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La couleur des sentiments - Kathryn STOCKETT

Par Liliba

29 juin 2011

coeurcoeur

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Ressent-on plus ou moins les choses selon que l'on soit noir ou blanc ? Et d'ailleurs, les Noirs ressentent-ils quelque chose, ont-il seulement un coeur, une âme ?

Je vous vois bondir sur votre siège... Et c'est ce que j'ai fait aussi dès le début de ce roman, que j'ai dévoré à toute vitesse. Il faut dire qu'il est vraiment très réussi : nous avons ici une histoire de femmes tout à la fois très drôle et émouvante mais aussi un point de vue passionnant sur la ségrégation aux Etats-Unis au début des années 60... Bref, je vous conseille grandement, si ce n'est déjà fait, de vous y plonger au plus vite !

L'action se passe dans la petite ville de Jackson au Mississipi, du début de 1962 à 1965. Les dames blanches de la bonne société jacksonnienne possèdent toutes leur bonne, une Noire qui travaille souvent chez eux depuis des années, a élevé les enfants, suivi l'évolution de la famille et est chargée de maintenir en ordre de marche de souvent très grandes maisons au train de vie plutôt fastueux : cuisine, ménage, courses, elles sont corvéables à merci et se doivent en plus de remercier pour le salaire souvent miséreux qu'on leur concède. Rien que de très normal dans cette société dont les idées et les moeurs sont encore totalement archaîques et étriquées. Imaginez ! Ce ne sont que 50 petites années en arrière et règnent encore l'obscurantisme, l'ignorance et un racisme hallucinants... Dès les premières pages, si on fait abstraction de la mention de l'année faite par l'auteur, il est aisé d'imaginer que nous sommes encore au milieu du 19ème siècle...

Sauf que, malgré tout, et fort heureusement, certaines mentalités commencent à changer et les gens de réagir et d'ouvrir les yeux sur ce problème racial. Martin Luther King vient tout juste de faire parler de lui, une manifestation est bientôt prévue qui devraient rassembler de nombreux adeptes d'une société enfin plus égalitaire et les esprits s'ouvrent enfin à une idée d'égalité...

Il faut dire que jusqu'à présent, ces deux mondes se cottoyaient sans jamais rien échanger. La place des Noirs étaient au service et au travail tandis le rôle des Blancs était de diriger et de gagner de l'argent, et de bien en vivre. Bien que tous n'aient pas été aussi aveuglés, de nombreuses personnes considéraient les gens de race noire comme un peuple totalement subalterne, sale, bourré de vermines et de maladies, et ayant le sort qu'ils méritaient, c'est-à-dire pas grand chose puisqu'ils ne valaient rien...

Cette histoire à trois voix est donc passionannte de par son contexte historique, mais aussi parce que ces trois femmes dont il est question au fil de l'histoire, sont, chacune à leur façon, terriblement attachantes.

Prenons tout d'abord Aibileen, une bonne noire depuis 40 ans au service des blancs, mais qui a changé régulièrement de famille, dès que les enfants dont elle avait la charge commençaient à percevoir cette différence entre les races et à la marquer dans leur comportement. Aibileen est résolue, elle tente de chasser le chagrin de la mort de son fils survenue deux ans plus tôt, abattu sauvagement par des blancs, et se morigène de s'attacher toujours trop aux enfants blancs qu'elle élève, comme la petite Mae Mobley, fille de la très désagréable Miss Leefolt. Elle accomplit sa tâche jour après jour sans se plaindre, est soumise, même si de temps à autre, une pensée insidieuse se glisse dans son esprit : et si je pouvais changer quelque chose à ma vie ?

Son amie Minny est bien différente : un caractère volcanique, une vraie grande gueule qui n'hésite pas malgré la couleur de sa peau à dire leur quatre vérités aux gens qui l'entourent, et même à ses patronnes blanches. Son insolence lui vaut d'être renvoyée une fois de plus de sa place, bien qu'elle soit la meilleure cuisinière des lieux à la ronde. Fort heureusement, elle retrouvera un emploi, mais chez une patronne bien étrange...

