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DSK – histoire secrète d’un fiasco judiciaire…

Publié le 08 juillet 2011 par Labasoche

DSK – histoire secrète d’un fiasco judiciaire…
Faisons un rapide examen sur la chronologie des faits pour mettre à jour l’histoire secrète du fiasco judiciaire qui est déjà en route.

• Le 30 juin, le procureur de Manhattan envoyait une lettre aux avocats de DSK pour leur faire part des mensonges de Nafissatou Diallo. Récit à la surprise générale d’un revirement spectaculaire qui résonna comme un coup de tonnerre médiatique.

Le district attorney Cyrus Vance n’est plus que le général d’une armée en déroute. Au 80 Centre Street, depuis ses fenêtres du huitième étage, il contemple le désastre judiciaire qu’il a déclenché. Au bas du pâté de maisons voisin, les dizaines de reporters du monde entier qui envahissent les trottoirs de la cour criminelle de Manhattan à chaque audience de l’affaire DSK ne jouent plus des coudes pour chroniquer la chute du directeur général du Fonds monétaire international. Ils sont là pour l’entendre, lui. Tous attendent ses explications, sa contrition, voire, pour les plus durs, sa démission.

Jamais le parquet de Manhattan n’avait subi pareille humiliation. Cette institution forte de 1300 salariés, constellée de juristes formés dans les meilleures universités du pays, celle-là même qui a fait condamner l’escroc Bernard Madoff à cent cinquante ans de prison et expédier au pénitencier les parrains de la mafia italo-américaine, est exposée au feu roulant de la critique. Avocats, anciens procureurs, chroniqueurs judiciaires s’interrogent sur le fiasco des services du «DA». Après avoir demandé l’incarcération de Dominique Strauss-Kahn, le 16 mai, lors de la première présentation du suspect devant la cour criminelle de Manhattan, Cyrus Vance a dû battre en retraite le 1er juillet en avouant à la cour que la présumée victime avait menti à plusieurs reprises. Au bout de quarante-cinq jours, celui qui avait été détenu au pénitencier de Rikers Island puis soumis à un régime de liberté conditionnelle draconien - un million de dollars de caution assortie de cinq millions de dollars de garantie, port d’un bracelet électronique, surveillance policière 24 heures sur 24 – redevenait libre de ses mouvements, seulement interdit de sortir du territoire américain. Il est passé d’un traitement digne d’Al Capone à celui réservé à un petit délinquant. Entre-temps, DSK avait remis sa démission au FMI et perdu quasiment toute chance de participer à la course à l’Elysée, dont il était le favori.

Pour comprendre cet enchaînement destructeur, il faut revenir au départ de l’affaire. Quand, le 14 mai, la police new-yorkaise et le parquet apprennent qu’une femme de chambre guinéenne, Nafissatou Diallo, aurait été violée par Dominique Strauss-Kahn dans la suite 2806 du Sofitel, et que ce dernier est à l’aéroport John F. Kennedy en partance pour Paris, ils doivent faire vite. Le directeur général du FMI est donc prié de quitter l’avion d’Air France par des policiers qui l’arrêtent dès la sortie de la passerelle. Bien que DSK ait pris le vol qu’il avait fait réserver quelques jours plus tôt, enquêteurs et procureur agissent comme s’il allait commettre un délit de fuite.

C’est dans cet état d’esprit que l’enquête commence. D’emblée, l’homme politique français est regardé comme un Roman Polanski en puissance – celui-ci avait fui la Californie pour échapper à une condamnation en 1978. L’affaire avait rebondi trente ans plus tard quand la police suisse avait interpellé le cinéaste à Zurich, en 2009, en vue d’une extradition qui, finalement, n’a pas lieu. Les autorités new-yorkaises veulent à tout prix éviter qu’il gagne la France et se soustraie aux poursuites. Ce qui va suivre découle de cette logique initiale : le désormais célèbre perp walk - humiliant défilé du suspect menotté dans le dos face à l’objectif des caméras -, l’incarcération pendant cinq jours, et les conditions exceptionnellement dures de sa remise en liberté sur parole.

Le sentiment de hâte vaut également pour la vérification du récit de la victime présumée. Dès le lendemain des faits, les services du procureur, comme la police new-yorkaise, affirment, sans réserves et sans la moindre précaution, que les accusations sont «solides comme un roc», «sûres à plus de 100 %». Des policiers de l’unité spéciale dépêchée au Sofitel pour entendre la femme de chambre guinéenne avouent avoir versé des larmes en écoutant son témoignage. Ce qu’elle raconte, peut-on lire dans la presse, est corroboré point par point par les constatations recueillies sur les lieux du crime, qu’il s’agisse des traces ADN ou de ses allées et venues consécutives à l’agression. Alors que DSK a quitté l’hôtel dans la précipitation, oubliant même un téléphone portable, sa victime est restée prostrée, tremblante et en pleurs, dissimulée dans une lingerie avant de confier le drame à ses collègues.

