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Cinéma: "Réfractaire" de Nicolas Steil

Publié le 24 juillet 2011 par Paulo Lobo
Je viens de regarder, en dvd, le film "Réfractaire", réalisé par Nicolas Steil. Un beau film luxembourgeois, grave et intense, qui raconte un morceau de l'histoire du Grand-Duché. Dans les années 40, pendant l'occupation nazie, l'armée allemande enrôlait de force des jeunes luxembourgeois pour les envoyer sur le front combattre les alliés. Une partie de ces jeunes ont refusé d'obéir et ont été cachés par la résistance dans les lieux les plus improbables et secrets, pendant de très longues périodes. Par exemple, au plus profond des galeries inexploitées de mines, dans l'obscurité des jours et des nuits et l'humidité la plus poisseuse. "Réfractaire" se penche sur un échantillon de ces enterrés vivants, en fixant particulièrement le parcours de François, un jeune bourgeois qui se réfugie dans la mine en compagnie d'une dizaine d'autres reclus qui eux sont issus de la classe ouvrière.
Une histoire passionnante, filmée avec beaucoup de sensibilité et de dignité. Avec peu de moyens, le réalisateur arrive à reconstituer un monde, une époque, des êtres humains et leur sentiment d'oppression, leur angoisse et leur perte de repères. J'aime beaucoup l'élégance et la sobriété de la narration, le fait que le réalisateur ne fasse pas d'esbroufe, mais efface les effets de style pour mieux servir le fond. Certes, le film peut sembler académique ou théâtral par moments, mais, dans le cas présent, je préfère une théâtralité assumée et bien maîtrisée à une profusion de fulgurances filmiques qui auraient peut-être nui à l'objectif de l'entreprise. Car "Réfractaire" n'est pas qu'une oeuvre de cinéma, c'est aussi un geste d'historien, une tentative de faire ressurgir à la surface des souvenirs et des actes que certains préféreraient peut-être voir engloutis dans la spirale du temps, une façon aussi de s'interroger et réfléchir à la place que ces événements doivent prendre dans notre mémoire et dans notre identité.
Le film bénéficie d'une excellente interprétation, depuis les premiers rôles jusqu'aux plus menus personnages. Mention particulière pour Carlo Brandt, qui donne une belle sauvagerie à un communiste teigneux, pour Thierry van Werweke, magnifiquement humain dans le rôle d'un collabo mièvre mais amoureux de sa femme, et pour Grégoire Leprince-Ringuet dans le rôle de François, dont l'interprétation, curieusement désincarnée, résonne paradoxalement comme la plus juste possible.
Certes, à un certain moment, le film aurait pu suivre une autre piste, celle qui aurait consisté à resserrer le récit entièrement sur le huis-clos dans la mine et les relations entre les réfractaires. Il y a une séquence qui donne une vision de cette autre possibilité de film. Pendant une ou deux minutes, la caméra tourne à l'intérieur de la mine et montre chacun des personnages dans son occupation anodine, en proie avec le temps et l'asphyxie de la solitude. Mais le scénario en a décidé autrement, il s'agit en effet pour les auteurs, non pas de jouer avec le fantastique ou la folie, mais d'élargir le regard sur l'époque et de créer du suspense autour du personnage de François - on le remonte donc en surface pour en faire un héros "agissant" et qui petit à petit grandit moralement. Une façon aussi de faire une oeuvre plus riche en rebondissements et donc plus accessible au grand public.
J'ai beaucoup aimé également la photographie du film, avec un très beau travail sur les ambiances de nuit expressionnistes. Et puis, il faut dire aussi a beauté et l'intelligence de la musique d'accompagnement composée par André Mergenthaler et Michel Wintsch.
Un très beau film, donc, que je vous recommande. Si vous ne l'avez pas vu en salle, rattrapez-vous avec le DVD.
http://www.refractaire.lu

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