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Saint Jean le Baptiste et son crâne

Publié le 04 juillet 2011 par Philippe Thomas

Poésie du Samedi, 27 (nouvelle série)

Lors des dernières fêtes de la Saint-Jean, un ami m’a raconté qu’à Saint-Jean d’Angély, une dame de l’office de tourisme lui apprit que la tête de Jean le Baptiste avait jadis été pieusement conservée dans cette paisible bourgade saintongeaise… Stupéfaction ! Quelque chose d’extraordinaire advint donc à Saint-Jean d’Angély ! Voyons un peu… Les historiens situent en l’an de grâce 817 la fondation par un certain Pépin d’Aquitaine du premier monastère nommé depuis l’abbaye Royale. Et ce même Pépin fit construire parce qu’on lui apporta là un crâne présenté comme étant la vraie boîte d’os de Jean le Baptiste… Sans doute Pépin avait-il alors de bonnes raisons de croire que la relique était bien authentique, sans doute avait-il aussi de bonnes raisons pour construire à cet endroit une maison vouée à la gloire de Dieu. Mais à coup sûr le zigue qui vendit le crâne à prix d’or eut le sentiment de s’être bien payé la tête du Pépin…

Par la suite, le crâne fut un peu chahuté lors des invasions vikings. De pieuses personnes camouflèrent la relique afin que les envahisseurs, forcément stupides et irréligieux, ne puissent se servir du saint crâne pour trinquer à grandes rasades de calva, selon l’usage convivial qu’on voit à l’œuvre dans Astérix et les Normands.  Le crâne réapparut en 1010 pour disparaître, dit-on, dans les flammes qui dévorèrent l’abbaye pendant  les guerres de religion, en 1568… Mais depuis, l’église locale est toujours dédiée à Jean le Baptiste … et l’on m’a même raconté qu’en un certain lieu et dans certaines circonstances, un crâne était visible dans un minuscule placard à balais d’une maison bien particulière…  toujours à St-Jean d’Angély. Ce mystérieux ossement – qui aurait été bouilli à la manière des réducteurs de têtes - est parfois présenté comme le crâne qu’un soldat allemand un peu tête en l’air aurait oublié lors de la retraite de 1944. Mais rien n’interdit de penser qu’il pourrait toujours s’agir du très saint crâne, transmis secrètement de génération en génération...

Bien loin de la Charente, la cathédrale d’Amiens recèle entre autres trésors un précieux reliquaire contenant une tête de Jean le Baptiste et même un second reliquaire avec un bout d’os correspondant à un éclat observable dans le crâne contenu dans le premier reliquaire… Le crâne aurait été ramené en 1206 lors de la quatrième Croisade par un chanoine de Picquigny, Wallon de Sarton, et cette fois, il aurait miraculeusement survécu à la tourmente révolutionnaire !  Des scientifiques l’auraient daté effectivement du premier siècle de l'ère chrétienne… Bref, la belle traçabilité du sort de ces deux crânes si évidemment authentiques prouve à l’évidence que Saint-Jean le Baptiste était au minimum bicéphale.

Or, c’est précisément la tête du Baptiste qui parle dans ce…

CANTIQUE DE SAINT JEAN

Le soleil que sa halte
Surnaturelle exalte
Aussitôt redescend

Incandescent
Je sens comme aux vertèbres
S’éployer des ténèbres
Toutes dans un frisson

A l’unisson
Et ma tête surgie
Solitaire vigie
Dans les vols triomphaux

De cette faux
Comme rupture franche
Plutôt refoule ou tranche
Les anciens désaccords

Avec le corps
Qu’elle de jeûnes ivre
S’opiniâtre à suivre
En quelque bond hagard

Son pur regard
Là-haut où la froidure
Éternelle n’endure
Que vous le surpassiez

Tous ô glaciers
Mais selon un baptême
Illuminée au même
Principe qui m’élut

Penche un salut

Stéphane Mallarmé (Paris, 1842- Valvins,1898) in Poésies complètes.

Mallarmé a beaucoup travaillé sur un vaste poème – une sorte de pièce de théâtre en vers restée inachevée et qui se serait intitulée les Noces d’Hérodiade. Le Cantique est la troisième pièce de ce Mystère, précédé d’un dialogue entre Hérodiade et une nourrice. Chez Mallarmé, pas de Salomé, le personnage d’Hérodiade concentrerait la beauté innocente de Salomé la danseuse et le froid rationalisme de sa mère. Car c’est bien Hérodiade le cerveau de l’affaire, Hérodiade qui se sert de la naïve Salomé pour demander à Hérode qu’on lui apporte la tête de Jean le Baptiste… Subjugué par la danse de Salomé, Hérode fut piégé par le serment qu’il avait fait en public d’accorder ce qu’elle voudrait à la jeune danseuse. Or, il n’avait pas prévu qu’avant de répondre, la gamine consulterait sa garce de mère… Hérode dut donc sous peine de parjure se résoudre à faire décapiter le pauvre Jean. Tout ceci est raconté dans Marc(6, 17-28), Matthieu(14, 3-11) et Flavius Josèphe (Antiquités, livre 18), avant de susciter nombre d’œuvres picturales, musicales ou littéraires.

Ce cantique est composé de six plus une strophes nous fait littéralement éprouver le supplice qui fut celui de Saint Jean le Baptiste. La décollation transforme Jean en génie pur, l’espace d’un instant, détaché de la matérialité du corps, pour un élan ultime qui lui permet de voir l’absolu en une brève fulgurance. Et l’on sait que pour Mallarmé la quête d’une absolue Beauté était un véritable moteur. La fin est l’apothéose de cette vision, en cette magnifique image : « Illuminée au même
Principe qui m’élut ».

La mort de Jean le Baptiste est une réintégration, au terme de la lumineuse course du soleil qui semble s’accomplir durant le cantique, jusqu’à son déclin en manière de sublime salut final.


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