Nafissatou Diallo est jugée parfaitement crédible: le directeur de l’hôtel explique aux détectives qu’elle travaille au Sofitel depuis trois ans et qu’elle donne entière satisfaction. A peine alphabétisée, elle pratique un anglais rudimentaire et un français guère meilleur. Son mode de vie plus que modeste achève de convaincre. Veuve, réfugiée aux Etats-Unis après avoir été violée par des soldats guinéens qui persécutent les Peuls, ethnie à laquelle elle appartient, elle vit seule avec sa fille collégienne dans un immeuble du Bronx. Un parcours type d’immigrée à New York, composé, au départ, de petits boulots – elle sert et tient la caisse dans un restaurant africain du Bronx - avant de décrocher un emploi stable et mieux rémunéré dans un prestigieux hôtel de Manhattan, tout en continuant d’effectuer quelques extras au restaurant. «S’attaquer à une femme comme elle, nous explique à l’époque Ronan McBain, un commerçant de l’Upper West Side, c’est s’attaquer à tout ce qui fait cette ville. Ici, chacun a un ancêtre qui a vécu comme elle.»

Le décor est planté. L’affaire ressemble à un roman du réalisme social. Une pauvre réfugiée africaine qui trime douze heures par jour pour joindre les deux bouts et élever sa fille adolescente est abusée sexuellement par un riche et puissant Français, figure de la haute finance internationale.
Au 80 Centre Street, Cyrus Vance pousse les feux. Il précipite les échéances et décide de présenter la victime présumée au grand jury quarante-huit heures avant l’expiration du délai légal. Deux jours qui auraient pu être mis à profit pour vérifier plus précisément les dires de Nafissatou Diallo et arriver devant les douze jurés avec un dossier mieux ficelé. Selon les nombreux articles que la presse a consacrés aux dysfonctionnements du parquet, des membres de la section spécialisée dans les crimes sexuels demandent au district attorney de ralentir le pas. Mais celui-ci passe outre. Il redoute ce suspect doté d’un épais carnet d’adresses, flanqué d’avocats réputés et suffisamment riche pour employer une armée de juristes et de détectives privés pour contrecarrer l’accusation.

Afin de mettre toutes les chances de son côté – du moins, le croit-il -, Cyrus Vance confie l’accusation à une équipe féminine de choc: ses substituts Ann Prunty et Joan Illuzzi-Orbon, rompues l’une et l’autre aux affaires sensibles. Mais sa décision fait grincer des dents dans ses services. La nomination de ces deux femmes à la direction de l’enquête signifie la mise à l’écart de la Sex Crime Unit (SCU), la section spécialisée dans les crimes sexuels. Des tensions vont naître entre la responsable de la SCU, Lisa Friel, et le tandem chargé de l’affaire DSK. Citant une source du parquet, le tabloïd New York Post révèle même qu’Ann Prunty et Lisa Friel se sont violemment disputées à propos de la conduite des investigations. Le départ de cette dernière, qui a quitté soudainement les services du procureur, a été interprété comme une sanction de Cyrus Vance consécutive à son attitude. En fait, il s’agirait davantage de sa réaction à un documentaire que la chaîne HBO avait consacré à la SCU, dans lequel Lisa Friel s’exprimait sur des dossiers en cours (dont l’affaire DSK). Le district attorney aurait jugé ses propos imprudents et susceptibles de fournir des arguments aux avocats de plusieurs prévenus ou suspects, dont ceux de Dominique Strauss-Kahn.

Cyrus Vance veut-il effacer plusieurs échecs?
Une ambiance tendue s’installe au huitième étage de l’immeuble de Centre Street. Les plus hostiles au patron se posent des questions. Cyrus Vance veut-il soigner sa réélection au poste de DA, voire préparer une carrière politique future? En accrochant au-dessus de sa cheminée un trophée de chasse aussi prestigieux que le directeur général du FMI, veut-il se tailler une réputation de procureur intraitable avec les puissants? Ou veut-il, plus simplement, effacer plusieurs échecs, dont l’acquittement de deux policiers new-yorkais accusés d’avoir violé une femme en garde à vue?

DSK – histoire secrète d’un fiasco judiciaire…

Pendant trois semaines, aucune ombre ne vient ternir l’image de Nafissatou Diallo. Placée dans un hôtel de Brooklyn - certaines sources proches de la Guinéenne expliquent que, au début, elle changeait d’hôtel tous les deux jours -, elle répond docilement aux convocations du parquet et fournit les renseignements nécessaires à l’enquête. La première alarme retentit le 9 juin. Alors que, par deux fois, elle avait raconté aux enquêteurs, pleine de sanglots, le martyre qu’elle avait subi en Guinée, violée par des soldats qui l’avaient arrêtée, elle avoue avoir inventé cette histoire. Kenneth Thompson, son avocat, met immédiatement fin à l’entretien. Selon ses déclarations ultérieures, sa cliente n’a pas supporté les manières et le ton inquisitoire des substituts du procureur. Le New York Times écrit de son côté que la femme de chambre s’était roulée par terre dans le bureau du procureur. Elle ne paraîtra plus devant les enquêteurs pendant dix-neuf jours, refusant de se rendre aux convocations, sur les conseils de Kenneth Thompson.

