient pas l’initiative, la scène culturelle et intellectuelle semble être le théâtre, à l’occasion des événements du printemps arabe, d’un profond mouvement de renouvellement.

Saadi Youssef à sa manière, mais au-delà de sa personne la plupart des élites en place dans le domaine de la création artistique ou de la pensée, se trouvent totalement déstabilisées par ce « printemps arabe » : elles l’espéraient encore moins qu’elle l’ont vu venir et se sont bien souvent trouvées totalement marginalisées par rapport à la marche des événements ; quand ceux-ci se sont accélérés, elles ont bien souvent fait les mauvais choix et se sont obstinées à soutenir des systèmes déjà condamnés ; là où la révolution est passée, elles ont le plus souvent bien du mal à retrouver leur place…

Même s’il est encore trop tôt pour suivre ceux qui pensent, comme Boutros Hallaq, que la jeunesse arabe est en train de « refonder la Renaissance » arabe (intéressant texte en arabe dans Al-Hayat), la disparition de ce que Saadi Youssef appelle lui-même l’intellectuel suiviste (المثقف التابع), aussi souvent donneur de leçon que complice du pouvoir, serait, à coup sûr, une vraie révolution ! Bonne chance aux « gamins de Facebook » !

Des réponses à Saadi Youssef :
سعدي يوسف والربيع العربي
رحاب أبو هوشر
سعدي يوسف…إلى أين؟
فواز قادري
تعقيباً على نَصِّ الشاعر سعدي يوسف: كُلُّ الفُصولِ لا الرَّبيع وَحْدهُ
صلاح بوسريف
لغة الأشياء / إلى سعدي يوسف مع خالص الخيبة!
باسمة العنزي


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