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Primavera Sound Festival - 25 - 29 mai, Barcelone

Publié le 03 juin 2011 par Oreilles
Primavera Sound Festival - 25 - 29 mai, Barcelone

Aujourd’hui j’ai dormi dix heures. Dix heures, pour enfin me remettre de l’énorme fatigue causée par ce qui apparaît comme l’un des plus importants festivals d’Europe. Au vue de la programmation dévoilée en janvier, énorme et dense, je me préparais déjà à vivre des jours et des nuits intenses, sans même compter le stress dû à une organisation festivalière confuse, à un système bancal de carte obligatoire à recharger sur un site internet saturé, et la réservation du concert de Sufjan Stevens soumise à un tirage au sort scandaleux. Mais lorsque j’ai appris qu’il y allait y avoir en plus une journée d’ouverture avant, une journée de clôture après, et toute une sélection "off" à divers endroits de Barcelone pendant le festival, j’ai bien compris qu’il allait être difficile de m’en remettre. Aussi bien physiquement qu’émotionnellement, tant l’affiche programmait de reformations inespérées, de coups de cœur actuels, et d’hommages à des albums cultes.

C’est d’ailleurs Echo & The Bunnymen qui se charge de la soirée d’ouverture, où ils interprètent leur deux premiers albums Crocodiles et Heaven Up Here. Treillis militaires, jeux de contre-jour, effets de fumées : l’esprit sombre du début des 80’s est au rendez-vous, et il n’a pas pris une ride. Le lendemain, après l’interprétation haute en concepts de The Age of Adz par son créateur de génie Sufjan Stevens, c’est Suicide qui se colle à l’exercice, jouant son premier LP (1977). À bientôt 73 ans, s’il peine à marcher, Alan Vega n’a aucun mal à vociférer dans son micro. Martin Rev joue du clavier avec le poing, tandis que les beats martèlent les enceintes, le sol, les tympans, tous mes organes et me prend à la gorge. C’est glauque, percutant, intense. Je n’ai pas l’occasion de voir Père Ubu jouer The Annotated Modern Dance, ni John Cale jouer Paris 1919, mais tiens à être au premières loges pour voir Mercury Rev jouer le fou Deserter’s Songs (1998) lors de la soirée de clôture, le dimanche 29 mai. Comment donner vie une telle création de studio ? En le gonflant à coups de basses et de guitares bien sûr (effet flagrant sur l’instrumental "Pick Up If You’re There" notamment), mais aussi en ne lésinant pas sur les claviers et les machines. Pendant tout le concert, Jonathan Donahue gesticule comme un savant fou, un personnage expressionniste qui tenterait de dompter un monstre. En rappel, "The Dark is Rising" est apprécié par tous les amateurs de l’album All is Dream, dont je fait partie.

Mais Primavera Sound, c’est aussi l’occasion de voir la crème de la crème de la jeune garde actuelle. Lors de la soirée d’ouverture, juste après Echo & The Bunnymen, Caribou rappellent à quel point leur son est parfait pour les festivals. Emeralds programmés le jeudi à 18h sur la scène Pitchfork, cela semblait parfait pour entendre leur beau dernier album, solaire et aérien. En lieu et place de cela, le trio choisi de fermer l’espace et de l’assombrir par de lourdes basses synthétiques. Néanmoins le set fonctionne, grâce notamment à la performance du guitariste. Cette même scène Pitchfork siéra plus mal encore le lendemain au jeune James Blake, dont les silences, soit la qualité principale de ses compositions, sont pollués par les sons de guitare provenant des scènes voisines. Plus tôt, dans la journée, la chilienne Javiera Mena tirait parti de son concert improbable sur le toit d’un bus en plein centre-ville, en choisissant de n’y interpréter que ses titres électropop les plus kitsch. Puis Fiery Furnaces s’amusait brillamment des ruptures et des enchaînements sur la scène Llevant, rassemblant plusieurs de leurs chansons en une seule. De ruptures il est aussi question chez Field Music, qui livrent sur la scène Vice un set bien plus passionnant que leur dernier album. Le lendemain à 16h, c’est dans le silence et le confort de l’auditorium que Perfume Genius interprète, à quatre mains, ses poignantes chansons, auxquelles les nappes de synthés apportent une belle épaisseur.

Tendance pressentie par Ju l’année passée, cette édition confirme la nostalgie 90’s ambiante. Et ce n’est pas Yuck qui dira le contraire, le quatuor livrant samedi un beau set de power pop nostalgique, joué avec un flegme emprunté à Yo La Tengo. Ensuite, événement pour certain, simple curiosité pour les non-initiés, Papas Fritas se reforment sous nos yeux sur la scène Ray-Ban. « Voici la toute première chanson de notre tout premier album » : bam, ascenseur direct pour l’année 1995. Le concert est léger et solaire, et ponctué de beaux tubes de poches comme "Say Goodbye" et "Way You Walk". Juste après, le duo Dean & Britta, issu du groupe Luna, offre un beau showcase acoustique dans une petite tente installée au milieu des scènes massives. L’instant est précieux et émouvant. L’opposé exacte de la veille, où les années 90 étaient, avec Belle and Sebastian et Pulp, en mode best-of et show-off. Alors que Stuart Murdoch est devenu un excellent homme de scène, Jarvis Cocker mettait un point d’honneur à prouver qu’il n’a jamais cessé de l’être. En revanche, il y a quelqu’un pour qui la carte nostalgie ne fonctionne pas du tout : j’ai nommé DJ Shadow. Aux machines dans une boule cheap et au milieu de visuels certainement empruntés au Futuroscope, celui-ci joue un set mêlant abstract hip-hop et drum’n’bass, et n’y proposant pas l’ombre d’un renouvellement.

"C’mon Billy", "Down by the Water", "The Sky Lit Up", "Angelene", "Meet ze Monsta" : PJ Harvey replonge elle-aussi dans ses années 90, mais pour mieux les interpréter avec ses nouveaux instruments fétiches, l’autoharpe et le modulateur de voix. Son excellent dernier album est loin d’être taillé pour une si grande scène, et pourtant, le groupe (elle joue avec Mick Harvey, John Parish et Jean-Marc Butty) est captivant. Il fallait au moins cela pour se remettre du choc subi au concert d’Einstürzende Neubauten. Au milieu du vacarme dompté des scies et des tubes, du fer et de l’acier, Blixa Bargeld tire sur sa voix puis retombe dans les graves, en se mouvant avec une classe folle et un humour que je ne lui connaissais pas. Un des concerts les plus impressionnants de ce festival. Impressionné, je savais que j’allais l’être au concert gigantesque des Flaming Lips, qui est bien la grande messe joyeuse que l’on m’avait annoncé. Même lorsque Wayne Coyne interprète "Yoshimi Battles The Pink Robot" seul à la guitare, cela tient du grandiose tant le public reprend les paroles en chœur.

Comme toujours semblerait-il, le bilan est donc excellent, et je l’entacherai à peine en évoquant la pataude prestation d’Animal Collective, dont le set décousu et brouillon n’aura pas été la transe attendue. Dommage pour une clôture de grande scène. Mais qu’importe, puisqu’à Primavera, ce n’est jamais la fin, et qu’après le dernier jour, il y a toujours encore un jour. La nuit de clôture se fera avec un bon concert de Black Angels et un DJ-set efficace de Simian Mobile Disco. Buenas noches.


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