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Des Anges, de Denis Johnson

Publié le 16 janvier 2008 par Untel
Pour sûr, les personnages de Des Anges n'en sont pas. Irresponsables, passifs, bref inconscients, oui. Mais en tout cas, en les voyant, comme ça, on ne les imagine pas, de leur vivant, goûter à aucune sorte de béatitude. Tant mieux pour les amateurs de romans, diraient certains. Et c'est un roman, de facture assez classique, un roman d'apprentissage, si on peut appeler roman d'apprentissage ces romans au cours desquels les personnages, à cause de tout ce qu'ils subissent, atteignent une sorte de sagesse, ou la rédemption. Tu crois que si on définit ça comme ça presque tous les romans sont des romans d'apprentissages?
Comme l'intérêt du livre tient largement aux péripéties de l'intrigue et à ce qu'on peut en penser, il sera difficile de ne pas trop en dire. On fera comme on pourra. Promis, je n'en dirais pas beaucoup plus sur l'histoire que la quatrième de couverture laquelle, c'est vrai, en dit peut-être trop.
Jamie quitte son mari jaloux, dont on ne sait rien sinon qu'il s'appelle Curt et qu'il la battait sûrement, avec ses deux filles dont un bébé. Pour ce faire elle emprunte le réseau des bus Greyhound, pour se rendre à Cleveland, chez une femme de sa famille. Dans le bus elle rencontre Bill Houston, avec lequel elle boit une bière de trop, à moins que ce soit le scotch qui l'achève. Jamie subit ses gosses, qui la plupart du temps sont soit les poids qu'elle traîne, soit des présences qu'on devine hors champ. Les personnages sont ainsi lancé dans la fuite en avant qu'est leur vie romanesque.
C'est donc l'histoire de Jamie et Bill, de leurs tentatives pour ne pas sombrer, et de leurs échecs, de leur voyage d'une destruction à une autre, d'une autodestruction à la suivante. Chaque grand chapitre commence par la volonté de remonter la pente, sinon de retrouver le droit chemin, du moins un chemin, n'importe quoi d'autre que la chute dans le vide. Cependant leurs plans sont foireux et, au fond, ils font semblant. Picole, drogues. S'il arrive que les personnages s'apitoient sur leur sort, Denis Johnston s'abstient, et il ne se complait pas non plus dans le glauque : comme au cinéma, il manie l'ellipse qui nous donne le courage de continuer à suivre l'histoire. Les personnages ne savent pas quoi faire de leurs failles, alors ils passent leur temps à les tirailler, jusqu'à la cassure. Ils ne se jettent pas la tête la première dans la catastrophe, ils essaient de l'éviter, mais elle s'impose et les englouti, avec la détermination de ce qu'on pourrait appeler le destin.
(ne lis pas cette parenthèse si tu ne veux pas trop savoir ce qui se passe, et ne lis pas non plus la quatrième de couverture de l'édition de poche, aussi bavarde qu'un blogueur : par exemple, quand Jamie vient chercher Bille pour qu'il la venge, il refuse de commettre un meurtre, justement parce que seul le meurtre semble être la seule réponse proportionnelle au crime subi. Pourtant, ensuite, il tue sans réfléchir mais pas non plus par réflexe - Johnson ne suggère pas qu'il n'aurait pas pu agir autrement - parce qu'il le décide dans l'instant. Ils n'atteignent le point de non retour que progressivement, et parce que, d'une façon irrationnelle diraient les bourgeois, ils le veulent)
Alors que viennent foutre les anges dans cette histoire, te demandes-tu peut-être? C'est le premier roman de Johnson que je lis alors je ne me permettrais pas de lui supposer des thèses trop marquées, faut d'abord faire connaissance. Ce qui m'est venu à l'esprit, en fermant le livre, c'est qu'au fond c'est une fois tout à fait détruits (par les conséquences lourdes de leurs actes) et d'une certaine façon rachetés (matés) par l'Institution, ils peuvent atteindre à une certaine sérénité et qu'ils peuvent s'accepter, et être accepté (autre parenthèse spoiler : Jamie rêve de retrouver ses enfants, Bill attend la mort, certes dans la peur, mais aussi avec une sorte de paix). Drôle de façon d'atteindre à la pureté (en passant par l'enfer).
Le style de Johnson m'avait surpris d'emblée par sa capacité à bousculer nos appuis : dès le début, des paragraphes d'allure anodine s'écroulent, à cause du coup porté par une phrase, qui remet en cause l'illusion de bel équilibre. Lorsque la réalité se dérobe vraiment sous les yeux et les pieds des personnages, on est d'une certaine façon préparé à lire un style fuyant et énigmatique. Cette progression, cette maîtrise, fait qu'on ne considère pas les textes qui rendent compte du délire des personnages comme un simple exercice de virtuosité. Lorsque le délire prend le pas sur le reste : conventions, réalité tangible, identité, bref quand tout fout le camp, on n'a pas l'impression que l'auteur en fait trop, il n'y a pas de démonstration, il continue à jouer le jeu du réalisme.
"Mais ce n'était qu'une histoire, un truc que les gens se racontent, quelque chose pour passer le temps qu'il faut à la violence que contient un homme pour l'user, ou pour se consumer elle-même, selon que l'on décide qui est la bougie et qui, la flamme."

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