Magazine

Le sens de la terre.

Publié le 01 mai 2011 par Sebastienjunca

« Blasphémer Dieu était jadis le pire des blasphèmes, mais Dieu est mort et morts avec lui ces blasphémateurs. Désormais le crime le plus affreux, c’est de blasphémer la terre et d’accorder plus de prix aux entrailles de l’insondable qu’au sens de la terre. »

Friedrich Nietzsche,

Ainsi parlait Zarathoustra.

Le récent tremblement de terre survenu au Japon; le tsunami qui a suivi et la non moins terrible catastrophe nucléaire de Fukushima nous en avertissent : plus le monde moderne continuera ainsi d’accentuer sa dépendance à la fois matérielle, technologique et énergétique, et plus les populations concernées seront fragilisées et vulnérables face aux plus ordinaires et inévitables démonstrations de force de la nature. En de telles circonstances, nos plus puissantes technologies sont autant de points d’appui pour une nature dont les effets dévastateurs s’en trouvent de la sorte multipliés. Croyant par là nous affranchir d’une nature depuis toujours considérée comme hostile, nous ne faisons chaque jour que nous fragiliser davantage. La frugalité, l’économie, le bon sens, l’improvisation et la solidarité à elles-seules auraient pu suffire à notre bonheur et à une immunité auxquels nous avons progressivement tourné le dos au fil de nos soi-disant progrès.

L’histoire de la vie et de la terre nous enseigne que nombre d’espèces et de civilisations ont de la sorte disparues, ensevelies, écrasées sous le trop lourd fardeau de leur propre histoire, de leur mémoire, de leur généalogie ou de leur culture. Survivre c’est évoluer. Et évoluer c’est avant tout savoir renoncer à chaque instant à celui qui l’a précédé. C’est en cela que réside le secret, la dynamique, l’articulation de toute forme de mouvement, de progression ; de liberté en somme. Les certitudes les plus dures ; la thésaurisation des acquis, de la culture, des modes de vie, des traditions, des sciences et des techniques ; des richesses dans tous les domaines... sont autant de lourds édifices qui ne demandent qu’à être renversés. Arrachés d’une terre cent fois millénaire qui les aura nourris jusqu’à épuisement. Toutes les formes d’immobilismes, de concentrations et de concrétions sont autant de dangers et de « prises au vent » du destin. Nos sociétés modernes n’ont jamais autant eu la possibilité de stocker, de classer, d’inventorier, de comptabiliser, d’étiqueter, qu’elles l’ont aujourd’hui grâce à ce que l’on nomme les nouvelles technologies. Les chercheurs tournés vers le passé ; les conservateurs, les glossateurs, les paléontologues et les archéologues n’ont jamais été si nombreux. On creuse, on gratte, on dépoussière, on sauvegarde, on protège. On éventre à l’envi tous les tombeaux ; toutes les sépultures du monde antique dans une ivresse profanatoire à seule fin de venir grossir les bibliothèques numériques, les réserves des musées et les patrimoines culturels des pays les plus riches. On se repaît de mort de toutes les manières possibles : c’est le culte de la mort contre celui des morts.

Rien n’est plus insaisissable, diaphane, léger, furtif et mobile que la vie. Aussi, toute tentative de fixation de ces forces incommensurables dont elle est la partie visible, entraîne immédiatement à sa suite l’accumulation rapide de puissances d’autant plus incontrôlables et dévastatrices que l’opposition à ce puissant torrent se fera croissante. Cette Volonté de puissance naturelle aura toujours le dernier mot parce qu’elle est infinie.

Aussi, eu égard aux enjeux et surtout aux urgences qui nous pressent de toute part, les pays développés du monde entier se doivent d’opérer une conversion, pour ne pas dire une véritable révolution. De la même manière qu’une écologie politique semble sur le point de naître et de bouleverser de manière significative le paysage politique de nombreuses nations ; pareillement, une révolution du même ordre s’imposera tôt ou tard à tous les grands courants religieux de la planète. Il est temps pour eux ; il est temps pour tous, de renouer avec la matière. Depuis ses plus grossières terminaisons jusqu’à ses plus subtiles et encore invisibles ramifications. Autant s’impose la nécessité de recourir à une politique de proximité ; autant une religion de proximité semble être aujourd’hui, ou au plus tard demain, la seule alternative offerte aux grands monothéismes du monde. Recouvrer le sens de la terre ; le sens de la nature et en définitive, le sens de la vie. Oublier Dieu et ses formes improbables pour une relation plus intime et enfin pacifiée avec « le corps » et toutes ses acceptions. Une matière non plus seulement perçue comme nourricière. Une matière non plus seulement là pour satisfaire nos besoins les plus grossiers, les plus primitifs, les plus vils. Mais une matière mère qui nous a vus naître et dont nous ne pourrons jamais véritablement nous affranchir. Et pourquoi le devrions-nous d’ailleurs ?

