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José LE MOIGNE : "LA MONTAGNE ROUGE" (suite).

Par Ananda

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     Comment voulez-vous que je gobe ça ? Nous le tenions et vous le laissez filer ! Mieux, vos gendarmes se font ridiculiser par une poignée de terroristes dans un couloir d’hôpital qu’ils sont censés garder ! Après la brigade de Belle-Isle-en-Terre qui se fait piquer ses armes, franchement, il y a de quoi se poser des questions !

     Mon lieutenant …

     Il n’y a pas de lieutenant qui tienne. J’espère que ce n’est pas trop vous demander, mais savez-vous, au moins, la provenance du commando ?

     J’ai fait mon enquête. Ça n’a pas été pratique, mais les indicateurs ont parlé. Il s’agit de la bande de Saint-Nicolas du Pelem.

     Bon ! Je n’en ai pas terminé avec vous mais pour l’instant j’ai mieux à faire. Saint-Nicolas c’est dans le secteur de Prigent. Lui au moins connaît bien son boulot !

   Flambard ne décolérait pas. Ce n’était pas tous les jours que l’on coinçait un type du calibre de Jean Le Jeune, le fameux commandant Émile, chef des F.T.P de la zone nord-ouest des Côtes du Nord, responsable des secteurs de Plouaret, Lannion, Perros-Guirec et Plestin. Un gros poisson, c’est le moins que l’on puisse dire, et, maintenant qu’il s’était échappé, il était illusoire d’espérer le reprendre, ou, alors, après beaucoup de temps, beaucoup de chance et, cela ne pouvait faire de doute, un gros coup de pouce du destin. L’animal était rusé et Flambard se demandait encore comment il avait pu se laisser surprendre par quatre gendarmes Lanvellec alors qu’il transportait des armes. Ah, il fallait s’y attendre, le gaillard ne s’était pas laissé faire. Sur ce point, même Flambard l’admirait, ce type avait du cran. Faut dire aussi, qu’à part sa garde rapprochée, par bonne ou par mauvaise volonté, il arrivait que Flambard ait des doutes, les gendarmes commettaient bourde sur bourde. Tenez, dans le cas précis de la capture de Jean Le Jeune, au lieu de conduire dare-dare le prisonnier à la gendarmerie, les argousins, pourtant au nombre de quatre, avait cru bon d’essayer de prévenir la Kommandatur. D’accord. On savait qu’il était responsable de la coupure de la ligne téléphonique souterraine Brest-Berlin, de déraillements de trains, de sabotage d’installations portuaires, de la destruction de matériels allemands de toutes natures, sans compter les multiples opérations de récupération de parachutages d’armes, mais de quel droit des gendarmes français se permettaient-ils de passer par-dessus leur hiérarchie, c’est-à-dire lui, Flambard, pour s’adresser directement à l’autorité d’occupation ! Et pour quel résultat ? Profitant de ce moment de flottement, le commandant Émile avait bousculé ses gardes et était parvenu à s’enfuir. Que faire d’autre que de tirer ? Entrée par le dos, une balle lui avait traversé la poitrine et maintenant les ennuis commençaient. Flambard connaissait le client. Pas du genre à parler. Même sous la plus horrible des tortures. S’il n’en avait tenu qu’à lui, il l’aurait laissé, non sans l’avoir auparavant, avec conviction à défaut d’illusion, sérieusement asticoter, crever dans une cellule de la gendarmerie. Au lieu de ça, il avait fallu l’hospitaliser à Lannion. Cela n’avait pas empêché les gendarmes et les inspecteurs de police de l’interroger, avec la dernière des violences, sans tenir aucun compte de la grièveté de sa blessure. Tout ça pour perdre la face devant un commando de bolcheviques ! Ah, on allait encore en faire des gorges chaudes dans les maquis et dans les fermes qui, comment pouvait-on en douter, protégeaient, abritaient, ravitaillaient les ennemis de l’ombre.

   Non, décidemment, il était impossible de laisser impuni un pareil forfait.