Le 28, quand Nafissatou Diallo reparaît devant les investigateurs du parquet, ceux-ci ont un dossier autrement nourri. Ils ont découvert entre-temps que plusieurs dizaines de milliers de dollars – 100.000, selon le New York Times- ont été déposés sur son compte en banque depuis deux ans. Des dépôts effectués en plusieurs endroits des Etats-Unis, dont l’Arizona et la Géorgie, deux Etats loin de New York où elle a peu de chances de s’être rendue. Ils savent aussi qu’elle possède plusieurs téléphones portables, alors qu’elle leur a toujours affirmé n’en avoir qu’un seul. La femme de chambre répond qu’une autre personne, un ami, utilise son compte pour ses propres affaires.

L’ami en question se révèle être détenu dans une prison pour immigrés illégaux en Arizona. Cet homme, un Gambien qu’elle aurait épousé religieusement, est un trafiquant de drogue. Il a été piégé par les hommes de la Drug Enforcement Agency (DEA), qui se sont fait passer pour des acheteurs prêts à échanger des articles de contrefaçon contre 180 kilos de marijuana. Un des téléphones, dit la femme de chambre, lui sert à appeler son ami emprisonné.

Une conversation téléphonique en langue peul avec le détenu, datant du 15 mai, moins de 24 heures après les faits, et interceptée par les services pénitentiaires, est traduite à la hâte. Nafissatou Diallo explique à son « mari » ce qui est arrivé au Sofitel. L’homme lui demande comment elle va. Elle lui répond qu’il ne doit pas s’inquiéter. «Ce mec a beaucoup d’argent, lui dit-elle. Je sais ce que je fais.»

Pour faire bonne mesure, les enquêteurs ont découvert d’autres éléments dévastateurs pour l’accusation. Elle a un autre emploi, qu’elle n’a pas déclaré : elle gagne de l’argent en recrutant des clients pour ACN, une société qui propose des abonnements internet-télévision-téléphone. Ils s’aperçoivent aussi qu’elle a effectué de fausses déclarations de revenus en affirmant qu’elle avait deux enfants à charge. En revanche, le parquet refusait en début de semaine de confirmer qu’elle s’adonnait à la prostitution, ce que le tabloïd New York Post a écrit à plusieurs reprises en se réclamant d’une source dans les services du district attorney.

Le 30 juin, soudain, le ciel s’éclaircit pour DSK

Confronté à une avalanche de contre-vérités, de dissimulations et de lourds soupçons, Cyrus Vance sonne le tocsin. Le 30 juin, il écrit une lettre aux avocats de DSK pour leur faire part de la série de mensonges de Nafissatou Diallo - quitte à se tromper sur un des points puisque le scénario de la femme de chambre a été corroboré par les cartes magnétiques des portes du Sofitel, qu’il n’a fait vérifier que le 1er juillet ! Il a demandé au juge Obus de convoquer une audience dès le lendemain. A ce moment, le ciel s’est soudainement éclairci pour Dominique Strauss-Kahn. D’un coup, l’homme frappé d’opprobre depuis un mois et demi a recouvré sa liberté, sa caution et sa garantie faramineuses. Et tout aussi vite, l’attention des médias s’est concentrée sur la femme de chambre, désormais soupçonnée d’avoir voulu soutirer de l’argent à DSK.

Cyrus Vance ne semble pas au bout de son calvaire. La presse new-yorkaise consacre désormais ses enquêtes aux services du district attorney. Dimanche 3 juillet, le New York Times a publié un article d’une demi-page sur le sujet. Quant aux tabloïds, ils ont déjà trouvé un sobriquet pour le procureur: «Black eye Cy», Cyrus, l’homme aux cocards. Sur internet, blogueurs et réactions de lecteurs accablent cette justice new-yorkaise qui a détruit un homme avant d’enquêter. D’autres, néanmoins, soulignent, à l’instar de Kenneth Thompson, qu’il y a eu relation sexuelle entre DSK et sa cliente et que des traces de violences ont été constatées. Pour ceux-là, un procès doit avoir lieu.

Mais l’orage qui s’annonce pour Cyrus Vance viendra plutôt de la défense de Dominique Strauss-Kahn. Au-delà de la cessation des poursuites, ses avocats, Benjamin Brafman et William Taylor, entendent obtenir réparation pour leur client. Ils sont prêts à explorer toutes les possibilités pour réclamer le remboursement des sommes colossales dépensées par le couple Strauss-Kahn-Sinclair pour satisfaire aux exigences de la cour.

Les New-Yorkais n’aiment pas les perdants. Ils les aiment encore moins s’ils doivent, par leur faute, mettre la main à la poche en tant que contribuables. Aux yeux de beaucoup d’entre eux, Cyrus Vance a déjà coûté très cher en menant une enquête qui a produit un tel fiasco. Même ceux qui pensent, encore aujourd’hui, que DSK est coupable, ne peuvent que se sentir frustrés d’un tel échec de l’accusation. Le prochain (et ultime) dossier du procureur pourrait bien s’intituler : «The people vs Vance», le peuple contre Vance.


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