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Le 4e BALBEC NORMAND de MARCEL PROUST

Publié le 12 juillet 2011 par Abarguillet

Le 4e BALBEC NORMAND de MARCEL PROUST   Le 4e BALBEC NORMAND de MARCEL PROUST

 Eugène Boudin - La plage de Trouville   Eugène Boudin - Crinolines sur la plage

Il y a quelques années de cela, les maires de Cabourg et de Trouville, ainsi que le Cercle littéraire proustien de Cabourg-Balbec, prirent l’initiative d’unir leurs compétences pour célébrer, tous les deux ans, l’œuvre du grand écrivain par un colloque international et, ce, grâce à la participation de personnalités reconnues dont Messieurs Jean-Yves Tadié, William Carter et Kazuyoshi Yoshikawa, très vite rejoints par les lecteurs passionnés de la monumentale Recherche.

Ce mois de juillet 2011 a initié la 4ème édition, parée d’un éclat particulier que la douceur de l’air et l’ensoleillement n’ont fait  qu’intensifier. La journée du samedi 2 juillet se déroulait à Trouville, lieu où le jeune Proust vint à plusieurs reprises chez ses amis Baignères d’abord, puis Finaly au manoir des Frémonts, et avec sa mère à l’hôtel des Roches-Noires. Les innombrables passages de la Recherche où il évoque le charme incomparable de la cité balnéaire, ainsi que les lettres à ses amis où il relate les heures inoubliables qu’il y a vécues, prouvent à quel point l’évocation de Trouville est restée précieuse dans sa mémoire et a contribué à son inspiration.

La journée s’ouvrait par l’inauguration, à la villa Montebello, de l’exposition « La mode aux bains de mer » qui réunissait des costumes, objets, aquarelles, dessins et peintures représentatifs des plaisirs balnéaires à la fin du XIXe siècle, exposition qui se prolongera jusqu’au 18 septembre. L’après-midi, Mr Michel Blain et Mme Malika Labrume nous offraient des morceaux choisis de l’auteur, tous consacrés aux toilettes des femmes de la Belle Epoque, d’une richesse de description incomparable qui font de Marcel Proust le plus éblouissant peintre littéraire de la mode de l’époque. Ensuite, une visite, conduite par Mme Michèle Clément du pays d’art et d’histoire, était proposée tout au long de la plage de Trouville, où se succèdent les demeures cossues qui ont vu passer des personnages illustres comme la princesse de Sagan en sa villa persane. Cette promenade menait tout droit au Casino et au salon des Gouverneurs où se tenait la conférence de Mr Yoshikawa de l’université de Tokyo dont le thème était « La peinture de la mer dans la Recherche ». Marcel Proust, cédant la parole à Elstir, nous décrit, avec une sensibilité rare, les composants d’un art qu’il admirait à l’égal de la musique et dont il sût mieux que personne saisir la nuance qui sépare «  ce que nous voyons » de « ce que nous sentons » et faire la part des choses entre le vrai réel et le faux vrai.

Le dimanche 3 juillet, les diverses activités avaient lieu à Cabourg et débutaient par une visite du Grand-Hôtel en compagnie du docteur Jean-Paul Henriet et de l’Aquarium avec Mr Michel Blain. Ces visites ont toujours infiniment de succès, tant l’hôtel, qui vient d’être rénové magnifiquement par le groupe Accor, a su conserver son charme et son atmosphère d’antan et où tout concoure à nous rappeler les heures que Proust y vécut durant les étés de 1907 à 1914. Suivait la conférence du professeur William Carter. Ce dernier nous démontra qu’à travers son œuvre l’écrivain s’était révélé être tour à tour musicien ( la musique de Proust est unique et ses phrases flexibles et tactiles étonnement caressantes ), architecte ( faisant de la Recherche un livre cathédrale ), aviateur ( parce qu’une œuvre doit être en apesanteur comme un avion et ne jamais oublier de s’élever vers les hauteurs silencieuses du souvenir ) et cuisinier, afin que, comme le bœuf en gelée de Céline, les textes soient aussi brillants que la gelée, aussi frais que la viande, aussi savoureux que les carottes et ne manquent ni d’arôme, ni de consistance, ni de goût. Enfin le conférencier s’est livré à une comparaison passionnante entre la tante Léonie et ses manies de neurasthénique qui la confinaient et l’emprisonnaient dans sa chambre et la grand-mère du narrateur qui symbolise la liberté, le courage – elle se plaisait à courir sous la pluie – l’amour de la nature, des fleurs, qualités propres à l’imagination, à l’énergie triomphante et créatrice. Or, Marcel Proust a été tout à la fois l’une et l’autre : prisonnier de sa chambre tapissée de liège et de son asthme, mais également de son œuvre dévorante qui s’était faite son geôlier et, par ailleurs, libre, grâce aux voyages que lui ménageait son imagination, l’ouvrant aux perspectives les plus larges et aux explorations les plus audacieuses.

