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Tirez sur l'ambulance !

Publié le 17 février 2008 par Laurent Matignon
Il est environ midi lorsque nous nous décidons à émerger. Je n’ai pas le sentiment d’être resté éveillé toute la nuit contrairement à la plupart de celles qui ont précédé, mais je sais que j’ai navigué entre éveil et brume durant de longues heures. Les sifflements m’agressent… me tirent les oreilles… « Laurent, debout ! Viens souffrir, écoute comme c’est bon ! » Je cherche à résister, déploie toute ma volonté pour rester dans un demi-sommeil mais il est trop tard : je suis déjà éveillé, épuisé, blessé.
Désespéré.
Nous devons retrouver Céline en plein centre de Barcelone. Mathieu sait à quel point j’ai pu me sentir proche d’elle : des mois durant nous avons été voisins de bureau et, des mois durant, elle a traversé une période difficile qui s’est achevée de la seule façon possible, un divorce, venu mettre un terme à sept ans de vie commune basée sur un malentendu. Puis la fuite vers Barcelone – tant il est connu que la misère est moins pénible au soleil. Durant ces longs mois j’ai tâché, dans la mesure de mes modestes moyens, de soutenir le moral de cette collègue que je croyais amie. Bien souvent, elle ne laissait rien paraître de son mal-être. Par moments cependant elle se montrait agressive et blessante et j’encaissais sans broncher les pics qu’elle me lançait pour calmer ses aigreurs – j’étais devenu son Mopral humain, en somme. Dans les semaines qui ont suivi son départ en Espagne j’ai maintenu avec grand plaisir un contact certes imparfait et distendu mais bien réel : coups de fil, chat et mails bien sentis.
Il me semblait qu’elle allait bien. Surtout, il me semblait qu’elle allait mieux.
Après tout, elle n’avait pas pris cette décision sur un coup de tête et, s’il était très probable qu’elle ne coulerait pas le restant de ses jours dans son nouveau domaine, cette escapade ne pouvait qu’aérer son esprit. Et puis, n’avait-elle pas souligné à l’envie, jour après jour, l’appel de l’OrlyVal et de ses navettes qui l’emmèneraient à cent lieus de la capitale française ?
Loin de moi l’idée de me dédouaner : il est vraisemblable que je n’avais point incarné l’ami idéal en cette occasion, n’ayant jamais connu une situation comparable à la sienne. Mais du moins avais-je essayé de me montrer à la hauteur... Et encore aujourd’hui, des années plus tard, j’ai la vanité de penser que je ne m’y étais pas trop mal pris.
C’est pourtant un jet d’acide qu’avait reçu ma boîte e-mail quelques jours avant nos retrouvailles, conclu par un « tu m’as déçu », implacable et définitif. Estomaqué, recevant ce coup alors même que ma vie venait de basculer – peut-être à tout jamais –, j’avais décidé de passer outre ma réserve habituelle et de lui confier sans détour ce que j’étais en train de vivre et la volonté d’en finir qui me hantait désormais. Ne pouvant faire seul face à ce qui dégueulait de mes oreilles, il me semblait que Céline saurait trouver les mots pour, sinon me soulager, du moins me donner un peu de force.
Afin de ne pas m’ouvrir les veines dans la seconde.
Le boomerang m’était revenu en pleine face : « je ne peux rien pour toi », enrobé de froid et de vide.
Un style que je ne lui connaissais pas.
Mais un message clair.
J’allais maintenant la revoir. Peut-être allais-je maintenant savoir.
Accueil froid et distant. Baiser rapide, ébauche de sourire, direction restaurant de bord de mer. Je m’évertuais à faire bonne figure, à jouer le Laurent que j’avais toujours été et qui n’existait plus, celui qui aimait rire de tout, qui ne savait en aucune façon se montrer sérieux sur des sujets futiles plus de deux minutes et douze secondes. Exercice de haute voltige, qui mobilisait une grande partie de mon énergie – ne pas entendre ces satanés sifflements, ne pas se focaliser sur ces douleurs abominables, se convaincre que l’on n’entend pas tout de façon déformée et que les coups que l’on prend chaque seconde ne sont pas dûs aux couverts contre les assiettes et aux voix des badauds.
Durant le repas, non seulement Céline ne s’enquit en aucune façon de mes problèmes de santé – après tout, elle ne pouvait décemment pas comprendre en quelques lignes les tourments qui étaient les miens, mais j’avais quand même clairement parlé de mettre fin à mes jours – mais elle lâcha plusieurs salves et propos blessants qui en temps normal n’auraient probablement pas eu plus d’effet que des bourdonnements de mouches à mes oreilles* mais qui ce jour là arrachèrent un peu plus de ma chair profondément meurtrie. Et dire qu’elle exultait de ses traits d’esprit ! A croire qu’elle cherchait à se venger…
Je ne comprenais décidément pas.
Le soir se passa comme celui de la veille, hormis la pluie qui avait décidé d’arroser la boucherie sonore. Je pus voir Lou Barlow, mais ce qui aurait dû susciter en moi une joie immense me parut sans saveur aucune. Vers minuit à peine nous sommes partis rejoindre nos pénates et, sitôt arrivé, trempé jusqu’à l’os, je me plongeais dans un bain chaud. ZZZZZZZZZZiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii, protestèrent mes oreilles. Je plongeai la tête sous l’eau pour les fuir un instant. ZZZZZZZZZIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII, me punirent-elles aussitôt. Mathieu me parlait de la pièce d’à côté mais mes acouphènes couvraient tout.Je n’entendais rien d’autre. Je crus comprendre qu’il se réjouissait au sujet de quelque jeu TV stupide, caractéristique de cette heure avancée de la nuit.
Bientôt, tremblant de douleur, de fatigue et d’énervement, je décidais de tenter une fuite dans le sommeil.
Avec un résultat comparable à celui de la veille.
* "Tes paroles sont comme des bourdonnements de mouche à mes oreilles", in Sinouhé l'Egyptien, Mika Waltari
(dans le monde merveilleux des Playmobil, même les blessés ont le sourire)

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