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La révolution des grands-mères

Publié le 31 mai 2011 par Richardlefrancois

Je vous invite à lire ce texte fort intéressant découvert sur le site Mythe-Alzheimer

Dans leur livre sur le mythe de la maladie d’Alzheimer, Peter Whitehouse et Danny George s’attaquent à de nombreux stéréotypes ; non seulement à ceux qui sont liés à ladite maladie, mais aussi à ceux de l’âgisme ambiant, qui présentent nos aînés comme des individualistes, repliés sur eux-mêmes et promis à un déclin inévitable, « à une incapacité croissante, à une détérioration de réseaux sociaux et à une descente vers l’oubli (p. 335) », le tout à un coût croissant pour la société.

Pour contrer ces funestes perspectives, les auteurs insistent beaucoup sur l’importance d’un engagement au sein de la communauté, de préférence à visée altruiste et en particulier au bénéfice des générations ultérieures. En ce sens, ils placent beaucoup d’espoir dans les « baby-boomers », nés de l’explosion démographique des années d’après-guerre, dont les premiers représentants atteignent l’âge de la retraite. En particulier, ils les incitent à valoriser leur créativité, leur ingéniosité et leur capacité d’agir – signalons que bon nombre des baby-boomers ont été des militants actifs à la fin des années 1960 – pour dépasser les clichés de la vieillesse qui prédominent dans notre société ; en d’autres termes, il s’agit d’une invitation à concevoir le vieillissement – personnel comme collectif - comme un processus dynamique de transformation, une nouvelle phase de l’existence durant laquelle les acquis de toute une vie peuvent être mis à profit pour soi et pour la communauté.

Deux articles récents du journal romand « Le Temps » montrent que certains aînés (en l'occurence, certaines) ont adopté de telles approches. En effet, à l’instar de groupes existant depuis plusieurs années en Amérique du Nord (les  « Raging Grannies »), des femmes établies en Suisse viennent de se regrouper sous la bannière de « Grossemuetterrevolution » (« la révolution des grands-mères »). Or ce groupe a été constitué par « des personnes qui ont vécu 68, qui ont contribué à la libération de la femme, et qui se retrouvent aujourd'hui grands-mères », dixit le sponsor de l’association.

Loin des clichés de « mamies-gâteaux », ces femmes, qui ont été parmi les premières en Suisse à concilier vie de couple, vie de famille et travail (rappelons aussi ici que le droit de vote ne leur a été octroyé qu’en 1971…), ont notamment le souci de montrer que la vieillesse est loin de n’être qu’un facteur de coûts et que leurs activités constituent une contribution significative à la société : engagement associatif, garde des petites-enfants pour permettre aux parents de travailler (faute de places en crèches), soins à domicile… Si elles recherchent une meilleure visibilité, ce n’est pas pour obtenir une rétribution financière ou un pouvoir politique, mais pour mettre en marche un mouvement qui mène à un changement de regard sur ce qu’elles sont et font ! La lutte contre l’âgisme est une de leurs priorités. Comme le constate Louise-Edith Ebert, co-fondatrice du seul groupe francophone de même inspiration, les « Mémés déchaînées », fondé en 2001 à Montréal : « La société veut que nous consommions et que nous nous taisions. Beaucoup de personnes âgées se mettent de côté, alors qu’il faut trouver une façon de se rendre utile et de faire entendre notre voix. »

A l’instar de leurs consœurs d’Outre-Atlantique, ces grands-mères suisses veulent militer pour un monde meilleur et plus juste, dans lequel leurs enfants et petits-enfants pourront grandir correctement : paix, aide au pays en voie de développement, accès à la santé et à l’éducation, qualité de l’alimentation et de l’environnement, les thèmes ne manquent pas…

Elles revendiquent aussi une part accrue de liberté : les nouvelles grands-mères ne sont pas que des êtres altruistes qui servent de babysitters bénévoles. « Dispensées des tâches ménagères et professionnelles, elles veulent pouvoir valoriser d’autres aspects de l’existence. Avoir du temps à consacrer à de nouveaux apprentissages, à la culture, aux voyages, à la créativité personnelle. Et aussi à de nouvelles relations. Ce sont des femmes âgées, mais qui ne veulent cependant pas se voir privées de leur potentiel de développement et se retirer de la vie publique. » (traduction de textes mis en ligne sur leur site internet)

Cet engagement ne peut qu’être profitable à tous. D’une part, l’apport des « baby-boomers » - ici représentés par ces grands-mères engagées – à la communauté est très significatif et il est hautement souhaitable qu’il se renforce dans les années à venir, notamment par le biais d’actions intergénérationnelles : voyez par exemple le modèle de l’école intergénérationnelle de Cleveland (The Intergenerational School, TIS), dans laquelle des aînés viennent apporter leurs connaissances aux enfants par le biais de programmes axés sur l’aide à la lecture, la connaissance de la nature, le jardinage, etc.(http://www.tisonline.org/). D’autre part, comme le dit la Canadienne Marguerite Bilodeau, « être une Raging Granny donne du courage. Quand on pense aux autres, on ne se préoccupe pas de ses petits bobos !», ou encore, comme le souligne Heidi Witzig, historienne et féministe helvétique, « s’engager avec d’autres fait partie de la vie, et cela fait surtout plaisir. »

De manière plus générale, cet engagement s’inscrit dans une nouvelle philosophie de vie. En se projetant dans une histoire différente et en développant de nouvelles visions et de nouveaux objectifs, on raconte un autre vieillissement tout en s’inscrivant dans le fil des générations et de la transmission. « Vivre, cela veut dire rester dynamique sur le plan cognitif, avoir un but qui dépasse notre propre personne, reconnaître notre intrication avec les communautés locales et avec la communauté plus large de l’humanité, assumer la responsabilité de l’environnement que nous partageons collectivement, accepter que nous devons laisser en héritage un monde meilleur à nos enfants et petits-enfants. » (Whitehouse et George, « Le mythe de la maladie d’Alzheimer », p. 329)

Il s'agit donc pour la personne âgée de rester le sujet de son histoire, sans oublier pour autant que, très souvent, elle doit pour cela se battre contre des conditions environnementales, sociales, économiques et médicales précaires...

RL


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