Après un déjeuner-buffet au Grand-Hôtel, la cinéaste Véronique Aubouy expliqua à une assistance nombreuse son ambitieux projet de « Proust lu » commencé en 1993 et qui la mènera, pense-t-elle, jusqu’an 2050, cette initiative comportant déjà 98 heures de film et ayant eu recours aux prestations de 990 lecteurs. De quoi s’agit-il ? Simplement de faire lire, à raison de six minutes par lecteur (environ deux pages), l’intégralité de la Recherche. Véronique Aubouy a été l’assistante de Denys Granier-Deferre et de Robert Altman. « Chaque lecteur – nous dit-elle - est libre de se mettre en scène dans le décor qui lui convient le mieux. Celui que je filme prête son visage et sa voix au narrateur qui n’en a pas. Par le rythme de sa lecture, par les pauses qu’il marque, il dévoile un temps qui lui est propre. Un temps qui le définit comme personne. « Proust lu » est une somme d’actions et de mémoire. Dans la répétition « ad vitam » de ce geste, se trouve mon temps à moi. Je décline cette action comme on respire, comme on mange ».

Le programme se poursuivait par la conférence du professeur Jean-Yves Tadié sur le thème « Proust et Freud », deux hommes qui ont profondément marqué le XXe siècle sans s’être jamais lus l’un l’autre, bien qu’ils aient eu tous deux l’intuition de la psychanalyse. La mémoire involontaire de Proust correspond à l’analyse freudienne. Ainsi Proust a-t-il utilisé la psychanalyse sans le savoir, en tournant son esprit à l’intérieur de soi et en usant de l’introspection comme Freud de l’analyse. D’ailleurs l’écrivain n’a pas craint, en parlant de son œuvre, de la présenter comme le roman de l’inconscient. « Ce que nous tirons de l’obscurité qui est en nous et que ne connaissent pas les autres » - a-t-il souligné. Il faut chercher au plus profond de soi le livre intérieur. D’autre part, Proust comme Freud, considère que l’enfance est le lieu critique où se nouent les conflits. On trouve dans la Recherche les trois éléments fondateurs de la psychanalyse : l’amour pour la mère, l’image du père castrateur, l’enfant sexué très tôt. « La mémoire involontaire – disait l’écrivain – est la seule à restituer les événements dans leur totalité ». Et il ajoutait : « Tout Combray est sorti de ma tasse de thé ». Proust et Freud ont beaucoup parlé des rêves. Pour tenter de les expliquer, encore est-il nécessaire de se faire à la fois Joseph et Pharaon. Le rêve est toujours individuel, on ne connaît pas de rêve collectif. Enfin chez les deux hommes, tout est d’origine sexuelle et cela depuis l’enfance la plus tendre. C’est la fixation à la mère qui opère le glissement progressif vers un auto-érotisme. Autre sujet central : la mort, cette mort qui s’installe en nous et qu’il faut essayer de sublimer en lui opposant un passé émotionnel. Pour Proust, la guérison se fera par l’art, pour Freud par l’esprit et, pour tous deux, par la force magique des mots. Avec sa finesse habituelle, le professeur Tadié a précisé chaque point et mis l’accent sur les perspectives qui ont permis à ces deux personnalités de cheminer ensemble sans le savoir.

Pour clore ces journées exceptionnelles, une centaine de participants se retrouvait pour le dîner de gala dans la salle à manger du Grand-Hôtel, celle où le narrateur de la Recherche rencontrait Mme de Villeparisis, l’amie de sa grand-mère, mademoiselle de Stermaria liée aux brouillards de la lande bretonne et à la forêt de Brocéliande, et qu’il apercevait au loin les jeunes filles en fleurs s’avançant sur la digue. C’est ici également que l’écrivain soupait tard d’une sole et d’un sorbet et voyait le jour s’éteindre par delà  la vitre de l’aquarium. Le dîner de gala était au diapason de ces journées, les plats inspirés de la Recherche et leur service accompagné par les mélodies de Fauré, de Debussy, de Reynaldo Hahn chantées par un artiste américain  (parlant couramment le français) Mr Watson (avec, au piano, le jeune Michaël Guido). A sa voix colorée s’ajoutaient les expressions les plus agréables et sensibles. Un moment d’enchantement pur, alors que la journée s’achevait par l’un de ces couchers de soleil que Proust a si souvent décrits et qui se caractérisent par  «  des bouquets célestes bleus et rosesqui mettent des heures à se faner ».

 Armelle BARGUILLET  HAUTELOIRE

 
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