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Le 12/06 à 15h 35 sur NATIONAL GEOGRAPHIC CHANNEL HD : « LA BALEINE QUI MARCHE ».

Par Ananda

« Il y a cinquante millions d’années, un animal terrestre affamé se lance à la recherche de nourriture ». Là commence l’extraordinaire évolution de la baleine, une « évolution spectaculaire, semée d’embûches ».

La question que se pose ce documentaire passionnant, illustré d’animations remarquables et soutenu par une musique électronique rythmée, nerveuse, est la suivante : « comment un animal conçu pour la vie sur la terre est-il devenu le seigneur des mers ? ».

Nous entrons vite dans le vif du sujet : nous voici au PAKISTAN, dans la région des MONTS SULEYMAN.

Les Monts Suleyman sont « un plateau rocailleux » qui, très anciennement, était le lit de la MER DE TETHYS. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’ils recèlent des foules de restes d’anciens animaux sous-marins.

En 1978, une équipe de chercheurs américains originaires du Michigan y effectue des fouilles.

Le commentateur prend, au préalable, bien soin de nous préciser que, pour les archéologues, la roche est « l’équivalent d’une capsule temporelle ». En elle, sont enfermées les traces aussi bien des impacts d’astéroïdes que des catastrophes naturelles ou des divers changements climatiques que notre vieille planète a pu connaitre au cours des âges. « La roche, insiste-ton, est l’ADN de la planète Terre » !

Or, qu’advient-il en 1978, dans les Monts Suleyman ? « Un des scientifiques casse une pierre en deux, elle contient un fossile à nul autre pareil ».

La parole est donnée au chef de l’expédition, Philip GINGERIDGE, qui nous éclaire : ce fossile, c’est « le crâne incomplet d’un mammifère », qu’il a daté de cinquante millions d’années.

Encore sous le coup de son étonnement, Gingeridge confie : « j’étais incapable de dire ce que c’était ; ça ne ressemblait à rien de connu ». Aussi le savant se hâta-t-il de faire reconstituer l’ensemble du crâne, à partir du morceau d’os trouvé et de connaissances sur d’autres mammifères, auxquels vinrent aussi se joindre la moisson tirée de nouvelles fouilles. Ces divers éléments combinés ayant permis de « compléter le puzzle », « l’apparence probable » de l’animal ancien fut restituée, et Gingeridge en dresse le portrait : « il avait quatre membres, sans doute le poil ras et des sabots », et « l’on pensait à un animal terrestre », à « une sorte de loup » ongulé.

Pour autant, le chercheur et son équipe n’étaient guère plus avancés dès lors qu’il s’agissait de rattacher l’étrange spécimen à un ordre taxinomique précis, et ce fut un « minuscule os en forme de s au niveau de l’oreille » qui se montra, dans ce domaine, révélateur. Le verdict finit par tomber, aussi improbable que cela pût paraitre, et Gingeridge s’en fait l’écho : « c’est une forme transitionnelle, une baleine primitive »…

A quoi pouvait ressembler le Pakistan voici cinquante millions d’années ?

On en a maintenant, grâce aux recherches des savants, une certaine idée : l’ensemble du monde se trouvant être, alors, « beaucoup plus chaud », ce qui allait, beaucoup plus tard, devenir les Monts Suleyman offrait l’aspect d’une « zone aride », plutôt nue et juste parsemée de buissons bas et disséminés.

Une extraordinaire animation nous donne, pour quelques instants, l’occasion de suivre les évolutions de notre fameux mammifère en bordure de la Mer de Téthys, sur le sol peu riant et pilonné par le soleil de feu où il se faufile. Cet animal, Gingeridge l’a baptisé PAKICETUS (ou « cétacé du Pakistan »). Nous le voyons, tel qu’il devait être : doté de « la silhouette, la taille et le poids d’un loup actuel (aux dires de Gingeridge), il exhibe aussi un museau allongé et de petits yeux qui annoncent déjà ceux de la baleine. Gingeridge poursuit : « il se nourrit de plantes et de petits animaux », dont la pénurie soudaine (due à l’assèchement dramatique des sols) le pousse à s’aventurer sur le rivage, puis dans l’eau même. L’animation ne manque pas de nous le montrer plongeant, puis nageant exactement à la manière d’un chien.