Une histoire de toilettes va les rapprocher de Skeeter, une jeune fille blanche, qui va malgré le confort de sa vie vouloir faire quelque chose. Son amie Miss Hilly (très sergent chef et vraiment une sale bonne femme !) veut faire construire des toilettes au bout du jardin pour les bonnes noires, pour que celles-ci ne risquent pas de souiller celles des maîtres et d'y apporter leurs miasmes... Skeeter est choquée et ne souhaite pas écrire d'article à ce sujet pour la Ligue, dirigée de main de fer par Hilly. De plus, elle rêve de quitter enfin la maison familiale et de devenir journaliste et, sur les conseils d'une grande maison d'édition new-yorkaise, se met en tête d'écrire sur les conditions des femmes noires dans sa région et de dévoiler au grand jour ce qu'est la vie au quotidien des bonnes. Alors qu'elle devrait plutôt s'occuper de ses tenues, de ses cheveux qui font le malheur de sa mère et se trouver un mari, Skeeter veut travailler, prendre son indépendance et partager aux autres ses propres interrogations sur le bien-fondé et la justice des lois sur la ségrégation, qui lui apparaissent chaque jour de plus en plus terrifiantes et avilissantes pour les noirs. Elle voudrait également éclaircir le mystère de la disparition de Constantine, la bonne noire qui était dans sa famille depuis des années et qu'elle adorait, qui a quitté la maison juste avant qu'elle ne revienne de son université, et dont personne ne veut lui parler...

Les trois narratrices altèrnent au long du roman, ce qui évite toute lassitude et permet de bien cerner le point de vue des unes et des autres et la façon dont chacune réagit aux évenements. De plus, la caractère des trois étant vraiment différent, le style de narration change pour chacune et c'est à chaque fois tout un monde, toute une personnalité dans laquelle on se plonge. On voit également que si toutes les trois sont impliquées, cette aventure d'écriture de ce livres sur les bonnes est dangereuse à différents degrés pour chacune. Stekeer subit une mise au banc social de la part de ses amies du même milieu et se retrouve seule, n'ayant personne à qui confier son secret, mais Minny et Aibileen risquent de perdre leur travail, si ce n'est même la vie, avec tous les extrémistes qui pullulent et sont près à assassiner le ou la première noire suspectée de soulevement ou de non obéissance aux lois.

Grâce à la ténacité de ces trois femmes, et à leur courage, un livre prend forme qui regroupera également les témoignages d'une douzaine de bonnes de la ville. J'ai beaucoup aimé le fait que ces témoignages soient de deux sortes : ceux qui font bondir tant la bétise et la méchanceté règnent et ceux qui montrent que dans certaines familles plus intelligentes et plus ouvertes que d'autres, on rencontrait malgré le statut de maître et d'employé, un vrai respect de la personne, de la confiance et même de l'amitié.

Un petit bémol pour le personnage de Skeeter qui, même si elle est l'instigatrice de cette grande aventure de mise à jour de la vérité, m'a paru souvent bien hypocrite et faible. Certes, par sureté aussi pour les bonnes qui lui font confiance, elle ne peut pas clamer sur tous les toits ce qu'elle est en train de manigancer, mais elle pourrait au moins faire un peu moins l'autruche et arrêter de boire le thé avec ses amies, une fois qu'elle a découvert qu'elle est leur vrai caractère... On a parfois l'impression qu'elle ne se bat pas vraiment pour la cause des Noirs, mais plus pour elle-même, parce qu'elle veut décrocher ce job à New-York, et que le sujet s'accorde juste avec sa bonne conscience...

Au final, un roman riche, terriblement vivant, passionannt et tout aussi émouvant que drôle. A lire !


« N’était-ce pas le sujet du livre ? Amener les femmes à comprendre. Nous sommes simplement deux personnes. Il n’y a pas tant de choses qui nous séparent. Pas autant que je l’aurais cru. »


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