   Flambard composa avec fièvre le numéro de la gendarmerie de Callac.

     Prigent ?

     Mon lieutenant !

     Je suppose qu’on vous a mis au courant ?

     Oui mon lieutenant. Vous savez, les nouvelles vont très vite et ne passent pas toujours par la voie hiérarchique.

     Je le déplore, mais qu’importe. On me dit que les terroristes en question font partie du maquis de Callac, plus précisément de Saint-Nicolas du Pelem ?

     Je ne puis l’affirmer avec certitude mais, malheureusement, c’est probablement exact. C’est un coup, j’en suis certain, du trop fameux Jojo. La méthode lui ressemble.

     Nous possédons je vois les mêmes informations et, d’ailleurs, nous ne sommes pas les seuls. Rudolph vient de m’appeler. La gestapo est aussi sur le coup. Nous devons au plus vite tirer cela au clair. Il y va de notre crédibilité. Je sais que je peux compter sur vous. Ne prenez pas d’initiative. Le temps de faire la route et j’arrive chez vous.

   D’ordinaire si méfiant, Flambard ne sentait nullement danger en partant pour Callac avec un seul gendarme pour escorte. Certes, il ne l’ignorait pas, à présent c’était œil pour œil et, tôt ou tard, les maquisards qu’il pourchassait avec l’acharnement d’un Nemrod insatiable chercheraient à lui faire la peau. Il n’était pas homme à tendre l’autre joue mais, franchement, si ce n’étaient quelques courbes boisées, une ou deux montées un peu raides où il fallait franchement ralentir, hormis la route de Guingamp à Callac, longue d’à peine trente kilomètres et traversant les villages de Mousteru et Le Merzer, ne semblait présenter aucun piège. Et puis, cela lui paraissait d’une logique implacable, les terroristes, après leur exploit de Lannion, allaient pour quelques temps se mettre au vert et afficher profil bas.

   Ceci dit, à chaque fois qu’il franchissait la suite de virages un peu secs qui précédaient l’entrée de Callac par la rue de La gare, Flambard ne pouvait se défendre d’un obscur sentiment de malaise. Pourtant, c’est souvent qu’il se rendait ici pour conférer avec son adjudant. Le bourg, organisé à flanc de pente autour d’une grande place qui servait une fois par an de marché aux chevaux lui paraissait d’une sévérité toute janséniste avec son église massive que par imagination on pouvait penser avoir été découronnée comme d’autres dans le pays après la répression de la révolte des bonnets rouges mais qui n’était privé de flèche que par la faute d’un dépassement de devis lors de sa construction moins d’un siècle plus tôt, ses rues étroites, tortueuses et parallèles qui, que ce soit par Calanhuel où par Plourarc’h menaient, quoique Callac n’en fasse pas partie, à la montagne rouge. Quant à la gendarmerie, dressée, à quelques façades de là, devant Chez Micheline, un débit de boissons fréquenté par les journaliers, c’était une énorme bâtisse de deux étages avec des combles immenses, d’allure plus notariale que militaire.

   Flambard gara son véhicule près de la barrière qui, il n’y avait pas si longtemps, servait à attacher les chevaux des pandores.

     Mon Lieutenant, verriez-vous une objection à ce que je profite de votre véhicule pour ma tournée d’inspection dans la région ?

     Aucunement, mais il va vous falloir attendre que j’en aie fini avec Prigent.

     Cela va de soi. Je vais en profiter pour discuter un peu avec ces braves gens, répondit Moreau de Bellaing, le délégué à l’information et à la propagande, autant dire le délateur en chef, en désignant du regard les trois gendarmes qui venaient de se mettre en faction auprès de la voiture du lieutenant.

   Moreau de Bellaing était un de ces hobereaux impérieux et courtois, secs d’apparence et de parole, issus de l’ancienne petite noblesse terrienne comme les provinces françaises à dominante rurale en conservaient encore quelques beaux spécimens, vivier fécond dans lequel l’administration de Vichy, soucieuse de s’appuyer sur les petits notables, puisait sans restriction.

   Il se disait homme de lettres parce qu’il avait commis quelques minces opuscules, des monographies sans importance sur le pays, quelques articles vaguement historiques dans des revues généralistes. Cependant, au-delà de ce vernis par ailleurs largement écaillé, notre homme n’était qu’un abîme mesquin, aimant tisser sa toile avec pour modèle Louis XI tissant les mailles de l’universelle aragne, si bien que sa désignation comme rédacteur des rapports secrets, avec pour seul référent, au premier cercle de Vichy, Paul Marion en personne, l’avait comblé en lui donnant une importance qu’il n’espérait plus. Certes, Moreau de Bellaing n’enfermait pas, ne torturait pas non plus, il laissait faire ça aux autres se contentant de moucharder et les proies qu’il guettait du centre de sa toile avaient beaucoup de mal à ne pas s’enferrer. Triste métier pour une triste époque.

   En attendant, ce 25 mars 1944, il attendait en devisant avec les trois gendarmes ; c’est-à-dire qu’il parlait et que les autres l’écoutaient, que s’achève la conférence que Flambard tenait avec Prigent. Il était à peu près 21 heures lorsque deux gars à bicyclette passèrent au ras du petit groupe. Le gendarme Pellen pouvait bien siffler comme un perdu, la nuit était profonde et ce n’est pas cette stridente roucoulade qui pouvait les empêcher de prendre la poudre d’escampette. Pourtant, ils ne firent aucune difficulté pour obtempérer et se laisser verbaliser. Manifestement, c’était une sorte de signal car, à peine eurent-ils démarré, que des coups de feu claquèrent en direction de la voiture et des gendarmes.

   Dès la première rafale Moreau de Bellaing poussa un couinement de porc que l’on égorge. Une balle lui avait traversé la cuisse gauche tandis que l’autre se logeait dans son bras droit.

     Non de Dieu, hurla Flambard. Qu’est-ce que vous attendez pour riposter ? Foutez-vous aux fenêtres et feu à volonté sur ces bandits !

   Lui-même sortit son révolver et se mit à tirer.

   Les balles crépitèrent sur la façade de la gendarmerie mais n’atteignirent personne. Deux cents cartouches furent ainsi tirées puis les assaillants, après avoir renoncé à balancer des grenades dans un bâtiment où se trouvaient des femmes et des enfants, se dispersèrent dans la nuit.

     Passez-moi la gendarmerie de Guingamp ! Il ne sera pas dit que ces gaillards puisent penser qu’ils ont marqué un point ! La chasse va être chaude, ça je vous le promets !

     Impossible mon lieutenant. Ils ont coupé au moins un fil du téléphone !

     Eh bien démerdez-vous ! Trouvez-moi un réseau de secours ou cherchez la coupure !

   Prigent et ses gendarmes s’agitèrent en vain. Ce n’est que vers 23 heures 30 qu’un faible appel arriva de Guingamp. C’était l’adjudant Le Guedard qui commandait en l’absence de Flambard. Le lieutenant bondit sur le combiné.

     Appelez immédiatement la Feldgendarmerie et dite leur de venir me chercher. Ne perdez-pas de temps, vous m’entendez, ça urge ! Je vous expliquerais à mon retour.

   À peine une heure plus tard, quatre voitures de feldgendarmes, commandées par le lieutenant Werther, s’alignèrent à leur tour devant la gendarmerie de Callac.

     Faites-moi hospitaliser ce gars-là, dit Flambard à Prigent en lui montrant le délégué, et débutez sans attendre votre enquête. Vous le savez, n’est-ce pas, c’est vous et moi que l’on voulait abattre. Je fais le point avec la Gestapo et je reviens. Ce crime sera puni. S’il le faut, nous ferons un exemple.

   Là-dessus il salua avant de s’embarquer dans la voiture du lieutenant allemand.

Juillet 2011


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