« Pari fou » que celui-là. Qu’est-ce qui a pu le pousser à prendre de tels risques ?

La réponse à cette question ne tarde pas à fuser : voici cinquante millions d’années, les continents s’éloignant de plus en plus les uns des autres, les pôles se réchauffent sous l’effet de « nouveaux courants océaniques ». Ce réchauffement général favorise, dans les mers, la photosynthèse des algues vertes et, partant, une véritable explosion de la vie marine. « C’est donc une véritable garde-manger que le pakicetus découvre dans ces eaux peu profondes » qui jouxtent la région où il vit.

Cependant, tout n’est pas exclusivement rose : cet animal pionnier est présenté par le Pr Gingeridge comme « un nageur lent et maladroit » qui, en raison de sa « morphologie », ne fait tout au plus que « patauger ». Or, les eaux chaudes de la Mer de Téthys sont infestées de crocodiles qui, beaucoup plus habitués à l’eau que lui, n’en font, comme l’animation nous le montre d’ailleurs, qu’une bouchée.

Force nous est de constater que Pakicetus était « mal barré ». Cela ne nous surprend donc pas qu’il finisse par disparaître. « Rien dans son anatomie ne semble le prédisposer à devenir une espèce aquatique », conclut Philip Gingeridge.

A ce stade surgit une autre question : « que s’est-il passé après lui ? ».

En 1994, un ancien élève de Philip Gingeridge, Hans THEWISSEN, a la bonne idée de retourner au Pakistan. Là, dans une strate de 49 millions d’années, il a le bonheur de  déterrer les vestiges d’un autre animal inconnu, et tout aussi énigmatique.

« La créature semble avoir les pattes d’un animal terrestre, mais les pieds d’un échassier » !

Là encore, on s’en doute, l’identification va être difficile. Elle vient tout de même, et ce grâce à la découverte d’ « un osselet d’oreille de baleine ».

Encore plein d’enthousiasme, Thewissen raconte : « ça a fait tilt. Une baleine sur pattes ! Nous avions saisi l’évolution en marche ! ».

Avec ce spécimen, on constate que le pakicetus, « piètre nageur », a sensiblement et significativement gagné en muscles de la queue, que ses pattes arrière se sont, de manière notable, raccourcies et élargies pour permettre la nage, et que, pour compléter le tout, l’ensemble de sa silhouette est devenu nettement « hydrodynamique ».

Tout ceci va lui valoir l’appellation d’AMBULOCETUS NATANS (ou encore « baleine qui marche et qui nage »). Mais pour autant, son organisme était-il capable de traiter l’eau de mer ? Problème crucial, car nous le savons, l’ingestion d’eau de mer peut être, pour les mammifères, mortelle.

Si nous ne connaissons, bien sûr, rien des reins de l’ambulocetus, l’étude de sa dentition par Hans Thewissen débouche sur une surprise de taille : le savant est catégorique, c’est « de l’eau douce » que notre étrange animal buvait !

Ceci veut dire qu’il ne pouvait par conséquent pas s’éloigner des rivières et des lacs.

Conclusion : en dépit des « trois atouts pour mieux nager » qui étaient les siens (« queue plus puissante, pattes arrière plus larges et corps plus hydrodynamique ») la bête passait en réalité le plus clair de son temps sur la terre ferme.

Une seconde animation nous permet de faire sa connaissance, tant sous l’eau qu’à l’air libre, sur la rive.

Son squelette complet a révélé à Thewissen une « grande tête (au museau très allongé, pourvu de dents), un grand corps, mais des membres postérieurs courts »…trop courts ? Selon le savant, certains éléments portent, en effet, à croire qu’ « il n’était pas très bon nageur » et que « trop lent pour traquer les poissons », il se bornait à chasser « à l’affût dans les eaux peu profondes ». Tout aussi manifestement était-il une « proie facile » pour les crocodiles et requins qui abondaient dans les mêmes eaux. Pour le reste, « l’ambulocetus devait se mouvoir difficilement sur terre » et l’animation nous le figure en train de ramper assez piteusement, le ventre collé au sol, dans une posture rappelant de manière frappante celle des otaries. L’un dans l’autre, il était « mal adapté » aussi bien dans l’eau que sur terre.

Alors ? Quand l’ancêtre de la baleine est-il devenu réellement aquatique ?