Il nous faut de toute urgence renouer les liens et nous réconcilier avec cette materia matrix sans laquelle l’homme n’est rien ; sans laquelle il ne peut rien parce qu’elle est le prolongement naturel de nos corps et de nos âmes, et jusqu’à l’infini. La matière est la voie royale pour l’accession à la vérité, si vérité il y a. Du moins y trouverons-nous notre vérité. Car si, dans le pire des cas, ayant remonté ce fleuve jusqu’à ses plus lointaines et improbables origines, aucune vérité religieuse, métaphysique ou universelle ne nous y attendait en récompense de nos efforts ; la matière et ses infinis miracles serait néanmoins toujours là comme seule mais non moins merveilleuse divinité. De celles qui ont toujours été là pour nous et sur laquelle il nous sera toujours loisible de compter. Si proche de nous ; si intimement mêlée à nos existences que nous avons fini par ne plus la voir, sinon par la mépriser. Une matière toujours à même de pourvoir à nos besoins les plus élémentaires comme de répondre aux plus élevées de nos aspirations.

La matière est tout, car tout est matière. Mais entendons-nous. Il ne s’agit pas seulement de cette substance sur laquelle nous pouvons agir avec les outils du quotidien, prolongements de notre corps. Tout est matière qui est matière à perception. Ainsi les rêves, les hallucinations, les idées, l’imagination, les sentiments, les intuitions, l’instinct sous toutes ses formes comme toutes les infinies variations sur le thème de la perception sensorielle ou extra-sensorielle sont autant de prolongements et de ramifications de la matière elle-même. Il n’y a pas de rupture entre ses plus grossiers mécanismes ; la causalité la plus palpable et « concrète », et ses plus intangibles effets aussi « irrationnels » qu’on puisse les juger.

Si elle veut continuer de progresser sur le chemin du bonheur et de la vérité ; si elle veut simplement survivre – l’humanité devra à terme faire peau-neuve. La métamorphose s’impose pour une espèce parvenue au stade terminal d’une croissance qui doit inévitablement s’achever en de nouvelles formes et pour une nouvelle vie à la fois matérielle et spirituelle. Toutes les grandes institutions du monde, toutes les grandes idéologies, si elles ne veulent pas contrarier le mouvement de la vie qui travaille le monde au cœur de la matière, devront sans plus tarder jeter à bas leurs vieilles carapaces et tout ce que le temps, l’ignorance et la peur y ont accumulé de scories, de concrétions et de parasites. Nos concepts, nos idées, nos morales, nos éthiques, nos politiques, nos philosophies, nos religions, leur décorum et leurs saints sacrements sont autant de monnaies qui n’ont plus cours aujourd’hui. À l’instar de n’importe quelle autre espèce, l’humanité grandit et évolue. Il nous faut oublier certains pans du passé. Les laisser s’effondrer. Parfois même les y aider. Jusqu’à nos plus récents développements, certaines de nos structures sociales, politiques ou religieuses s’imposaient comme les éléments et les fondements nécessaires à notre croissance et à notre évolution. Force est de constater aujourd’hui leur obsolescence au regard des plus récentes avancées scientifiques et des besoins criants d’une humanité en surnombre et de plus en plus pauvre.

La terre, la nature, la vie au sens le plus large possible nous pressent de toute part. Elles nous enjoignent d’opérer coûte que coûte les révolutions qui s’imposent ; les renoncements, les abandons, les conversions et les humiliations aussi, au sens littéral du terme. Il nous faut dès à présent réinventer le monde. Abandonner ces vieilles croyances et ces vieilles idéologies politiques ou religieuses qui sont autant de prothèses qui aujourd’hui nous blessent quand hier encore elles nous permettaient de nous tenir debout et d’avancer. Elles sont aujourd’hui autant de fantômes qui n’ont plus de sens et qui nous illusionnent. Les besoins sont définitivement autres. De toutes les manières, la vie aura toujours le fin mot. Charge à nous de nous conformer à ses exigences afin de passer les caps qui s’imposent de la façon la moins douloureuse qui soit. Dans le cas contraire, de profonds bouleversements nous attendent. Autant de crises majeures, de révolutions et de catastrophes... autant de violentes convulsions qui, de notre fait ou à la seule initiative de la nature, seront néanmoins autant de preuves de sa toute puissance. Avec ou sans notre consentement, elles nous mèneront vers notre destinée. Que cette métamorphose s’opère dans de moindres souffrances, il ne tiendra qu’à nous et à nos institutions d’en décider, suivant que nous accepterons ou non de renoncer enfin à la tradition et aux figures du passé. Bref, à tout ce que la vie ignore et méprise.

Sébastien Junca.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sebastienjunca 9 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog