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Bibbé Laddé

Publié le 14 juillet 2011 par Bababe

  Assia, la mariée abandonne  le temps des vacances le quartier de la Sorbonne à Paris, ses librairies et ses bibliothèques pour rejoindre son mari à Dakar dans un quartier qui porte le nom de Baobab. Son œil vif, même au repos,  ne manquera pas de constater si l’arbre légendaire y garde toujours sa place.

Bibbé Laddé
Bibbé Laddé

   Ce sont  Oumahaani Kane et Maïmouna Kane qui rassurèrent May Sy , la mère de la mariée ci-dessus, par leur attitude. Si elles ne jugèrent pas nécessaire d’entonner la chanson traditionnelle pour la mariée « kalif mone alla mboolu fina yonngoo* », ce n’est pas seulement parce qu’elles savent que Toulaye Dem ne saura pas leur répondre « soo jabi halféedé, so fini tann o yonngoto », mais plutôt parce que elles peuvent faire confiance au marié.

Bibbé Laddé

  Les liens entre les nouveaux mariés ont certainement d’autres raisons que ceux  évoqués par une dame concernant  les Farba de Ndioum et les  Farba  mbaila (une mort au sein des uns entraîne fatalement un décès parmi les autres), au moment de présenter May Sy..

 On peut se demander si ces considérations ne sont pas en train de disparaître chez ce qui fut hier une  majorité, et qui est devenu aujourd’hui  inexorablement une minorité dans les villes dont les références bouleversent celles des villages.  L’évocation de « Ndioum wouro Farba », de Kaay dimbee jooroo, sammee naayoo, de Wennding mali booli, Mboumba jeeri wuro laamu ou Looti bellal jeeri ne fait plus frémir ces bibbé laddé.

C’est certainement à cela que pensaient des villageois quand ils accueillirent d’un   hayoo binguel laddé,  le père du marié, alors  jeune adolescent débarquant pour la première fois au village.

Ce dernier, d’un ton indigné avait répondu dans le seul pulaar wolophisé qu’il connaissait : « laddé kai fii là ! » (laddé c’est ici).

Il ne pouvait comprendre que,  face à un village de quelques hameaux, perdu dans le noire de la nuit, sa ville de Dakar où l’électricité scintillait et où l’eau coulait des robinets soit traitée de laddé.

Profond décalage, car dans la conception du  villageois, le laddé c’est tout endroit où le nom de tes parents et leurs origines sont inconnus des  autres, où  ton village et ses symboles ne représentent rien pour personne. C’est  l’anonymat produit par la ville gigantesque qui dissout ta langue et avale ton identité.

A présent, le fait que quelqu'un ait prononcé le nom "Wane",  déclencha automatiquement un yella de la bouche d’une griotte au missor imposant et que son sourire rendait sympathique… Tellement sympathique qu’un Wane dont elle venait de célébrer le nom, lui demanda  sa part des billets que ses cousines lui avait donnée en son nom. Ces dernières avaient  certainement agi ainsi pour honorer leur cousin,  peut-être pour  garder le « prestige passé » lié à un nom de leur famille, comme une sorte de patrimoine. Elles le firent avec retenue. Elles devaient avoir conscience que porter un nom ou un autre ne définit pas les qualités ou les défauts des uns et des autres.

 En tout cas, Kouro Sakho et Michèle Wane les deux cousines, invitées par Diarra pour représenter Toulaye Wane, mère du marié, honorèrent leur rôle de yumiraado. Elle étaient vêtues de leurs boubous baha kecco et leur pagne waaï fénngo.

Bibbé Laddé

  Sira remarqua qu’elle n’était pas la seule à admirer ces authentiques tenues, nombreuses en oublièrent leurs belles toilettes pour les bahas  d’antan.

UNE JONNTAADO

Ces belles toilettes dignes de plus beaux salons n’empêchèrent pas Sira de repérer celle d’une dame sobrement habillée. Peut-être parce que celle-ci fut une jonntaado.

Sira aurait voulu être une souris dans la tête de celle qui fut jadis une « jonntaado. A défaut, elle laissa libre court à son imagination pour retracer l’ambiance de cette époque où les ndanaane occupaient la scène culturelle et populaire des foulbés.

Si le temps a laissé des traces indéniables sur les traits physiques de cette ex-jonntaado, l’expression de son visage refuse d’admettre l’idée que quelqu’une ait pu lui arriver à la cheville au zénith de sa splendeur (naanngé é horee mako).

C’est sûrement de cette époque que date ce récit : se trouvant dans un foyer d’immigrés d’une ville de Normandie pour récupérer un colis, Sira et sa cousine furent saisies d’étonnement à la vue d’un bœuf égorgé et en train d’être dépecé par deux ou trois gaillards. Un monsieur portant un très long et large tiaya (pantalon bouffant de plusieurs mètres des sagataabé dans le vent, précisa sur un ton recherché, « ces deux cent  kilos de viande sont destinés au seul goûter du jour de HPS ; »

A la question : qui est donc HPS ? Il répondit : « vous ne connaissez pas HPS, sooyné yidée  (sitôt aperçu, sitôt aimé) ? Vous avez intérêt à aller vous laver !». Expression usuelle pour dire : «  complètement dépassé ».

 La voix de Lamine Ba arracha Sira de la Normandie pour la ramener dans les Yvelines.

Après des remerciements chaleureux à Malick Ba et Diarra Wane, il était en train de disserter avec éloquence sur l’importance des liens familiaux.  Malick s’étonna de son vocabulaire peul  adapté à la circonstance. Sira  fut émue aux larmes quand le tribun du moment évoqua  le souvenir du père de Diarra,  disparu il y a peu.

Pendant ce discours, Kassoum Ba, jusque-là exilé dans un silence de marbre, écarquilla grandement ses yeux globuleux. Quelqu’un rapporta à Sira qu’il ne rompit  son silence que pour s’adresser à une griotte à qui il avait donné un billet et qui s’apprêtait  à chanter ses louanges ; « taisez-vous, lui dit-il,  tout ce que vous direz de moi ne sera pas la vérité, car vous ne savez rien de moi ».

 1)biddo laddé : le mot laddé veut dire littéralement brousse, mais dans ce contexte cela veut dire : étranger, hors du village.

2) Traduction libre de la chanson : Au nom de Dieu nous vous confions  la nouvelle mariée, ne manquez pas de la mettre à l’aise. Entonnent les parents de la mariée.

El les parents du marié de répondre : « si la nouvelle venue accepte de se soumettre, elle sera mise à l’aise".

3) hayoo : bienvenu.

La suite, demain soir ou samedi


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