En 1994, le Pr Philip Gingeridge est de retour dans son gisement fossile des Monts Suleyman. Il s’est fixé un but : retrouver la trace de la première vraie baleine.

Pour lui, il ne fait pas de doute que cette dernière est « une extra-terrestre », ou, à tout le moins, le résultat d’ « une transformation énorme », radicale…sans doute l’une des plus radicales qu’ait jamais connu le règne animal.

La caméra balaie le « relief rocailleux difficile d’accès, riche en restes d’animaux marins » qui est celui des Monts Suleyman.

Et ces derniers, une fois de plus, répondent aux espérances des chercheurs : un nouveau fossile est bientôt découvert, et acheminé vers l’UNIVERSITE DU MICHIGAN. Le recueil puis l’analyse des sédiments où il se trouvait enchâssé, après nettoyage, révèle qu’il est vieux de 46 millions d’années.

Il trahit, à partir d’ambulocetus, une évolution révélatrice : le cou est devenu plus court et plus puissant, les pattes arrière, désormais, ressemblent à des nageoires, tandis que la queue connait, elle aussi, des modifications parlantes.

Quatre millions d’années seulement après pakicetus, cet animal est devenu entièrement aquatique, et Philip Gingeridge l’assimile, derechef, au « chaînon manquant ». Dans la foulée, il le baptise du doux nom de RODOCETUS.

Doté, comme l’ambulocetus, d’un squelette qui fait trois mètres de long, le rodocetus « sillonnait les eaux du globe ».

Mais remettons-nous dans le contexte : voici quarante six millions d’années, l’Inde était séparée du continent eurasiatique par la Mer de Téthys. Mais elle s’est ensuite peu à peu rapprochée de l’Eurasie et, ce faisant, a occasionné un rétrécissement de l’ancienne mer. Cette dernière a vu considérablement augmenter sa profondeur, avec pour corollaire une prolifération des animaux qui nourrissent les poissons. S’est mis alors en place un « véritable éden aquatique », capable de fournir « de la nourriture à volonté ». On imagine le « bénéfice immédiat » que cela représenta pour le rodocetus, qui se trouva littéralement « aimanté vers la mer ». L’évolution des cétacés était devenue irréversible.

Reste le (récurrent) problème des prédateurs de la Mer de Téthys. C’est aux fins de leur échapper que le rodocetus se dote de sa « marque de fabrique » : son oreille.

On nous explique alors combien « l’organe de l’équilibre », situé à l’intérieur de l’oreille interne, revêt une importance vitale pour tous les animaux (jusqu’aux poissons) : sa fonction est d’informer notre cerveau que nous nous déplaçons.

A titre d’illustration de son propos, un scientifique américain nous exhibe un moulage de la reproduction agrandie douze fois de l’oreille interne de l’Homme. Les explications suivent : « le liquide [situé à l’intérieur des conduits de l’oreille interne] bouge quand la tête bouge ». Il envoie ainsi au cerveau des signaux que celui-ci décode. En cas de mouvements acrobatiques, en revanche, « les messages sont brouillés », et un tel phénomène occasionne des vertiges.

Vient ensuite la comparaison entre l’oreille interne de l’être humain et celle de la baleine. A l’examen des deux moulages que nous présente le scientifique, cela saute aux yeux : à l’évidence, chez le cétacé, « l’oreille interne est très réduite » ; « ça lui permet de tourner dans tous les sens et à grande vitesse sans être désorienté ». Vous l’aurez compris : le rodocetus a ainsi été rendu « assez agile pour échapper aux prédateurs » !

Nouveau voyage, cette fois non plus au Pakistan mais en EGYPTE, « dans le désert occidental, à 150 km du Caire ».

Là, on trouve un vaste site que, depuis 1983, Gingeridge fouille, et pour cause : l’endroit regorge de « cétacés géants » que l’on a baptisés BASILOSAURUS.

Il y a 39 millions d’années, en lieu et place des rocs brûlants du désert égyptien s’étendait « le lit de la Mer de Téthys », qui avait à ce moment-là pris l’aspect d’ « une mer peu profonde à l’eau très claire, grouillante de vie marine ».

Cétacé long de 18 mètres, le basilosaurus y jouait le rôle d’ « un carnivore de premier plan », véritable « T-Rex de l’époque » selon les termes de Gingeridge, lequel enchaîne en nous apprenant qu’avec sa « vision exceptionnelle », son « audition renforcée », son « corps long et effilé adapté aux eaux peu profondes », ce monstre était « parfaitement adapté à la chasse sous-marine ». Pesant dans les six tonnes, il était en outre tout à fait à même d’en imposer aux prédateurs.

Cependant le basilosaurus n’était pas seul à hanter la Mer de Téthys. Y était également présente une autre espèce de cétacé « plus petite et plus vulnérable » avec ses cinq mètres seulement de long : le DORUDON, lequel fait fortement penser à nos dauphins actuels. « Le basilosaurus chassait les jeunes dorudons, et même les adultes ». De ces deux espèces, une seule (reste à savoir laquelle) survivra pour devenir notre baleine des temps présents.

Basilosaurus, cela ne fait pas de doute, s’est éteint. Quant à savoir pour quelles raisons, P.Gingeridge a sa théorie. Il aurait, d’après lui, payé sa trop grande adaptation aux eaux peu profondes. Le scientifique explicite : à la période qui nous intéresse ici (35 millions d’années), les océans connaissent un net refroidissement, accompagné d’une « baisse spectaculaire du niveau des mers », en sorte que les eaux peu profondes se raréfient. Or la morphologie trop effilée de basilosaurus le rend inapte à toute plongée en profondeur.

A contrario, « petit et musclé , le dorudon n’a pas ce problème ». Son « corps bien proportionné » lui permet de « l’emporter au final ». Et le tour est joué !

Il y a trente millions d’année toutefois, nouveau « retournement spectaculaire » : le petit dorudon de seulement cinq mètres de long voit se dresser sur sa route un prédateur inédit et aussi monstrueux que le basilosaurus en l’espèce d’un « super requin », « le plus grand ayant jamais existé », « l’incarnation de Dents de la Mer » : le MEGALODON de trente tonnes ! Imaginez : ce « plus grand prédateur de l’Histoire » affiche des « dents de la taille d’une main » et « une mâchoire où un homme aurait pu se tenir debout » !

Qu’à cela ne tienne : malin comme un singe, notre modeste dorudon « assure, pendant plusieurs millions d’années, la survie de son espèce » en délaissant les eaux de l’équateur pour les eaux plus froides voire glacées, où le requin à sang froid ne peut prétendre survivre. Il y gagne doublement : les mers polaires sont riches en nourriture. Tous les problèmes ne sont toutefois pas résolus puisque les eaux des pôles ont aussi l’inconvénient d’offrir une « visibilité quasi nulle ».

C’est ainsi que cette nouvelle donne – périlleuse – oblige le dorudon à s’armer d’un outil de navigation sophistiqué : le SONAR.

Ce système permet  l’émission de séries de « clics à hautes fréquences » qui, après avoir été  heurter  l’obstacle, provoquent un écho, lequel, à son tour, revenant vers l’animal, se trouve décodé par lui : c’est « l’écholocation ». Un tel système garantit au cétacé la localisation précise des obstacles et des bancs de poissons dans les profondeurs.

Mais, outre le sonar, les cétacés s’avèrent capables de bien d’autres exploits. Jugez-en : « le CACHALOT peut rester pendant deux heures à 1 500 mètres de profondeur » ; « les BALEINE A FANONS emmagasinent des graisses » ; Gingeridge constate que « les DAUPHINS et les MARSOUINS ont un cerveau très gros, une vraie personnalité » et qu’ils « semblent être sensibles, un peu comme l’Homme » ; le plus grand cétacé actuel, la BALEINE BLEUE, outre qu’il est « de la taille d’une voiture », possède une langue « aussi lourde qu’un éléphant » ; « l’ORQUE nage à une vitesse de 55 km/h » ; « la BALEINE BOREALE vit plus de 200 ans » !

Force est d’en convenir (et de leur tirer notre chapeau !), « le parcours des cétacés pour en arriver là est vraiment incroyable ».

Leur évolution est éminemment intéressante et exemplaire en ceci que, comme le signale Thewissen, « on en connait [désormais] toutes les étapes ». En ce sens, ils fournissent, en quelque sorte, « la Pierre de Rosette de l’évolution ».

P.Laranco


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