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la traversée (extrait 2)

Publié le 06 juin 2011 par Lironjeremy

la traversée (extrait 2) Dans la chambre il reste le matin et puis il sort un peu, il marche le paysage qui s’éloigne au devant et qui se dresse comme pour lui-même. Il se saoule de la lumière et du contour des choses. Il rentre. Chaque jour semble se confondre avec le précédent, le diffracter. Chaque jour semble n’être qu’un angle de vue différent d’un même jour. Il n’y pense plus. Que c’est vrai qu’un jour il a failli mourir. Il ne dit pas que pour lui un temps la vie a été pénible, qu’il a voulu mourir. Que dans son sourire toujours cet air penché de celui qui a marché droit pour aller jusqu’au bout et toucher enfin l’extrémité de ce qui jusqu’ici s’était fait sans qu’il ne maitrise rien. On n’efface pas tout à fait. Il avait retourné les photos, face contre le mur, refait la pile des papiers sur le bureau, comme de se préparer à fixer le vide. Il ne se souvenait pas comment il en était revenu. A quel moment un truc avait dévié. Il s’était trouvé ridicule, minable, terrible. Il avait eu faim, brutalement. A l’époque il avait vécu une période trouble à lâcher tout, où tout le lâchait. La rupture. Comme il s’était trouvé trop peu indépendant. Deux ans à fouiller dans la merde. Au fond ce qui l’avait tenu c’était la vie, son cours, le mouvement que c’était et auquel on n’échappait jamais tout à fait. Que les gens passent. Il est fatigué de se souvenir. Hier il marche près du lac ; quelques hommes groupés, muets, attendant on ne sait quoi. Le silence. Quelques gestes mesurés. Le ciel blanc. Les terrasses vides encore. Deux enfants dans la foule qui observent. L’incroyable sidération du tableau. Quelque chose comme le néant prenant forme depuis un point aveugle (A ce moment il ne sait rien de la noyade). La beauté assourdissante de tout ça, une lumière vide et fascinante. Il lui semble que le monde fait les choses comme ça. Les histoires lui échappent ; ne reste que le décor, que l’évidence de ce qui soudain s’impose comme l’unique sujet. Il ne prend part à rien, il se berce aux choses. Pas possible de dire le temps. Depuis quelques temps déjà, plus possible de dire combien de temps écoulé. Une fatigue immense à essayer de remonter à un début et de compter le nombre de passages de l’ombre à la lumière et de la lumière à l’ombre. Ses fuites dans la nuit, ses lentes remontées du jour. S’emmêler, recompter. Il avait fini par oublier ce qui l’avait amené ici, l’épargne que c’était, la recherche. Alors il avait laissé tomber comme on abandonne un lambeau accroché à un grillage. Sans vraiment le remarquer. Il confondait chaque instant avec l’éternité même. Il rejoignait dans chaque geste quelque chose de très vieux. Bientôt il se confondait avec la persistance des arbres, du lointain, de l’étalement de la plaine, de ce qu’il avait de plus en plus de mal à nommer. Il portait la casserole sur le feu, attendait que l’eau frémisse et lève une fumée blanche. Il jetait quelques pâtes par dessus bord. Les contemplait s’éloigner. Et le rayon de lumière pâle. Ses mots au-dedans s’étaient faits peu nombreux, s’affranchissaient progressivement de la nécessité des phrases. Bientôt il sentait la langue se taire en lui. Le monde la désarmait. Il rejoignait son silence, il rejoignait son éloignement mutique. Il lui semblait devenir muet. Il lui semblait devenir aveugle. Ne voyant plus de ses yeux mais comme depuis le ventre. Il constate encore : « les mots se vident, s’épuisent, laissent un vertige ». Il cherche le mot « absence ». Il voit là-bas une personne qui semble balayer d’un geste le paysage : le bras porté devant et son pivot lent comme de souligner d’une caresse les lignes que le regard parcoure. Le pivot d’un pylône dans le regard, le câble qui creuse. Il se voit tendre la main. Il se rejoint dans son geste. A lui-même : « Je susurre un petit nombre de mots, ce sont mes instructions à mon corps triste, qui est immobile tout près de moi, et penché. » Un sourire pour lui-même. Son affirmation fragile. Bientôt les cimes sont au ciel comme une musique. Blanc sur noir. Ou non, noir sur blanc. Les formes dressées : une musique. Comme jamais se dépliait le présent. photo : Charly Broyez

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